Ou le cœur à la place des mains

Je ne pensais pas critiquer des séries sur mon compte Sens Critique, souhaitant me limiter uniquement aux films au cinéma ou en VOD (bien que les films produits en streaming m'intéressent rarement), mais face à la stratégie de Disney + de faire principalement des one-shots (ressortez cette critique quand "What If" saison 2 sera officialisé), il me semblait plus abordable de pouvoir traiter certaines créations comme un gros contenu de 4-5 heures plutôt que comme une aventure sur plusieurs années.

"What If" étant encore frais dans mon esprit (ayant rattrapé les épisodes manquants hier soir), que vaut ce laboratoire artistique du MCU ?

Puisque oui, que ce soit sur leurs séries en live-action où sur cet étrange concept animé, la maison Marvel profite du service du géant Disney pour pouvoir expérimenter de nouvelles choses, de nouvelles émotions, et se permettre (au moins de tenter) de sortir du schéma formaté et clinique des films MCU pour le cinéma (n'en déplaise à Kévin Feige brandissant cette pauvre Chloé Zhao comme une preuve de sa sensibilité artistique). Ce concept de laboratoire, bien présent dès le lancement de Wandavision trouve ici une nouvelle dimension en exploitant le fameux multivers Marvel qui va enfin exploser dans "No Way Home" en fin d'année (bien que mes attentes envers le film soient niveau zéro).

Avec "What If", les réalités alternatives deviennent un sacré défouloir pour faire mourir n'importe quel personnage, emmener la psyché de ces figures héroïques dans de nouvelles directions, et de pouvoir proposer des concepts déjà explorés par les comics, mais peu adaptable sur grand écran, afin d'exploiter les concepts soit avec force, soit de manière pitoyable (on reviendra sur l'épisode zombie plus loin).

Commençons d'entrée par ce qu'il est inévitable d'aborder. Non, pas le casting vocal avec des voice actors faisant de leurs mieux pour imiter les Avengers qui ne sont pas revenus pour se doubler, mais bien de l'animation : exploitant l'imagerie du rotoscoping rappelant "A Scanner Darkly", on se retrouve face à quelque chose de fort perturbant, cherchant à simuler l'humain, mais d'une manière à la limite de la robotique. Les expressions faciales se révèlent parfois perturbantes, et toute la bonne volonté du studio ne pardonnera pas des scènes d'actions molles et extrêmement longues, rappelant nos pires souvenirs de combats d'animés sans fin.

Étant dans une logique d'œuvre "à sketchs", les scénarios soufflent le chaud et le froid, pour un ensemble bien tiède. Avec son pilote peu inventif et l'épisode où T'Challa devient star-lord devant lequel je me suis littéralement endormi, c'est bien à partir de l'épisode 3 que j'ai doucement commencé à me réveiller, même si le sommeil m'a rattrapé lorsque se met en place l'arc de l'Ultron de l'infinité qui a fait retomber l'esprit Marvel dans sa sauce cinématographique générique. Il est appréciable cependant de voir les scénarios tenter des genres un peu différents (la comédie d'ados avec Thor s'est révélée plaisante) et surtout de ne pas tomber dans un positivisme abrutissant, la plupart des scénarios se concluant par de sales bad endings.

Et la magie d'une œuvre à sketchs, c'est de chercher la petite histoire qui se démarquera des autres et relèvera la qualité globale. Aucun doute sur "What If", c'est lorsque on se demande si au lieu de perdre ses mains, Docteur Strange avait perdu son cœur qu'un petit miracle se produit. C'est même l'épisode qui m'a poussé à écrire cette critique, tant sa force m'a marqué. Construit autour de l'horreur de la fatalité face à laquelle on ne peut rien (bien que l'aspect "Multivers" peut faire tiquer sur les explications de l'Ancien), l'histoire construit avec intelligence la chute d'un des plus puissants héros de la culture moderne face à un drame dont il ne peut se relever.

Rarement, dans le MCU, on aura ressenti les enjeux et la puissance d'un demi-dieu mystique aux pouvoirs gigantesques. Rarement, dans le MCU, l'émotion aura été aussi forte, les relations si bien installées, et la chute d'un géant aussi dramatique ("Thanos récupérant la pierre de l'esprit" x1000). Rarement, dans le MCU, mon cœur aura été aussi engagé, brisé, et mort lorsque arrive le générique de fin. C'est clairement une charge d'émotions nucléaire que cet épisode 4 nous lâche, et j'ai dû mal à citer quelque chose de plus émouvant dans tout le MCU. Encore une fois, le MSU (Marvel Series Universe) révèle tout le potentiel de son aspect laboratoire, déjà bien installé avec les Séries de Wandavision et Loki.

Cet enthousiasme qui aura été désamorcé immédiatement après par le pitoyable épisode zombie, avec son humour mal placé et ses enjeux mous au possible. Jamais intéressant ni effrayant, de loin le pire épisode de la série.

Et malheureusement, peu d'autres choses m'ont marqué autant que l'arc de Strange. Killmonger et Stark était assez convenu, le rôle du Gardien et son importance dans la série était surprenant, mais sans plus, ce qui nous donne un ensemble correct mais rarement très bon.

Extrêmement déséquilibré et inégale selon les épisodes, "What If" en promettait trop, et retombe finalement sagement dans les travers du MCU, au contraire de la série "Loki" qui tient son cap (et on espère que la saison 2 ne va pas tuer tout le bon de la série). Il restera de "What If" une invitation à la curiosité malheureusement peu souvent récompensée, et une envie de varier les plaisirs qu'on saluera. Chacun y trouvera un épisode décevant, un épisode qui fait bien rire, et peu être un épisode qui marquera l'esprit, autant que j'ai été marqué par la fatalité de l'univers quand le cœur remplace les mains.