Les Confinautes
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Les Confinautes

Émission Web Mediapart (2020)

Eh bah moi, je vous le dis tout net : les « Confinautes » je trouve ça bien.
…et j’en suis le premier surpris.
 
J’en suis le premier surpris parce qu'en général tous ces trucs qui ont été faits à l’arrache pour s’adapter à la situation de confinement liée au Covid-19, bah moi je trouve ça plutôt moche et mal foutu.
Je pense notamment aux petites pastilles de l'ami Clément Viktorovitch : avant le confinement je les mangeais sans faim alors que depuis le confinement bah ça a fortement perdu de sa superbe, voire presque de son intérêt.


Et puis aussi, si je me retrouve surpris d'être à ce point emballé par cette émission d'Usul et Cotentin, c'est parce que jusqu'à présent, « Ouvrez les guillemets » (dont ces « Confinautes » sont la version confinée) eh bah ce n'était vraiment pas ma tasse de thé. (...Et c'est un euphémisme.)
 
Alors certes, « les Confinautes » ce n’est pas non plus exactement du « Ouvrez les guillemets » fait à la maison.
Face aux contraintes techniques, les deux larrons ont adapté leur format et leur formule.
Il ne s’agit plus désormais de développer un petit édito autour d’une question sociale d’actualité, il s’agit simplement de se faire les observateurs acerbes d’un confinement qui fait ressortir tous les travers de notre société.


Alors vous auriez peut-être envie de me répondre à ça : « mouais bah au fond c’est un petit peu ce qu’était déjà "Ouvrez les guillemets" non ? »
Et à cela je vous répondrais : « c'est certes pas totalement faux mais c'est loin d'être totalement vrai non plus. » 


Loin d'être totalement vrai car pour moi il existe entre ces deux émissions une différence fondamentale.


Dans « Ouvrez les guillemets », chaque épisode se pense comme une démonstration intellectuelle. Certes, il y a aussi de l’humour, de la dérision et du « mauvais esprit » (pour reprendre les mots d’Usul), mais tout cela n’est qu’un habillage pour servir cette démonstration. Le coeur de l'affaire c'est toujours de prendre une question d’actualité, de la creuser et d'en déduire une grille de lecture ; une vérité sur le réel.
Et c'était d'ailleurs aussi tout le coeur du problème puisqu'en définitive ces démonstrations étaient pipées histoire de bien rentrer dans le prêt-à-penser usulien ; le genre d'impostures propagandistes auxquelles je ne goûte que fort peu. (Et là encore c'est un euphémisme.)
 
Par contre, dans « les Confinautes » cette démarche éditorialiste et démonstrative, elle a le mérite de passer à la trappe.
Ne restent du coup que l’humour, la dérision et le mauvais esprit.
Aussi ces « Confinautes » adoptent-ils une forme plus brute, plus dépouillée, et ne reposant essentiellement que sur de la réaction à la volée face à l'actualité.
Il ne s'agit plus construire mais juste de déconstruire. (Et la déconstruction, c'est encore ce que les trotskos savent faire de mieux.)


Ainsi chaque épisode se contente-t-il de mettre le doigt sur une absurdité, une hypocrisie ou une ignominie du moment (et quand tout le monde se retrouve contraint de vivre socialement sur le net, il n'y a qu'à se baisser pour ramasser) puis ensuite d'y aller à coeur-joie. De se moquer. De se lâcher. De trouver l'angle d'attaque le plus efficace pour que la chose en devienne risible.
Et à ce petit jeu, à force d'être habitués à faire du mauvais esprit, je trouve que les deux loustics de Mediapart savent offrir régulièrement des moments bien caustiques.
 
Entre Ruffin qui exploite son assistant parlementaire en plein confinement, le chanteur Raphaël qui nous fait une belle démonstration de machisme à l’ancienne, ou bien encore Carla Sarkozy qui exprime toute son arrogance de classe en méprisant le confinement, la moquerie est sans vergogne et sans retenue. Et franchement, moi ça me fait marrer.


Alors certains diront peut-être que tout ça c'est un brin facile, gratuit et tout aussi malhonnête intellectuellement que dans « Ouvrez les guillemets », sauf que là il se trouve qu'on est dans un type d'exercice autre que l'édito et qui, pour moi, donne tout son intérêt aux gros traits, à la fourberie et aux coups non mouchetés ; un exercice qui manque d'ailleurs peut-être un peu trop à notre monde politique d'aujourd'hui. Je parle bien évidemment de la satire, voire de la caricature.
 
On n'attend pas d'une satire qu'elle nous dise ou nous représente fidèlement le vrai. On attend d'une satire ou d'une caricature qu'elle libère l'esprit par le rire ou la moquerie ; qu'elle rompe un tabou ; qu'elle produise une désacralisation de l'objet montré. Et pour le coup je trouve que nos deux Confinautes ont trouvé l'endroit et le moment rêvés pour faire ça. Alors que beaucoup sont bousculés dans leur habitude par le confinement et se produisent parfois maladroitement sur Internet, c'est l'opportunité idéale pour remettre tout le monde au même niveau et d'y aller franchement.


En fait, je trouve qu'il y a dans ces « Confinautes » la résurgence d'un esprit que je considère assez proche de celui  des « Guignols de l’info. »
 Alors certes la qualité d'écriture et l'impact ne sont pas les mêmes qu'aux temps du trio Gaccio-Hanin-Delépine - le spectacle offert n'a d'ailleurs pas la même portée corrosive - mais on retrouve finalement une démarche assez proche.
Des pastilles brèves. Des sujets d’actualité tous azimuts. De l’humour qui n’a que pour seule limite celle qu’on veut bien lui donner. Et surtout cette même petite jouissance à voir les paroles acerbes écorner aussi librement l'image des puissants.
 
Hasard ou pas : il y a à peu près un an, sur un live, Usul entendait partager ses sketchs des Guignols préférés. Il en parlait avec nostalgie. Il rappelait la force corrosive de l'humour. Et surtout il insistait sur l'anomalie de cette émission... Comment imaginer revoir aujourd'hui un tel budget mis au service de l'irréverence ?


Alors certes, « les Confinautes » ne sont pas « les Guignols », mais dans ce moment d'improvisation totale qu'est le confinement, avec les moyens du bord, je trouve qu'Usul et son compère Cotentin ont su poser les bases d'une irrévérence salutaire. Certes une irrévérence qui nécessitera qu'on ne soit allergique à de grosses poussées de gauchisme bien épaisses et baveuses, mais une irrévérence qui a au moins le mérite de mettre quelques doigts là où il faut, se contentant simplement de moquer, et c'est déjà pas si mal.


Limite j'espère que nos deux Confinautes sauront tirer quelques leçons de toute cette période là et qu'ils apprendront aussi qu'il est parfois bien plus productif d'être un bon poil-à-gratter qu'un piètre tribun.


Personnellement je ne sais pas ce qu'il restera de cette émission une fois le confinement révolu. Car après tout une actualité chasse l'autre et ce qui était pertinent dans une situation donnée pour très vite devenir obsolète une fois l'actualité passée.
Eh bien moi je pense qu'un petit peu à l'image des « Guignols » je finirai pas oublier une bonne partie de ces « Confinautes », notamment les moments les moins malins, voire même les quelques moments sympas sur l'instant mais banals après coup.
Par contre je pense qu'il y aura quelques moments mémorables que je risque de me revoir quelques fois et cela pendant un petit bout de temps. Parce que l'actualité a beau passer, la pertinence d'une caricature reste. Et moi, autant je n'aurais aucun mal à jeter des années d'épisodes d'« Ouvrez les guillemets » qui ne m'auront rien appris ni apporté, autant je pense que je me garderai toujours sous le coude ce sourire de Ruffin quand il comprend pourquoi une bouteille de jus d'orange a été posée dans le champ de sa caméra... Juste pour ce moment là, j'ai envie de dire : « Merci d'avoir été là les Confinautes... » 

Créée

le 14 avr. 2020

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