Immanquable. La bombe de l'année.

Making a murderer est d'ores et déjà une série culte et un phénomène de société incroyable aux Etats- unis. Un véritable raz- de- marée pour la plus grande affaire judiciaire américaine de ces 30 dernières années, tellement incroyable qu'on a du mal à réaliser qu'elle est toujours en cours.
Making a murderer s'inscrit parfaitement dans la lignée du renouveau exceptionnel des podcasts et des séries TV américaines depuis quelques années (the Newsroom, House of cards par exemple).
En prenant la forme de "série- documentaire", genre nouveau et novateur qui a explosé avec The Jinx il y a un an, mais aussi en s'inspirant librement de podcasts tel que le cultissime Serial, Un coupable idéal (oscar du meilleur documentaire en 2002), ou l'immense série Rectify, Making a murderer est une sublime réussite, à tous points de vue.
Si en Europe il est passé inaperçu, Making a murderer est en train d'exploser les codes et les gens en Amérique : l'affaire Avery semble être un nouvelle "affaire Dreyfus", qui divise considérablement les personnes. Un vrai débat sociétal déchire les pro et les anti- Avery, cela semble intéressant de le préciser.
Si Making a murderer semble aux premiers abords un simple documentaire sur une enquête policière de plus de 30 ans transformée en série pour attiser la faim du spectateur, les réalisatrices et scénaristes Laura Ricciardi et Moira Demos ont réussi 10 ans de travail documentaire titanesque (et le mot est petit !) et acharné sur l'affaire Avery, et ce travail est tout simplement phénoménal.
Cette enquête se transforme en thriller politico- judiciaire bien plus complexe que l'on prévoit et tout est passé au peigne feint par les réalisatrices : c'est d'ailleurs incroyable qu'on puisse voir quasiment TOUT de l'affaire, que ce soit les témoignages, les interviews, les interrogatoires, le procès, les plaidoiries, les images, les preuves comme le parcours de la famille Avery.
Le travail d'investigation et d'enquête minutieuse est colossal, et rien que pour cela, les deux réalisatrices ont mon coup de chapeau.
Avec un parti pris assumé du côté des accusés, Making a murderer est une critique ultra violente et sans concessions du système judiciaire américain, comme rarement il y a eu aux états- unis. Pas seulement une critique mais une remise en cause totale du système par ses problèmes d'appartenance à une communauté, par son sentiment de rejet total d'un être différent, par son manque de justice et d'impartialité, et par sa société de classes qui juge les marginales : derrière le rêve américain se cache le conservatisme américain, qui ici dit : "soit tu es avec nous, soit tu es contre nous".

Le rôle des médias qui déforme continuellement l'information est ici réduit en miettes, permettant de monter une opinion publique contre un innocent, qui lui n'avait rien demandé.
Seuls les avocats, bras droits de la justice un peut trop "idéalisés" par les réalisatrices, tentent de faire régner le droit par tous les moyens, et leur réaction au verdict final traduit toute l'incompréhension et le dégoût d'un système rongé par la corruption et la discrimination. Venant de tels avocats, ça interpelle

Un documentaire glaçant, passionnant, et incroyablement bien rythmée, cadré, monté, filmé, malgré quelques défauts (la longueur est de temps en temps gênant, surtout lors des derniers épisodes), qui va diviser et enflammer les détracteurs comme les admirateurs d'Avery, ce pauvre Avery, véritable victime d'un système qui ne veut pas se voir dans le miroir, basé sur un conservatisme et une rigidité exacerbée dans certains états, provoquant de nombreuses injustices judiciaires.
Malgré le fait que les deux réalisatrices ont omis quelques preuves et remarques contre Avery, ce que leurs détracteurs ne vont pas oublier de dire qu'Avery était en fait un gros psychopathe, tout pense à croire qu'il est innocent. C'est ça ce qui est le plus incroyable dans ce documentaire, c'est la non- capacité à la justice de se remettre en cause : tout le monde pense fortement qu'il est innocent, mais personne ne le dit, et la victime reste sous les barreaux, de façon incompréhensible.
Making a murderer est un thriller judiciaire qui atteint son paroxysme avec un long procès de nombreux mois, où les avocats traités en héros sans peur et sans reproches, n'ont plus le choix de partir sur la théorie d'un complot aussi absurde que possible. Un procès extraordinaire, haletant, étouffant, dont les silences disent plus que les mots, une bataille entre des avocats qui tentent de sauver Avery et un procureur faisant office de "grand méchant" qui les rabaisse dès qu'il peut.
Mais, au final, quel est le résultat ? Steven Avery est- il coupable ? Ou est- ce une machination policière qui le stigmatise et le discrimine à tout prix, à cause de sa non- conformité ? Personne ne le saura, et c'est ça le plus intéressant.

Fascinant, énigmatique, bouleversant, explosif, permettant de rentrer complètement dans l'oeuvre, Making a murderer est un chef d'oeuvre. Un chef d'oeuvre qui nous chamboule, qui nous fait crier à l'injustice, qui nous remue. Mais où est la justice, lorsque le mythe du rêve américain remplie d'égalité et d'impartialité est ici un mensonge ? Il n'y a que la place pour la normalité, le conformisme, le conservatisme, et la règle.
Un documentaire qui fera date dans l'histoire des séries télé. Un formidable testament de l'Amérique profonde, celle que l'on voit rarement, sublime, poétique, mais aussi ce qu'elle révèle derrière ces procédés, l'horreur de l'étranger.

PS : les parents sont formidables. Chacun à son moment de gloire.