The OA
7.2
The OA

Série Netflix (2016)

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Une fusion improbable mais efficace entre Père Castor, le Club des cinq et Eyes Wide Shut.

Mystère, s. m.
Chose cachée et difficile à comprendre. Il se dit particulièrement des choses de la Religion, et alors il signifie dans un sens plus resserré, Dogme dont le fond est inaccessible à la raison humaine. Du latin mysterium, pris dans le même sens, du grec musterion, dérivé de mueo instruire sur les choses sacrées, initier : racine, muo, je ferme, parce que les initiés doivent fermer la bouche et se taire sur les choses saintes.


Initié, s. m. Chez les Anciens, celui qui avait été initié aux mystères, etc. (du latin initiatus).


Initier, v.a. C’était chez les païens admettre à la participation des cérémonies secrètes de la religion. Du latin initiare, d’initium commencement, ou plutôt d’initia, orum, premiers éléments d’une science.


*


The OA est une série qui repose massivement sur le mystère et sur la rétention des savoirs. La durée s’élabore ainsi de façon lente et graduelle sur le mode de la révélation. Assez décevante si l’on s’en tient au pur scénario, The OA est assez stimulante par ses présupposés et ses enjeux.


Les conditions mêmes de la narration (le storytelling) reproduisent celles d’un roman, par la voie orale : un groupe d’individus, à la marge pour différentes raisons, reçoit le récit étonnant de Prairie Johnson, une jeune femme qui sort d’une captivité de sept longues années à la suite de laquelle elle a mystérieusement recouvré la vue, ne supporte plus le contact physique, refuse son ancienne identité et souhaite qu’on l’appelle « the OA ».


Nous suivons ce personnage féminin qui fait le récit de sa captivité à un cercle restreint d’auditeurs choisis (cercle dont ses proches sont rigoureusement exclus). Le spectateur est ainsi plongé dans l’attente et dans une addiction semblable à celle vécue par les jeunes « élus » découvrant les mystères de l’OA. Sur ce principe, chaque émotion ou réaction des auditeurs met en scène et en abyme celles du spectateur. Il est donc impossible de s’en tenir à une stricte déception face à cette série qui intègre la suspension d’incrédulité tout autant que sa rupture.


La suite de cette critique multiplie les SPOILERS : vous êtes prévenus !



Indices internes de fictionnalité



La série se constitue progressivement comme la métaphore filée d’une fiction littéraire, donnant à voir sa construction, sa réception et ses effets.
Le lieu de l’histoire et tout le « protocole » inhérent aux séances de récit par l’héroïne s’instaure rapidement comme l’image du pacte de lecture : chaque membre du « cercle » doit en effet quitter son foyer en laissant la porte d’entrée ouverte. Première métaphore, riche parce qu’ambiguë : on peut l’entendre comme la suggestion d’un départ vers l’ailleurs (l’imagination), l’abandon de la sécurité du quotidien, mais aussi comme une forme de sacrifice (le foyer abandonné est ouvert à tous les dangers). Ce geste préliminaire manifeste ainsi la confiance totale du lecteur/auditeur de fiction tout autant que l’abandon des confortables repères du quotidien.
Le lieu choisi pour les séances de récit est aussi intéressant puisqu’il s’agit d’une maison abandonnée en cours de construction, qui sert de squat et de lieu de divers échanges illégaux pour les jeunes du quartier. Il s’agit ainsi d’une sorte de non-lieu, de lieu à la fois neutre et à construire, à investir, notamment par l’imaginaire pour en faire un lieu authentique.
Tout comme l’impératif de la porte d’entrée laissée ouverte, le caractère nocturne des séances stimule une perte de repères et assure une réception idéale. Prairie demande à ses auditeurs de fermer les yeux lorsqu’elle raconte, métaphore évidente de la suspension d’incrédulité. Les yeux clos assurent l’entrée dans une « vision » de l’esprit, plus vaste, offerte aux vertiges de l’imagination.
D’autres indices parsèment la série : par exemple le titre de l’épisode 6 : « Forking Paths », qui fait sans doute référence au premier livre de contes de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges : Le jardin aux sentiers qui bifurquent (1947). Cette allusion est intéressante quand on sait le goût de l’auteur pour les rapports complexes qui existent entre biographie et falsification, rêve et réalité, identité et simulacre, jeu, illusion et tromperie.



Immersion/Emersion



La série propose, à différents moments-clés des scènes d'immersion, plus ou moins volontaires. La première scène de la série révèle l'héroïne sautant d'un pont. Plus tard, nous la retrouvons sous son nom de petite fille russe, Nina : sous l'autorité de son père, elle est engagée à se plonger dans une eau glaciale, rite initiatique supposé l'aider à vaincre ses peurs. Le protocole du scientifique Hap (tel que raconté par Prairie) engage une semblable immersion, bien que partielle, puisqu'elle ne concerne que la tête. Dans le dernier épisode, Prairie est traversée par une révélation alors qu'elle prend son bain.
Toutes ses scènes, malgré leurs variations, semblent converger vers l'idée de l’immersion fictionnelle, métaphore traditionnelle lorsqu’il s’agit d’évoquer l’entrée dans la fiction et la suspension d’incrédulité.
Cette « incrédulité » est d’ailleurs aussi rappelée par l’effet de la drogue employée par Hap, qui zombifie les jeunes gens en les rendant dociles et privés de volonté propre le temps de les manipuler comme il le souhaite.



Métalepses



Mais la série devient encore plus stimulante lorsqu’un des auditeurs, Alfonso, découvre dans la chambre de Prairie, discrètement dissimulé sous le lit, un carton comprenant plusieurs ouvrages (sans doute commandés en ligne depuis son retour de captivité) laissant à penser que tout ce qui a été raconté par elle relève du fantasme et du mensonge. Il semble que la jeune femme ait tout simplement mêlé plusieurs récits de différents statuts : fictionnel, documentaire, ésotérique pour accoucher de son histoire, des « cinq mouvements » amenant vers d’autres dimensions. Les jeunes gens seront pourtant amenés à réaliser ces mouvements, et de façon parfaitement synchronisée, lors d’un final un peu grotesque et ridicule si l’on n’y voit pas (encore une fois) une métaphore : celle de la cohérence de la fiction tenant tête à la violence du réel.


La série met ainsi le doigt sur une question passionnante : celle des effets de la fiction dans le monde. La lecture d’un texte, l’audition d’un récit ont-ils dans la réalité des conséquences qui infléchissent le statut de ce texte (récit) ? Comment la fiction se prolonge-t-elle dans le monde, si elle y parvient ?



"Mort de l'Auteur"



La saison s’achève de façon fine sur le doute quant au statut de ce qui a été longuement oralisé par l’héroïne, mais aussi quand à l'état de celle-ci.
Il n'est pas certain que le statut de ce qui a été raconté doive s'accaparer notre intérêt et notre curiosité. Ne pouvons-nous pas aussi nous intéresser au principe de fictionnalité magistralement mis en lumière ? Ce qui compte le plus, est-ce de savoir si Prairie Johnson est bien « l’Ange Originel » ou bien plutôt de comprendre pourquoi quatre auditeurs aux parcours différents décident de lui accorder du crédit ? En tous les cas, Prairie demeure un personnage énigmatique, « ange originel » selon ses propres termes, « miraculée » selon la presse locale, folle pour certains, sorte de mentor, voire de gourou pour ceux qui ont suivi son histoire.
Grièvement blessée, Prairie semble se réveiller dans une pièce inondée d'une lumière blanche et aveuglante suggérant de façons opposées une forme de paradis, ou au contraire, une chambre capitonnée. Insidieusement, l'indice le plus fort reste non pas visuel, mais auditif : l'héroïne en effet en appelle à un certain "Homer" de façon interrogative, ce qui renvoie évidemment au nom de celui qu'elle aime, mais aussi et surtout à l'auteur de l'Iliade (un des ouvrages commandés en ligne depuis son retour de captivité). Ainsi, la série s'achève sur la question de la mort de l'héroïne / de l'auteure de la fiction, laquelle retrouve enfin le premier de tous les auteurs : Homère...


Il y a fort à parier que les intérêts de cette série s’éteindraient dans une deuxième saison. Le mystère de la fiction / les charmes du storytelling apparaissent au fil des huit épisodes dans leur caractère brut. L’ultime épisode suggère d’ailleurs assez bien son influence sur la vie de chacun des personnages, qui semblent (?) être parvenus à s’intégrer, forts des valeurs et des espoirs qui sont désormais les leurs.


The OA est une série captivante, stimulante, qui laisse sciemment le spectateur sur sa fin (faim), en appétit de fiction. Que demander de plus ? (Si, une chose : que les quelques scènes de mort imminente aient été filmées par le réalisateur de The Fountain !)

Queequeg
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le 16 janv. 2017

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