SensCritique
Cover Les meilleurs albums de 2020

Liste de

50 albums

créee il y a presque 4 ans · modifiée il y a presque 3 ans

Punisher
7.2
1.

Punisher (2020)

Sortie : 16 février 2020 (France). Indie Folk

Album de Phoebe Bridgers

Keith Morrison a mis 9/10.

Annotation :

Score : 9.4

Sur "Punisher", des fantômes et des squelettes croisent Blanche-Neige et Elvis, Halloween est une fête déprimante, les satellites deviennent des OVNIs, le voisin skinhead est enterré dans le jardin, il y a toujours des cabines téléphoniques à Kyoto, les fêtes d'anniversaire ont des thèmes curieux, "Le Magicien d'Oz" se transforme en un conte apocalyptique, un supporter est tué au Dodgers Stadium, le panneau d'affichage annonce que "La Fin est Proche" et on se retrouve nez-à-nez avec Elliott Smith au comptoir d'un bar. Ces éléments absurdes tous plus étonnants et étranges les uns que les autres peuplent le second album de Phoebe Bridgers. Certains sont le résultat d'une imagination macabre, d'autres des anecdotes belles et bien réelles. Tous nous donnent l'impression de traverser un cauchemar éveillé absolument captivant.

"Punisher" est un disque sombre, profondément triste, claustrophobique, glauque et vulnérable. Phoebe Bridgers y mélange des textes intimes avec une fantaisie tordue sur un fond de folk et de rock halluciné qui aide à créer une atmosphère lourde et un monde à part duquel il est quasi-impossible de ressortir. "Punisher", c'est un album qui est habité par des peurs, des idées noires, des souvenirs pesants, des rêves hantants et une sacré désillusion vis-à-vis du monde qui entoure l'artiste américaine. C'est le genre de disque qu'on peu disséquer avec passion, où on peut s'arrêter sur chaque parole et réfléchir des heures à leurs différentes significations. Ou bien on se laisse porter et on plonge dans un univers singulier, parfois effrayant, parfois mélancolique, parfois hilarant, mais toujours très beau. Sans le vouloir, Phoebe Bridgers signe un disque qui résume bien la confusion totale qu'a été l'année 2020 et capture en musique une angoisse existentielle qui ne nous est pas inconnue. "Incroyable" est un adjectif peut-être utilisé à outrance et qui a fini par perdre beaucoup de son sens, mais dans le cas de "Punisher", il semble étrangement adéquat.

(à écouter : "I Know The End", "Chinese Satellite", "Halloween")

Is It Selfish If We Talk About Me Again
6.9
2.

Is It Selfish If We Talk About Me Again (2020)

Sortie : 19 juin 2020 (France).

Album de Kacy Hill

Keith Morrison a mis 9/10.

Annotation :

Score : 9.3

Il n'y a rien d'égoïste dans la façon dont Kacy Hill parle d'elle-même. Derrière ce long titre intriguant et cette pochette qui ressemble à un selfie mûrement réfléchi se cache une synth-pop minimaliste et un condensé d'émotions délivrées avec une délicatesse et une simplicité presque désarmante. Les textes de Kacy Hill ne sont pas forcément les plus recherchés, se contentant généralement d'aller droit au but en relatant des expériences de façon très littérale et n'essayant pas de mobiliser un lexique poétique et complexe pour décrire un sentiment, mais c'est exactement cela qui fait leur force. Avec sa petite voix aigüe très délicate et une profonde sincérité, Kacy Hill donne à des paroles telles que "I believe in you" ou "You never know how time might change your mind" un sens particulièrement fort qui rend ses textes très touchants.

La chanteuse américaine décrit des sentiments que l'on peut tous reconnaître avec une justesse rare. La simplicité de sa plume permet à l'auditeur de se projeter dans ces paroles. Le décor musical qui entoure ces textes et l'interprétation de Kacy Hill viennent renforcer, encore une fois en toute simplicité, l'impact de ces chansons aux sonorités et mélodies nostalgiques et ensoleillées. Même si son titre long, exhubérant et presque ridicule semble suggérer tout l'inverse, "Is It Selfish If We Talk About Me Again" est le meilleur exemple du dicton "less is more". Avec seulement quelques mots, une production épurée qui ne garde que les couches de synthés qui capturent l'émotion exprimée dans les textes et des performances vocales tout en retenue, Kacy Hill réussit à dire beaucoup et nous transmettre au passage un sentiment d'apaisement nécessaire.

(à écouter : "Dinner", "I Believe in You", "To Someone Else")

II: La bella vita
8.1
3.

II: La bella vita (2020)

Sortie : 14 février 2020 (France).

Album de Niia

Keith Morrison a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Score : 8.9

Il y a un an, Niia révélait "Face", le premier extrait du successeur de "I", l'une des plus belles suprises de 2017. Ce single est tout simplement la meilleure chose qu'elle et Robin Hannibal aient produit dans leurs carrières respectives : la chanson mélange un beat trap percutant avec des résonnements de cordes et un sample de Melody Gardot hypnotiques, la voix chaude et délicate de Niia surfant avec une aisance impressionnate sur cette production. "Face" annonçait du bon, du très bon. Et il est réjouissant de constater quasiment un an plus tard que oui, le single était une parfaite représentation de ce qui allait venir avec "II: La bella vita".

Si "I" charmait par sa volupté et ses reflets de Sade, c'était probablement ses mélodies composées au piano qui constituaient l'élément le plus mémorable de ce premier disque. Sur "II: La bella vita", Niia l'a bien compris en nous offrant une seconde partie concentrée sur des morceaux piano-voix. Mais avant ce superbe final, le second album de la chanteuse italo-américaine la voit nous servir un R&B redoutablement efficace. Les quatre premiers morceaux sont probablement les plus excitants qu'elle ait pu signer à ce jour, assumant une certaine influence hip-hop sur le féroce "Black Dress" et faisant des clins d'oeil à des tubes phares des années dorées du R&B comme "Obsessed" de Mariah Carey sur "Obsession" et "Get It On Tonite" Montell Jordan sur "Whatever You Got". Mais encore une fois, ce sont ses compositions piano-voix telles que "If You Won't Marry Me Right Now", "La Bella Vita" et "Cup of Trouble" qui sont les plus frappantes sur cet album, révélant de façon complètement épurée la vulnérabilité, l'émotion et le génie musical de Niia. Si sur "I" elle chantait sa dévotion amoureuse avec une classe incroyable, sur "II: La bella vita" l'ex-protégée de Wyclef Jean y raconte sa déception sentimentale avec une confiance et une force qui la démontrent comme étant une musicienne ambitieuse et sans concession.

(à écouter : "Face", "If You Won't Marry Me Right Now", "Whatever You Got")

DEMOTAPE/VEGA
4.

DEMOTAPE/VEGA (2020)

Sortie : 25 septembre 2020 (France).

Mixtape Street de Berwyn

Keith Morrison a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Score : 8.7

La musique de BERWYN est marquée par une sincérité rare et précieuse qui se ressent constamment sur "DEMOTAPE/VEGA". Sur sa première mixtape, le rappeur de l'est de Londres s'exprime simplement, sa musique vient du cœur et ça se sent. Dans une interview avec Hypebeast, il explique : “I don’t worry about the lyrics when it’s out. I’m telling my story, what else is the point?”. Et en effet, à l'écoute de son premier projet, c'est la seule question que l'on se pose : que demander de plus ? Sur "TRAP PHONE", BERWYN sample un morceau d'Ellie Goulding et interpole le refrain de "Hotline Bling" de Drake ("You used to call me on my trap phone"). Il transforme alors cette composition synth-pop lumineuse et ce tube planétaire au ton joueur en des éléments qui ajoutent un sentiment encore plus déchirant à une chanson qui parle du meurtre d'un de ses amis et qui prend de véritables airs de lettre d'adieu ("And if they have a funeral for you I probably won't even go / I don't cry in front of people, I only cry on my own").

Ce naturel et cette honnêteté dans la façon que BERWYN a de s'exprimer fait de "DEMOTAPE/VEGA" une mixtape poignante. Sur "GLORY", il alterne ses confessions rappées avec un refrain de gospel – des chants spirituels apparaissent à plusieurs reprises sur le projet, y ajoutant un peu de lumière ("FAREWELL", "CRUSHED VELVET") – et nous raconte ainsi ses défaites tout en gardant toujours un peu d'espoir. Sur "017 FREESTYLE", une production minimaliste et austère accompagne le flow du rappeur qui gagne en intensité avant d'exploser et de prendre l'auditeur aux tripes. La musique de BERWYN est profondément intime et sa sincérité peut être désarmante. Quand on écoute "DEMOTAPE/VEGA", on a l'impression d'être avec lui dans son appartement miteux où il a produit, écrit et enregistré ces dix chansons en deux semaines. On a l'impression qu'il s'adresse directement à nous, qu'il nous raconte son histoire en tête à tête. C'est intensément puissant. C'est une façon magnifique de rencontrer cet artiste et il nous laisse avec une certitude : il est nécessaire de retenir ce nom, BERWYN, car il ne fait aucun doute que ce n'est pas la dernière fois qu'on le voit.

Ce que je retiens : "TRAP PHONE", "HEARTACHE & CHEST PAINS", "GLORY".

Women in Music, Pt. III
6.9
5.

Women in Music, Pt. III (2020)

Sortie : 26 juin 2020 (France).

Album de HAIM

Keith Morrison a mis 9/10.

Annotation :

Score : 8.7

En 2020, personne n'a fait de la pop ou de rock comme les sœurs HAIM, avec le même niveau d'authenticité, d'originalité, d'énergie et de créativité. Sur leurs deux premiers albums, Danielle, Este et Alana avaient déjà démontré qu'elles pouvaient écrire et produire de très bonnes chansons pop efficaces et pleines de légèreté tout en nous offrant des moments un peu plus calmes et introspectifs. Mais il manquait quelque chose à ces deux premiers essais pour permettre de différencier les morceaux de HAIM de ceux d'autres artistes. Ce quelque chose, le trio l'a trouvé en se débarrassant des productions trop lisses qui lui faisaient défaut pour des instrumentations plus brutes et organiques qui permettent à leurs textes très honnêtes et à leurs talents de musiciennes et chanteuses de briller.

Ces productions moins polies semblent avoir apporté à HAIM une vraie liberté dans leur processus créatif, "Women in Music, Pt. III" étant l'album où elles expérimentent le plus musicalement tout en arborant fièrement leurs nombreuses influences (Sheryl Crow, Fleetwood Mac, Joni Mitchell, Lou Reed...). Entre le R&B insomniaque de "3 AM", l'explosion de guitare saturée de "Up From Dream", la batterie furieuse qui domine "The Steps" et "I've Been Down", les envolées de saxophone ensoleillées de "Summer Girl" et "Los Angeles", les reflets ska de "Another Try" ou la cacophonie jubilatoire de "All That Ever Mattered", ce troisième opus semble nous présenter HAIM comme on ne les a jamais vues. Et leurs textes confirment cette impression, les trois sœurs – et Danielle Haim en particulier – se livrant comme elles l'ont rarement fait. La manière dont la benjamine décrit la morosité quotidienne et la douleur banale de la dépression ("I'm waking up at night, tick-tock, killing time/A little moonlight coming through the blinds/The love of my life sleeping by my side/But I'm still down") est d'une justesse rare. Les élans pop de "Women in Music, Pt. III" empêche cependant l'album de refléter la lourdeur de ses sujets restant fidèle au talent incomparable de HAIM pour confectionner des chansons pop parfaites, comme le prouvent les fantastiques "Gasoline", "Summer Girl" et "Now I'm In It". Après toutes ces années, le trio a enfin trouvé l'équilibre parfait entre leur pop irrésistible et ce côté "singer-songwriter" qui ajoute de la profondeur et du sens à leurs chansons. "Women in Music, Pt. III" est un triomphe.

(à écouter : "Summer Girl", "Now I'm In It", "I Know Alone")

After Hours
7
6.

After Hours (2020)

Sortie : 20 mars 2020 (France). Pop, New Wave, Pop Rap

Album de Abel Tesfaye (The Weeknd)

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.5

"After Hours", c'est un peu l'album que The Weeknd était sensé faire depuis "Beauty Behind The Madness", quand il a débuté une collaboration avec Max Martin qui l'a amené à explorer une pop à l'inspiration 80s très prononcée en contraste assez fort avec ce que le chanteur avait proposé jusqu'à ce moment là. Mélanger son alt-R&B mélo sombre et urbain qui l'avait connaître avec une pop à la Michael Jackson assumée qui lui a permis d'exploser sur la scène mainstream est ce qu'Abel Tefaye a essayé de faire sur ses deux derniers albums, avec plus ou moins de succès. Il n'avait cependant jamais réussi à proposer un disque qui ressuscitait l'atmosphère sombre, claustrophobique et hallucinée de ses mixtapes et de "Kiss Land" avec les grosses productions pop qu'il nous a servi depuis 2015. Mais sur "After Hours", il le fait enfin avec des morceaux très cinématiques ("Escape From L.A.", "Faith", "After Hours") qui semblent nous plonger dans un "bad trip" situé entre un film de Nicolas Winding Refn et "Fear and Loathing in Las Vegas".

La qualité de cet opus se trouve vraiment dans la capacité de l'artiste et ses producteurs à mélanger l'aspect pop et l'aspect "alternatif" de The Weeknd dans un même album qui est très cohésif et prend des allures de bande-son d'un film. Là où sur ses précédents disques, Abel Tesfaye offrait plus une sélection de chansons qui vivaient ensemble au sein du même projet sans jamais avoir un lien particulier les unes avec les autres - cas flagrant sur "Starboy" - sur "After Hours" le chanteur canadien nous offre un album sans temps mort, où l'on passe d'une ballade retro-80s comme "Scared to Live" à un morceau-confession comme "Snowchild", qui semble tout droit être sorti de "Trilogy", sans pour autant sortir de l'univers que l'artiste a confectionné. Dire que "After Hours" est le meilleur projet d'Abel Tesfaye n'est pas forcément exagéré, mais cela serait ignorer des oeuvres comme "Kiss Land" ou "House of Balloon". On dira donc que c'est le meilleur album de The Weeknd version mainstream, un des artistes pop les plus fascinants de ces 10 dernières années et qui le prouve comme il ne l'a jamais fait sur son quatrième opus triomphant.

(à écouter : "Snowchild", "After Hours", "Hardest to Love")

Lianne La Havas
7.1
7.

Lianne La Havas (2020)

Sortie : 14 juillet 2020 (France).

Album de Lianne La Havas

Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Score : 8.4

Sur son troisième opus éponyme, Lianne La Havas livre le type de disque qui semble inévitable dans la carrière d'une artiste qui se livre à cœur ouvert dans musique : celui qui relate une relation du début à la fin, de la première rencontre à la séparation, de l'excitation de ressentir quelque chose d'aussi fort et d'aussi bon pour une personne ("Read My Mind") à la douleur de se rendre compte que cette relation ne fonctionne pas et ne peut pas perdurer ("Paper Thin", "Please Don't Make Me Cry"), du plaisir procuré par la présence cette personne ("Green Papaya") aux regrets qui viennent avec la solitude soudaine qui suit la fin d'une relation ("Courage"), de l'ivresse d'un amour incontrôlable ("Can't Fight") à ce moment où les leçons ont été tirées, la page tournée et la paix avec soi-même retrouvée ("Sour Flower"). Lianne La Havas nous raconte une histoire d'amour personnelle avec beaucoup une simplicité et une honnêteté qui permettent à ces petits morceaux pleins de lumière de vraiment résonner chez l'auditeur.

Si "Blood" voyait la musicienne londonienne élargir sa palette musicale en proposant des compositions étoffées, "Lianne La Havas" révèle une production plus légère aux premiers abords, plus organique, donnant à sa neo-soul des airs plus folks, R&B et jazzy que pop. Les guitares retrouvent leur place prépondérante et dominent toutes les chansons de ce troisième album. Cela permet d'appuyer sur la qualité des compositions de Lianne La Havas et d'accentuer ce sentiment d'intimité qui fait la force de ce disque. L'envie de la chanteuse de s'entourer de collaborateurs tels que Bruno Major ou Nick Hakim qui savent créer une atmosphère enivrante avec juste une partition de guitare n'heurte en aucun cas le plaisir procuré par cette œuvre musicale incroyablement chaleureuse. La production a beau être excellente, la voix et la présence incroyables de Lianne La Havas sont principalement ce qui fait que ce disque irradie une beauté rare, émouvante et même réconfortante. "Lianne La Havas", c'est le type d'album qui s'écoute aussi bien sous le soleil estival qui reignait quand il est sorti que dans la froideur d'une fin de journée hivernale où l'on se dépêche de rentrer chez soi. C'est une petite tranche de vie et d'amour qui fait beaucoup de bien et dont les détails subtiles la rendent encore plus excitante à écouter.

Ce que je retiens : "Bittersweet", "Weird Fishes", "Green Papaya".

Gang
7
8.

Gang (2020)

Sortie : 3 avril 2020 (France).

Album de Headie One

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.3

L'union entre Headie One et Fred again.. est tout bonnement parfaite. Cette affirmation est la meilleure façon de résumer "GANG", un album qui est né d'une collaboration rapprochée entre les deux artistes. D'un côté, une des figures montantes de la drill "made in UK", qui s'était notamment fait remarqué avec sa mixtape "Music x Road" l'année dernière et ses nombreuses incarcérations. De l'autre, un producteur dont les sonorités électroniques se sont retrouvées chez Brian Eno, Ellie Goulding, Stormzy ou encore Charli XCX. Une union donc pas tout à fait illogique, mais pas tout à fait attendue non plus. Sur "GANG", la production industrielle et nocturne de Fred again.. (parenthèse : écoutez son EP "Actual Life") rencontre le flow énergique et passionné et la voix grave de Headie One. La fusion est parfaite, l'alchimie est là et comme toute bonne collaboration se doit de le faire, elle va permettre aux deux artistes de se pousser encore plus loin.

Fred again.. s'amuse avec le flow de Headie One et avec la voix de celui-ci, la trafiquant, la passant au Vocoder et la transformant en un élément sonore parmis d'autres au sein des pistes instrumentales qu'il a confectionnées. De son côté, le rappeur utilise cette opportunité pour expérimenter avec son flow et avec la façon dont il construit ses chansons. Le refrain de "Smoke" - le meilleur morceau de l'album, une collaboration monstrueuse avec Jamie xx - le révèle sous un tout nouveau jour, sa voix devenant presque hypnotisante, répétant machinalement ce qui finit par ressembler à un code, une sorte d'instruction ("Smoke, dust/Phones, drugs"). "Smoke" est l'exemple absolu de ce que l'union entre Headie One et Fred again.. réussit à créer : une atmosphère, sombre et inquiétante, captivante et presque dystopique. "GANG", c'est aussi l'occasion pour Headie One de montrer une version de lui plus vulnérable, où certains éléments associés à la drill et à une certaine force ou violence révèlent en réalité un message de fraternité et de loyauté ("GANG", "SOLDIERS"). Aidés par des invités tels que FKA twigs, Sampha, Jamie xx et slowthai - excusez du peu - Headie One et Fred again.. signent un album où les bangers et la production très rythmée deviennent le décor de quelque chose de beaucoup plus poignant, d'un besoin d'union, de respect et de loyauté.

Ce que je retiens : "Smoke", "GANG", "Told".

Agüita
7
9.

Agüita (2020)

Sortie : 2 octobre 2020 (France).

Album de Gabriel Garzón-Montano

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.2

Il y a quelque chose dans la musique de Gabriel Garzón-Montano qui captive l'auditeur et le transporte immédiatement dans un univers coloré, lumineux, idyllique et pas dénué de vulnérabilité. Sur "Agüita", la pop symphonique du musicien américain aux origines colombiennes et françaises s'enrichit avec des expérimentations délicates (du vocoder sur "Someone", des éclats de musique électronique sur "Blue Dot") et voit l'artiste nous surprendre avec des morceaux aux influences de latin trap et de reggaeton totalement inattendues de sa part. Et le meilleur dans tout ça, c'est que même au sein d'un album aux instrumentations symphoniques et aux textes hantés par la déception amoureuse et la disparition de la mère du chanteur, ces productions accrocheuses aux beats percutants y trouvent totalement leur place !

Ces chansons au ton plus aggressif et décidé ("Agüita", "Mira My Look", "Muñeca") deviennent alors de véritables hymnes de fierté célébrant l'identité de Gabriel Garzón-Montano, son héritage culturel et l'influence de ses parents qui plane au dessus de cet album ("Moonless"). "Agüita" est un projet plus assuré que les précédents et également plus intime et introspectif. Pour chaque morceau au rythme soutenu et au rap enjoué, il y a une chanson où les guitares et les ensembles de cordes viennent envelopper et porter la voix pleine de fragilité et de mélancolie de Gabriel Garzón-Montano ("Bloom", "Fields"). Moins rêveur et plus réaliste que "Jardín", le premier opus de l'artiste américain, "Agüita" est une œuvre plus aboutie, versatile, ambitieuse et personnelle qui a toujours ce pouvoir de transporter l'auditeur dans un univers à part le temps de 40 minutes, cette fois juste avec plus d'émotions.

(à écouter : "Someone", "Agüita", "Blue Dot")

Through Water
6.9
10.

Through Water (2020)

Sortie : 20 mars 2020 (France). Pop, Downtempo, Electronic

Album de Låpsley

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.2

Il y a à peine quelques mois, j'ai découvert Låpsley à travers son EP "These Elements", qui annonçait la sortie de son second album après quasiment quatre ans de silence. Face à l'excitation qu'a provoqué cet avant-goût, j'ai écouté son premier album, "Long Way Home", qui était un peu ce dont à quoi je m'attendais : une pop indie bien produite et où le talent d'auteure-compositrice de Låpsley était bien mis en évidence mais sans jamais créer d'étincelle. Cependant sur "Through Water", la chanteuse n'a plus 19 ans mais 23. Elle s'est donné le temps de vivre, de grandir et de traverser des peines de cœur. Sa musique a évolué elle aussi, n'hésitant pas à se laisser influencer par des sonorités électroniques tout en gardant le côté doux et épuré qui avait fait connaître l'artiste liverpuldienne. Sur "Through Water", Låpsley utilise parfois sa musique plutôt que ses mots pour s'exprimer. Ainsi, sur la piste-titre d'ouverture, elle utilise un discours de son père - un ingénieur en développement durable - qu'elle déconstruit en une étonnante partition. Sur "Leeds Liverpool Canal", elle peint avec seulement une production instrumentale un paysage apaisant et rêveur.

Mais même si les sonorités sur "Through Water" sont frappantes - qu'il s'agisse d'un morceau influencé par l'Afrobeat ("First") ou de chansons lentes émouvantes ("Ligne 3"), la plume de Låpsley l'est tout autant. La chanteuse parvient à mélanger un style d'écriture poétique et visuel foisonant de métaphores (évident sur le sublime "My Love Was Like The Rain") et qui est pourtant empreint d'une grande vulnérabilité qu'elle ne cherche jamais à cacher. Cela résulte en un album où lles productions embracent parfaitement et de façon parfois surprenante les textes très directs de Låpsley. Un bel exemple de cela est "Sadness is a Shade of Blue", un morceau sur lequel l'artiste anglaise décide de quitter son compagnon qui se complait dans son propre mal-être, comprenant que cette relation ne pourra rien lui apporter de bon et qu'elle souhaite s'en émanciper. Un sujet assez lourd qui prend, grâce à la production, la forme d'une chanson pop très légère. Ce contraste entre douleur et légèreté, est ce qui fait de "Through Water" un album marquant grâce à l'honnêteté de ses textes tout en nous restant à l'esprit comme un disque de pop dans lequel on peut trouver un certain apaisement et une petite dose d'alégresse.

(à écouter : "Ligne 3", "My Love Was Like The Rain", "Sadness is a Shade of Blue")

græ
6.9
11.

græ (2020)

Sortie : 15 mai 2020 (France).

Album de Moses Sumney

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.0

Moses Sumney qui troque sa musique acoustique minimaliste et fragile pour les grandes envolées rock survoltées de "Virile" a été pour moi une des plus grandes suprises de 2020 ! "græ", l'album qui a suivi, est dans un premier temps allait dans cette voie et a vu l'artiste laisser sa créativité s'exprimer le long de 12 pistes qui fourmillent d'idées intéressantes, de choix musicaux surprenants (la voix modifiée du chanteur qui devient un cuivre sur "Gagarin") et des performances vocales passionnées et habitées.

De la part de celui qui nous avait livré l'intime "Aromanticism", la première partie de "græ" était une sacré révélation qui aurait pu être déroutante si elle n'était pas aussi brilliante ! Le scaphandre était devenu papillon. Mais la folk aux accents soul qui avait révélée Moses Sumney n'était en faite pas très loin - elle était déjà un peu là sur "Polly" - et la seconde partie de l'album nous a offert un mélange de ces productions plus acoustiques et épurées avec l'audace musicale que l'artiste avait montré sur les chansons précédentes. Une évolution qui surprend dans un premier temps mais qui prend ensuite tout son sens et qui livre un sacré beau moment de musique !

(à écouter : "Me in 20 Years", "Polly", "Two Dogs")

It Was Divine
7.3
12.

It Was Divine (2020)

Sortie : 24 avril 2020 (France).

Album de Alina Baraz

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.0

Entre son travail avec Galimatias et son EP "The Color Of You", Alina Baraz a toujours été synonyme d'un R&B romantique et sensuel. Sur son premier album, la chanteuse américaine a souhaité explorer davantage le sujet inépuisable des relations amoureuses en trouvant son inspiration dans sa propre expérience et en choisissant de retracer cette histoire personnelle chronologiquement. Outre la production impeccable signée par des pointures du genre (D'Mile, Shea Taylor, lophiile, Robin Hannibal), la force de "It Was Divine" se trouve surtout dans la vulnérabilité dont fait preuve l'artiste qui est mélangée avec cette sensualité et cette confiance qu'elle a toujours montrées. Cela permet de renforcer l'intimité déjà présente dans les chansons, qu'elles parlent ouvertement de sexe ("Gimme The Wheel") ou soient sentimentales ("More Than Enough", "Say You Know"), et le côté autobiographique de cet album. La piste d'introduction, "My Whole Life", est le parfait mélange entre une chanson typique d'Alina Baraz, romantique et chaleureuse, et une fragilité assumée qui montre à quel point cette recette peut bien fonctionner.

La chanteuse américaine brille lorsqu'elle chante sa dévotion amoureuse sur des compositions R&B langoureuses mais elle captive vraiment lorsqu'elle s'aventure sur des productions un peu plus inhabituelles pour elle. ll y a tout d'abord "Morocco" qui voit Alina Baraz et 6LACK s'échanger des paroles crues sur une ligne de basse puissante et "Off the Grid", une collaboration nocturne avec Khalid. Nas apparaît sur le légèrement plus épuré "Until I Met You" qui prouve que juste un bon beat et quelques riffs de guitare suffisent à la chanteuse pour livrer un morceau engageant. Le point d'orgue de "It Was Divine" est cependant "To Me", un morceau de rupture porté par une guitare acoustique elle-même accompagnée d'éléments de production oniriques qui permettent d'insister sur le romantisme mélancolique des paroles. Jamais extrêmes ou clichés, les textes d'Alina Baraz décrivent très bien cet entre-deux où une relation arrive lentement à sa fin, pas à cause d'une trahison mais juste parce que les deux partenaires ont changé et avec eux leurs sentiments. En restant toujours sur la retenue, la chanteuse livre un premier album intime et séduisant qui porte bien son nom. L'un des meilleurs disques de R&B de 2020.

(à écouter : "To Me", "Morocco", "Gimme The Wheel")

Sin miedo (del amor y otros demonios) ∞
7.1
13.

Sin miedo (del amor y otros demonios) ∞ (2020)

Sortie : 18 novembre 2020 (France).

Album de Kali Uchis

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.0

Après "Isolation", un premier album assez difficile à catégoriser entre pop, R&B, soul, funk psychédélique et musique latine, Kali Uchis avait promis qu'elle souhaitait se rapprocher davantage de ses racines colombiennes en embrassant les styles musicaux avec lesquels elle a grandi ainsi que de la créativité impressionnante du paysage pop sud-américain actuel. À grand renfort de reggaeton produit par Tainy ("te pongo mal(prendelo)", "la luz(Fín)") ou de boleros qui révèlent de nouvelles qualités vocales ("que te pedí//", "la luna enamorada"), la chanteuse americaine propose une belle évolution organique et authentique de sa musique. "Sin miedo (del amor y otros demonios) ∞" dévoile une autre facette de Kali Uchis en tant qu'artiste sans jamais signer un virage radical suite à "Isolation". La chanteuse ne s'éloigne pas de la soul et du R&B planant et sensuel qui l'a fait connaître ("//aguardiente y limón %ᵕ‿‿ᵕ%", "fue mejor") ni de ses morceaux uptempo sans concession à l'énergie et l'audace furieusement addictives ("¡aquí yo mando!").

Preuve qu'elle ne souhaite toutefois pas stagner dans une esthétique qui lui réussit, Kali Uchis insuffle à sa musique de nouvelles sonorités et idées originales et inattendues. "vaya con dios" est un morceau sur lequel l'artiste s'essaye au trip-hop, "telepatía" est une chanson pop bilingue très séduisante et efficace, et bien sûr "la luna enamorada", "ángel sin cielo" et "que te pedí//" voient la chanteuse s'essayer à un registre plus classique de la musique sud-américaine. Suite parfaite au grandiose "Isolation", "Sin miedo (del amor y otros demonios) ∞" continue de montrer que Kali Uchis a une vision artistique digne des plus grands et réussit à réaliser celle-ci avec une assurance et une originalité qui la confirment comme étant un personnage à part dans le paysage pop actuel.

(à écouter : "telepatía", "vaya con dios", "no eres tu(soy yo)")

King’s Disease
6.9
14.

King’s Disease (2020)

Sortie : 20 août 2020 (France).

Album de Nas

Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Score : 8.0

Faisant suite à "NASIR", un album produit par Kanye West qui fait presque figure de "side project" dans la discographie de Nasir Jones, "King's Disease" est la première fois depuis un paquet d'année que l'on a l'impression de retrouver une véritable ambition chez le rappeur du Queens, une soif palpable dans son flow, une énergie comparable à celle de ses débuts. Mais Nasty Nas n'essaye jamais d'effectuer un retour aux sources ou de s'enfermer dans une réputation sur cet album qui semble sonner le grand retour que l'on attendait de lui, cherchant au contraire à articuler son style avec les tendances actuelles dans le hip-hop et à célébrer sa propre histoire du genre tout en accueillant une nouvelle génération les bras ouverts - Lil Durk, Anderson .Paak, Big Sean jouant les guests stars.

"King's Disease" est un album nostalgique sur lequel Nas regarde en arrière. Cet aspect ressort particulièrement sur la piste d'ouverture et son sample soul, sur "The Cure" avec ses cuivres victorieux et sur le particulièrement mémorable "Car #85", un morceau sur lequel le rappeur nous emmène avec lui en virée à travers un New York à jamais perdu. "King's Disease" est un moment introspectif qui ne tombe cependant jamais pour autant dans l'auto-hommage pompeux, trouvant toujours l'équilibre parfait entre la référence et l'envie de proposer quelque chose de nouveau, de proposer de la musique qui sonne à sa place en 2020. Hit-Boy réussit à préserver des sonorités classiques de Nas tout en le motivant à essayer de nouvelles choses. Cela donne alors des moments tels que le presque trop court "27 Summers", sur lequel Nas révèle une énergie phénoménale sur un beat infusé de trap, ou "Til The War Is Won" qui voit l'artiste américain rapper sur une composition orchestrale de Nicholas Britell issue de la bande-originale du film "If Beale Street Could Talk". Mais l'apothéose de cet album, c'est sûrement quand Escobar retrouve The Firm sur "Full Circle", montrant que les anciens peuvent s'adapter au hip-hop contemporain avec une facilité étonnante. Hit-Boy fait vraiment des merveilles à la production permettant à Nas de briller comme il ne l'avait pas fait depuis des années. "King's Disease" est un album qui fait vraiment plaisir et duquel le rappeur et son producteur peuvent être très fiers, s'inscrivant directement au panthéon des meilleurs disques de Nas et révélant un artiste au sommet de son art.

(à écouter : "Car #85", "Full Circle", "Til The War Is Won")

What’s Your Pleasure?
7.3
15.

What’s Your Pleasure? (2020)

Sortie : 26 juin 2020 (France). Pop, Disco, Dance-pop

Album de Jessie Ware

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.0

"What's Your Pleasure?", c'est un peu l'album que Jessie Ware était vouée à créer à un moment donné dans sa carrière et cela depuis ses débuts. Plus connue pour sa pop infusée de R&B à la Sade, la chanteuse anglaise a toujours revendiqué son amour pour la musique électronique, dance et disco, ce qui s'est senti sur quelques morceaux cachés ici et là (les bonus tracks "Imagine It Was Us" et "All On You", sa collaboration avec Disclosure "Confess to Me"). Sur son quatrième album, Ware embrasse la musique dance qui lui plaît tant, qu'il s'agisse d'un disco magistral remis au goût du jour (l'envoûtant "Spotlight", "Step Into My Life"), d'une musique de club 80s évoquant les productions de Jimmy Jam & Terry Lewis ("What's Your Pleasure?", "Soul Control") ou bien d'influences actuelles, comme Robyn ou Róisín Murphy ("Save A Kiss", "Adore You"). Jessie Ware s'éclate et semble avoir retrouvé l'étincelle qui manquait un peu à son précédent album, "Glasshouse", et propose à l'auditeur une extravagante fête à laquelle on ne peut s'empêcher de participer.

Si "What's Your Pleasure?" tend à se fatiguer et se répèter un peu dans sa partie centrale - de "In Your Eyes" à "Mirage (Don't Stop)" - les deux dernières pistes du disque, le très nocturne "The Kill" bercé de synthés et le mid-tempo chaleureux et poignant qu'est "Remember Where You Are", forment un final grandiose aux productions plus subtiles que celles de la première partie de l'album démontrant que la chanteuse n'a pas besoin de se cacher derrière une production accrocheuse pour être captivante. "What's Your Pleasure" est un disque extrêmement efficace et réjouissant sur lequel Jessie Ware prouve qu'elle cherche toujours à se pousser artistiquement et explorer de nouveaux terrains musicaux.

(à écouter : "Spotlight", "Remember Where You Are", "What's Your Pleasure")

The Ascension
6.8
16.

The Ascension (2020)

Sortie : 25 septembre 2020. Indietronica, Art Pop

Album de Sufjan Stevens

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.0

Sur "The Ascension", Sufjan Stevens observe le monde qui l'entoure, toujours avec une spiritualité qui lui est propre et un certain nihilisme. Même si l'Amérique a toujours eu un rôle phare dans son œuvre, l'artiste de Detroit n'avait jamais partagé sa vision de son pays natal et de sa politique d'une façon aussi directe qu'il le fait sur ce huitième opus. Celui qui a chanté les petites gloires et magnifiait les faits divers ou mythes locaux du Michigan et de l'Illinois à travers une saga d'albums inachevée peint aujourd'hui un portrait beaucoup plus sombre des États-Unis ("America"). Sufjan Stevens ne cherche cependant jamais à pointer du doigt qui ou quoi que ce soit, il se focalise avant tout sur lui-même et analyse la façon dont ses espoirs et ses aspirations ont changé au fil des années, en particulier sur la grandiose piste-titre ("And now it frightens me, the dreams that I possess/To think I was acting like a believer, when I was just angry and depressed") mettant, comme toujours, en mots et en musique des sentiments qui sont parfois difficiles à accepter, examiner et exprimer.

Musicalement, le huitième opus du chanteur américain le voit retourner vers la musique électronique et expérimentale avec laquelle il s'est beaucoup amusé tout au long de sa carrière et surtout ces dernières années. Il faut dire que depuis "Carrie & Lowell", Sufjan Stevens n'a pas chaumé et a proposé des projets très variés et inattendus allant des symphonies électroniques de "Planetarium" au ballet composé au piano de "The Decalogue" en passant par l'écriture de chansons pour le film "Call Me By Your Name". Toutes ces expériences semblent s'exprimer sur "The Ascension" qui prend des airs de synthèse musicale pour Sufjan Stevens. Si les sonorités sont avant tout électroniques, sa sensibilité folk s'exprime aussi sur les morceaux les plus lyriques, mélodiques et, d'une certaine façon, conventionnels de l'album ("Run Away With Me", "The Ascension", "Sugar"). Musicalement, "The Ascension" ne fonctionne pas toujours. Le milieu de l'album notamment semble un peu confus, accentuant au moins la sensation de chaos dans ces chansons dystopiques, mais Stevens nous avait prouvé par le passé qu'expérimental ne signifie pas pour autant bordélique et indigeste. Cependant, quand "The Ascension" frappe juste, l'album le fait vraiment magnifiquement bien et cela arrive, au final, souvent.

(à écouter : "The Ascension", "Run Away With Me", "Video Game")

Fetch the Bolt Cutters
7.1
17.

Fetch the Bolt Cutters (2020)

Sortie : 17 avril 2020 (France). Art Pop, Progressive Pop

Album de Fiona Apple

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 8.0

Pour expliquer mon ressenti de cet album et pourquoi je l'apprécie, laissez-moi vous parler de ma relation avec la musique de Fiona Apple. Elle est facile à résumer : "Tidal", et c'est à peu près tout. Le premier opus de la chanteuse américaine est un disque que je trouve très beau et touchant. Après ça, la musique de Fiona Apple est restée bonne, par moments même excellente, mais en suivant une veine très similaire à ce qui était venu avant, ce qui a fait que je n'ai jamais porté une affection particulière aux trois albums qui ont suivi "Tidal". Puis soudainement en avril 2020, Fiona Apple devient l'événement musical de l'année avec son cinquième opus, "Fetch the Bolt Cutters". Un disque "made at home" réjouissant car il symbolise un renouveau artistique important pour l'artiste.

Si elle reste fidèle à elle-même dans sa façon d'aborder des sujets difficiles avec un humour débousolant ("Good morning/You raped me in the same bed your daughter was born in"), Apple enrichit sa palette sonore teintée de jazz et de pop traditionnelle avec des percussions de toutes sortes, qu'il s'agisse d'une batterie ou de n'importe quel objet qui lui passe sous la main. Cela donne alors un disque qui pourrait tomber dans la cacophonie si sa créatrice et son accolyte Amy Aileen Wood n'avaient pas un sacré talent pour mesurer parfaitement ces différentes sonorités. Un autre élément clé de "Fetch the Bolt Cutters", et le plus magistralement utilisé ici, est tout simplement la voix de la chanteuse. Résolument plus mature et plus rocailleux, l'instrument de Fiona Apple a perdu sa naïveté sensuelle pour laisser place à quelque chose de plus brut. Non seulement cela ajoute une véritable saveur à l'album et appuie sur le côté "je-m'en-foutiste" d'Apple, mais la façon dont elle l'utilise sur "Fetch the Bolt Cutters" en multipliant les harmonies, en jouant avec, en superposant différentes couches vocales pour créer une chorale à une voix est réellement impressionnante. C'est pour cette raison qu'à mes yeux les trois derniers morceaux de l'album sont les plus réussis : il n'y a rien à part des percussions organiques et la voix de Fiona Apple, et pourtant ces chansons ont l'air grandes, très grandes, dignes des plus belles productions de "Tidal". Réussir à créer un album aussi complet avec vraisemblablement pas grand chose prouve du talent et de la créativité toujours aussi forts de l'interprète de "Criminal".

Ce que je retiens : "For Her", "Rack of His", "On I Go".

WILL THIS MAKE ME GOOD
7.3
18.

WILL THIS MAKE ME GOOD (2020)

Sortie : 15 mai 2020 (France).

Album de Nick Hakim

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Note : 8.0

Nick Hakim a toujours été une sorte d'énigme, un artiste pleins de contradictions, un paradoxe complet. Sa musique granuleuse donne à la fois l'impression d'avoir été enregistrée avec les moyens du bord dans une chambre et d'être le fruit d'une véritable ingéniosité et très grande maîtrise. Sa voix apparaît comme un murmure timide sur ses compositions aux fortes influences de jazz et de soul et révèle en même temps une grande puissance. Ses textes sont mystérieux et foisonnent de métaphores incompréhensibles mais peuvent être instantanément bouleversants ("QADIR"). Cet aspect insaisissable s'était déjà exprimé sur son premier album, "Green Twins", offrant de beaux moments de musique mais gardant malencontreusement ses distances avec l'auditeur.

Sur "WILL THIS MAKE ME GOOD", Nick Hakim conserve cette mystique, ce côté intriguant qui rend sa musique excitante et unique en son genre, et fait légèrement tomber le masque avec non seulement des textes plus directs, comme je l'ai déjà noté, mais surtout en laissant ses compositions gagner en simplicité et ainsi en charme ("ALL THESE INSTRUMENTS"), même si le musicien garde la main lourde sur la "reverb" ("WTMMG") et une affinité pour les productions chargées ("ALL THESE CHANGES"). "WILL THIS MAKE ME GOOD" et son côté "homemade" résonnent particulièrement fort dans le contexte dans lequel il a été révélé. Cet aspect allié aux élans psychédéliques et au ton planant des morceaux qui le constituent font de ce second album de Nick Hakim un travail toujours abstrait et rêveur mais basé dans quelque chose de vrai, d'actuel et lui apportent une urgence troublante. C'est un disque très introspectif qui ne s'empêche pas pour autant de s'évader et le reflet d'un état d'esprit dans lequel il est difficile de ne pas se retrouver à l'heure où on n'a pas d'autres choix que de rester chez soi.

(à écouter : "ALL THESE INSTRUMENTS", "CRUMPY", "ALL THESE CHANGES")

The Baby
6.8
19.

The Baby (2020)

Sortie : 28 août 2020 (France).

Album de Samia

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.9

"I only write songs about things that I'm scared of" chante fragilement Samia sur "Is There Something In The Movies?", la piste finale troublante de son premier album qui peint un portrait déchirant car presque trop réaliste d'âmes perdues au sein de l'industrie cinématographique. "The Baby" est en effet un disque habité par les peurs de la jeune auteure-compositrice, mais une ressort en particulier : la peur de grandir. Le premier opus de Samia est l'exemple parfait de ce que la presse musicale anglophone appellerait un "coming-out-of-age album", c'est-à-dire une collection de chansons qui s'intéressent à ce moment particulier, à la fois excitant et complètement terrifiant, où l'on passe à l'âge adulte et laisse derrière nous la naïveté précieuse et la liberté de l'adolescence et de ces quelques années de transformation qui la suive. Samia décrit cette période peu évidente de la vie de façon subtile, très juste et touchante, à grand renfort d'images spécifiques (une égratinure qui ne guérit pas sur "Does Not Heal", une serveuse d'un restaurant dans l'East Village sur "Waverly") mais qui sont utilisées pour communiquer des sentiments que l'on connait tous.

Si "The Baby" doit beaucoup à la plume très prometteuse de Samia, sa musicalité nostalgique et les performances émotives mais, encore une fois, subtile de la chanteuse new-yorkaise sont ce qui permet de transformer ces jolis textes en des chansons communicatives et irrésistibles. De la pop/rock indie ensoleillée de "Big Wheel" qui capture ce moment où l'on réalise que l'on a évolué de façon différente de nos amis ("Got an old friend in Japan/She's been mad at me before/It's just that she and I have got/Nothing in common anymore") à la folk aérienne de "Pool" et ses crépitements électroniques qui évoquent la musique de Bon Iver, Samia créé une bande-son et une ambiance qui ne sont pas sans rappeler celles de ces films américains des années 90s tels que "Ghost World" ou du plus récent "Lady Bird" – qui portait leur influence – qui reflètent parfaitement cette période étrange et parfois terriblement embarassante qu'est le passage à l'âge adulte. Touchant et délicieusement mélancolique, "The Baby" est un premier album qui capture brillamment un tournant important dans la vie d'une jeune adulte et révèle un potentiel énorme et une auteure-compositrice qui semble avoir beaucoup à nous offrir.

(à écouter : "Pool", "Big Wheel", "Stellate")

Set My Heart on Fire Immediately
7
20.

Set My Heart on Fire Immediately (2020)

Sortie : 15 mai 2020 (France).

Album de Perfume Genius

Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Score : 7.9

S'éloignant petit à petit de la pop baroque et des extravagances musicales de "No Shape", Michael Hadreas livre son album le plus personnel et le plus percutant. Les productions sont moins chargées et laissent respirer les chansons intimes de l'artiste américain, permettant de renforcer leur aspect confidentiel et ainsi leur impact sur l'auditeur. Sur "Jason", Hadreas se remémore vivement et avec beaucoup de détails une relation d'un soir qu'il a eu avec un autre homme qui n'assumait pas ou ignorait même sa propre sexualité. L'artiste y chante, sur une composition épurée et aux sonorités oniriques évoquant une version plus sobre de l'art pop qu'il avait perfectionnée sur son disque précédent, le désir angoissant et torturé ainsi que la honte provoquée par le rejet de cet amant. Artiste ouvertement homosexuel depuis son adolescence et atteint de la maladie de Crohn, la honte et la douleur sont des choses que Perfume Genius connaît trop bien et qu'il exorcise sur "Set My Heart on Fire Immediately".

Son cinquième opus est physique, charnel et mélange à la fois une certaine énergie et un sentiment d'épuisement. Le corps y apparait comme une cage qui empêche le chanteur d'être libre, d'être en phase complète avec son psychisme, d'être vraiment – voire plus que – lui-même et de s'évader. Son corps est quelque chose qui le ramène brutalement à la réalité ("Your Body Changes Everything"), comme une sorte de punition. Là où "No Shape" était une œuvre extravagante où Michael Hadreas nous plongeait dans un monde fantasmé, démesuré et surréaliste, "Set My Heart on Fire Immediately" frappe et captive par son réalisme. Malgré des éléments de musique baroque présents partout sur l'album ("Without You", "Whole Life"), les sonorités sont avant tout lourdes et crasseuses, comme pour signifier que derrière et après le rêve, il y a toujours une réalité et une vérité plus douloureuses et difficiles à affronter ("Describe", "Some Dream"). Sur son cinquième opus, Perfume Genius fait face à ses craintes, ses traumatismes, ses incertitudes et ses démons, qu'ils soient le souvenir d'une nuit humiliante ou une maladie qui consume son corps et son énergie. C'est brut, c'est dur, c'est aussi très beau, c'est incroyablement bien produit, écrit et surtout interprété, c'est saisissant et bouleversant, et c'est par conséquent probablement le meilleur album de Michael Hadreas.

(à écouter : "Describe", "Whole Life", "Jason")

Ungodly Hour
7.3
21.

Ungodly Hour (2020)

Sortie : 3 juin 2020 (France).

Album de Chloe x Halle

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score 7.9

Après un premier album empreint d'une légèreté couplée à une créativité forte qui avait révélé les soeurs Bailey comme étant un duo qui mélangeait les deux aspects phares du R&B contemporain - c'est-à-dire des productions travaillées offrant une approche propre du genre, les ralliant au mouvement "alt-R&B", tout en démontrant un potentiel en tant que "entertainers" avec des chansons accrocheuses - "Ungodly Hour" est un second opus qui prend ce concept et l'emmène encore plus loin avec une confiance, une ambition et une maturité affirmées. Les chansons douces et rêveuses ne sont plus omniprésentes, ce qui compte ici c'est avant tout de laisser un impact sur l'auditeur en proposant une collection de tubes démontrant l'étendue des capacités de Chloe et Halle. Tout comme sur "The Kids Are Alright", la production vocale et les harmonies entre les deux chanteuses sont impressionantes, ajoutant un charme à des productions aiguisées qui ne fonctionneraient pas aussi bien sans cela. Bien sûr, "Ungodly Hour" affirme également Chloe x Halle comme étant de dignes successeuses de Beyoncé ou Janet Jackson, avec une collection de tubes redoutables ("Do It" est probablement le plus évident) qui mettent en avant l'assurance qu'ont gagnée les deux soeurs depuis la sortie de leur premier opus. Enfin, ce second album est aussi l'occasion pour l'aînée, Chloe, de confirmer ses qualités de productrice ayant confectionné seule deux des morceaux les plus joueurs et frais du disque, "Baby Girl" et "Tipsy". "Ungodly Hour" est un excellent album de R&B, percutant et accrocheur, créatif et travaillé, qui couronne le duo comme étant deux des artistes les plus excitantes du genre à l'heure actuelle. Comme l'avaient clamé Chloe x Halle en 2018, "the kids are alright" et le futur du R&B est entre de bonnes mains !

Ce que je retiens : "Ungodly Hour", "Baby Girl", "Do It".

Breathing Exercises
8
22.

Breathing Exercises (2020)

Sortie : 28 février 2020 (France).

Album de Frankie Stew & Harvey Gunn

Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Score : 7.8

S'il y a quelque chose qui me séduit particulièrement dans le hip-hop anglais depuis quelques années, c'est cette sincérité qui habite la musique d'un grand nombre de rappeurs et rappeuses britanniques ainsi qu'une simplicité qui dénote parfois comparé à l'exubérance des grands noms de la scène hip-hop outre-atlantique. Cette simplicité sonore et lyrique laisse transparaître une vulnérabilité et un côté humain, visant moins à offrir un moment d'évasion que de proposer des chansons dans lesquelles l'auditeur peut se retrouver. La musique du rappeur Frankie Stew et son producteur associé Harvey Gunn est une parfaite représentation de cette retenue et authenticité britannique. Les deux acolytes maîtrisent l'art du "faire simple" avec des productions aérées qui laissent de la place au flow et au lyricisme de Frankie Stew tout en élevant ceux-ci.

Disque particulièrement intime qui semblait être fait pour une année synonyme d'anxiété comme 2020 l'a été, "Breathing Exercises" porte parfaitement son nom tellement ce projet semble avoir été thérapeutique pour le rappeur. Cela se sent dans les textes qui, sans être les mieux écrits ou les plus intéressants du rap game anglais, sont très accessibles, émotifs et touchants. Le flow léger et posé de Frankie Stew s'adapte à la délicatesse de certaines productions d'Harvey Gunn ("Dream Factory", "Adult Workers", "Breathing Exercises") et lorsque le ton se fait plus enjoué, les deux artistes ne le surjouent jamais ("Water Colours", "Electric Scooter"). Au final, "Breathing Exercises" apparaît comme un petit cocon, un disque réconfortant et malgré tout puissant dans sa légèreté. C'est tout l'art de s'arrêter, se poser quelques minutes et reprendre son souffle traduit en musique. Et ça fait beaucoup de bien.

(à écouter : "Dream Factory", "Humble Pie", "Breathing Exercises")

Dreaming of David
6.9
23.

Dreaming of David (2020)

Sortie : 31 janvier 2020 (France).

Album de Ryan Beatty

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.8

Ce qui frappe le plus à la première écoute du second album de Ryan Beatty, c'est la production vocale étonnante, mélangeant excentricités au vocoder, superpositions d'harmonies et pureté vocale absolue. Une façon intelligente pour celui qui s'est d'abord fait connaître au début des années 2010 en tant que chanteur pour adolescentes de faire un pied de nez aux productions dans lesquelles il a été trop longtemps enfermé. Devenu un artiste de pop indie, Ryan Beatty signe avec "Dreaming of David" un projet encore plus ambitieux, plus riche et qui met en avant de façon évidente le potentiel créatif du chanteur. Ce second opus mélange des productions pop lo-fi où les synthétiseurs et les guitares acoustiques jouent un rôle important avec des créations musicales plus surprenantes. La voix du chanteur domine très souvent les productions, comme sur "Genesis" où la mélodie du morceau réside avant tout dans la performance vocale de Beatty, insistant sur le côté personnel de cet album.

Il est assez facile de reconnaître les influences de Ryan Beatty tout au long de "Dreaming of David". Celle de "Blonde" de Frank Ocean plane partout au-dessus et cet album, notamment sur la façon que Ryan Beatty a d'utiliser des guitares acoustiquess ("Genesis", "Backseat"). Mais on a aussi parfois l'impression d'écouter un disque de Kevin Abstract, un de ses collaborateurs fréquents, sur des morceaux comme "Hawkshaw" et plus particulièrement "Patchwork" avec les expérimentations de Ryan Beatty avec le vocoder et certains couplets qui apparaissent comme presque rappés. Si toutes ces influences sont plutôt réjouissantes, le problème est qu'elles sont parfois présentes de façon un peu trop évidente. Mais sur la seconde moitié de l'album, Ryan Beatty reprend le dessus sur ces différentes inspirations pour bien réaffirmer sa personnalité. Une des plus belles preuves de cela est "Evergreen", une production et composition pop parfaites qui gagnent en originalité grâce au travail réalisé à l'aide du vocoder sur les refrains. La performance du chanteur ici est splendide et permet presque d'appréhender l'outro sortie de nulle part qui clôt le morceau en beauté. "Dreaming of David" est un album qui confirme Ryan Beatty comme étant un artiste pop intéressant et innovant, même s'il doit beaucoup à d'autres artistes, et ses chansons intimes et romantiques se révèlent très touchantes et d'une douceur mélancolique réconfortant.

(à écouter : "Evergreen", "Backseat", "In The End")

New Me, Same Us
6.6
24.

New Me, Same Us (2020)

Sortie : 27 mars 2020 (France).

Album de Little Dragon

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.8

"New Me, Same Us" annonce le titre du sixième album de Little Dragon. Un renouveau donc, mais tout en restant fidèle au style coloré et électrique du groupe suédois ? En quelques sortes ! Contrairement au disque précédent, "Season High", qui était plus dance, "New Me, Same Us" voit Yukimi Nagano et ses acolytes se rapprocher des sonorités R&B plus lentes qui ont toujours fait partie intégrante de leur univers musical et d'instrumentations live qui ajoutent beaucoup de saveur aux expérimentations du groupe. Ce nouvel album est un peu plus "posé" que le précédent et cela permet à Nagano de révéler une facette plus apaisée d'elle-même malgré les épreuves, ce qui offre de beaux petits moments de réflection doux et rêveurs avec des chansons telles que "Where You Belong", le très R&B "Water" ou le plus mélancolique et nocturne "Every Rain".

Généralement face à un album qui mélange des morceaux plus réfléchis et calmes et d'autres excentriques et délurés, on a tendance à trouver que l'une de ces deux catégories est plus réussie que l'autre, que ces chansons offrent plus de choses. La très bonne nouvelle de "New Me, Same Us", c'est que ce n'est pas le cas: Little Dragon excellent toujours sur les deux niveaux ! Si les chansons plus sentimentales et planantes sont touchantes et constituent une agréable dose de fraîcheur, les excentricités musicales déjantées qui s'apparentent à des trips psychédéliques du groupe suédois sont particulièrement joussives, qu'il s'agisse de "Hold On", la piste d'ouverture à la ligne de basse redoutable, du doux-amer "Are You Feeling Sad?" - la réponse : pas tellement après cette escapade musicale euphorique ! - ou l'ovni qu'est "Kids". Tout n'a pas forcément beaucoup de sens et "New Me, Same Us" est un album qui ne fait pas son effet dès le premier coup, mais lorsqu'on lui donne quelques chances ce sixième opus de Little Dragon révèle un peu plus de son charme et son ingéniosité avec chaque écoute. Et c'est ce qui fait qu'on y retourne !

(à écouter : "Kids", "Every Rain", "Where You Belong")

It Is What It Is
6.8
25.

It Is What It Is (2020)

Sortie : 3 avril 2020 (France).

Album de Thundercat

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.8

Thundercat a toujours eu un certain talent pour mélanger un sens de l'humour exagéré et parfois déroutant avec des réflexions existencielles surperposés sur des arrangements riches, quitte à rendre la chose peu accessible. Sur "It What It Is", le bassiste et producteur américain continue cette exploration mais cette recherche du sens de la vie et de la signification de chaque expérience qu'il a vécue résonne de façon particulière ici, le quatrième opus de Thundercat ayant été en très grande partie inspirée par le décès d'un de ses proches collaborateurs et amis, Mac Miller. Écouter le musicien excentrique essayer d'exprimer son deuil et sa peine sur son jazz fusion délirant est un exercice captivant et touchant. Thundercat aborde de manière directe cette disparition et le besoin de trouver – en vain – un sens derrière tout cela sur les morceaux les plus posés mais aussi les plus affectifs de "It Is What It Is", en particulier la piste-titre et "Fair Chance", une collaboration avec Lil B – oui, vraiment – et Ty Dolla $ign qui nous rappelle à quel point celui-ci peut exceller sur ce genre de productions R&B midtempo.

Thundercat n'en délaisse pas pour autant ses morceaux aux rythmes déchaînés et sur lesquels il peut laisser libre court à toute sa créativité et son extravagance musicale. "It Is What It Is" formille de moments franchement drôles et très rafraîchissants dans le contexte de cet album. Je pense notamment au complètement décalé "Dragonball Durag" qui pourtant comporte l'une des compositions R&B les plus conventionnelles du projet, trouvant un juste milieu entre excentricité lyrique et moment musical savoureux, le funky "Black Qualls" ou "Funny Thing", un titre pop court et assez simple mais qui fonctionne incroyablement bien. Thundercat trouve donc un moyen de rester fidèle à lui-même tout en traversant une période de deuil et en souhaitant honorer le souvenir d'un ami disparu subitement et beaucoup trop tôt. Ce côté plus personnel et émotionnel de "It Is What It Is" permet de faire de celui-ci le travail le plus accessible du musicien surdoué et, de ce point de vue, celui qui fonctionne aussi le mieux en tant qu'expérience auditive. Sur "It Is What It Is", Thundercat propose un beau moment à l'instrumentation très riche et qui comporte aussi beaucoup de cœur.

(à écouter : "Fair Chance", "It Is What It Is", "Funny Thing")

I’m Your Empress Of
6.4
26.

I’m Your Empress Of (2020)

Sortie : 3 avril 2020 (France).

Album de Empress Of

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.8

Après un second album sur lequel Empress Of s'était dirigé vers une pop plus conventionelle qui lui permettait de mettre ses qualités de "songwriter" en avant mais sans jamais créer de véritables étincelles, Lorely Rodriguez, exécute une sorte de retour aux sources avec "I'm Your Empress Of", tout en retenant quelques petites leçons de ses expériences avec une pop directe et qui se veut plaisante et teintée d'une véritable légèreté. Le troisième album de la chanteuse et productrice californienne est extrêmement concis et va droit au but : les pistes sont courtes - le disque dure en tout 33 minutes - et les beats extrêmement accrocheurs, la production est riche en synthés et tente souvent des choses originales tout en s'assurant que la voix de l'interprète ne disparaisse pas sous les couches d'instruments électroniques ("Give Me Another Chance", "Awful").

"I'm Your Empress Of" se révèle être une véritable fête de 30 minutes où chaque morceau est plus entraînant que le précédent mais reste un album sur lequel sa créatrice livre des textes personnels et douloureux. L'expression "sad bangers" n'a jamais eu autant de sens qu'avec cet album où Lorely Rodriguez parle de l'impossibilité d'arrêter de se battre en vain pour faire fonctionner une relation qui ne fonctionne tout simplement plus ("What's The Point", "U Give It Up"), le tout sur de la musique dance enivrante co-produite par BJ Burton, décidement un des meilleurs producteurs pop de ces trois dernières années. Un album parfait pour pleurer sur le dancefloor qui permet de réaffirmer Empress Of comme une artiste et productrice fortement sous-estimée après le faux pas que fut "Us".

(à écouter : "Give Me Another Chance", "Love Is a Drug", "What's The Point")

Whole New Mess
7
27.

Whole New Mess (2020)

Sortie : 28 août 2020 (France).

Album de Angel Olsen

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.8

En septembre 2019, Angel Olsen sortait son quatrième album, "All Mirrors", où des chansons de rupture lourdes rencontraient un orchestre qui les sublimait et les rendait encore plus intenses, permettant également à l'interprète de pousser sa performance vocale encore plus loin. Né d'une collaboration avec le producteur John Congleton, cet album époustouflant n'était cependant pas intialement voué à exister sous cette forme orchestrale mais plutôt correspondre davantage aux textes bruts et intimes d'Angel Olsen dans une atmosphère épurée, sans instrumentation soutenue. Il était difficile d'imaginer ce à quoi des chansons comme "Tonight" ou "New Love Cassette" pouvaient ressembler initialement sans toutes ces cordes, et un an plus tard, l'artiste américaine révèle l'album original où les chansons sont présentées sous leur forme la plus pure : juste une voix et une guitare, ce qui était prévu de base.

"Whole New Mess" est une expérience passionnante car il est juste profondément excitant de voir d'où sont parties des chansons qui nous ont accompagnées pendant un an, et ainsi se rendre compte de l'important travail de production qui a été réalisé sur l'album final. Il est aussi poignant de découvrir à quel point Angel Olsen se montrait vulnérable dans ces morceaux, quelque chose qui était déjà évident sur "All Mirrors" mais qui est pencore plus fort ici, comme sur "(Summer Song)" où la performance de la chanteuse est beaucoup plus naturelle et touchante que sur le midtempo "Summer". "Whole New Mess" est aussi, d'un certain point de vue, un testament de la beauté de l'écriture et des compositions d'Angel Olsen. Ce n'est pas forcément un projet qui fonctionnerait aussi bien si "All Mirrors" n'avait jamais existé, mais quand on le prend pour ce qu'il est - la première ébauche d'un album qui se transformera plus tard en quelque chose de franchement grandiose et unique - c'est un très beau cadeau qu'Angel Olsen nous fait et la preuve qu'elle n'a pas peur de se dévoiler complètement, sans artifice, sans violon, sans orchestre. Juste elle et ses expériences. Et c'est très souvent suffisant.

Ce que je retiens : "(Summer Song)", "Whole New Mess", "Tonight (Without You)".

Live Forever
7
28.

Live Forever (2020)

Sortie : 2 octobre 2020 (France).

Album de Bartees Strange

Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Score : 7.8

Mélanger pleins de genres musicaux ensemble sur un seul et même album est un challenge particulièrement difficile à relever qui peut résulter aussi bien en un projet intéressant qu'en une véritable cacophonie. Il semblerait que le secret pour pouvoir réussir à créer un disque où plusieurs influences musicales se rencontrent et fusionnent ensemble harmonieusement serait seulement de faire cela avec authencité. De le faire sans se poser la question, juste parce qu'il est nécessaire pour un musicien d'exprimer des influences qui ont toujours fait parties d'eux. C'est en tous cas la réponse que semble suggérer Bartees Strange sur "Live Forever", un premier album où l'artiste qui a grandi dans l'Oklahoma fait résonner un "stadium rock" et une punk urgente en les conjuguant avec la vulnérabilité épurée de la folk ("Far", "Fallen For You"), le flow déchaîné du hip-hop ("Mossblerd"), le rythme hypnotisant de la house music ("Flagey God") et les accents soul contenus dans sa voix.

Sur la pochette de ce premier album, un portrait du musicien est visible agrémenté de petits gribouillis difficiles à discerner. Cela donne l'impression d'observer Bartees Strange entouré de toutes ses réflexions, comme si on nous donnait à voir le magnifique désordre qui existe en lui. Et "Live Forever" est en effet cela : un album où l'artiste exprime toutes les choses – aussi bien musicales qu'émotionnelles – dont il a besoin de se libérer donnant lieu à de véritables explosions ("Boomer", "Mosssblerd"). Si musicalement Bartees Strange semble questionner la question de genre, il le fait plus globalement à travers les paroles qu'il chante ou rappe tout au long de "Live Forever" qui petit à petit apparaît comme une réflexion intime autour de la question de l'identité, qu'elle soit musicale, ethnique ou de genre. Chaque chanson apparait comme une petite pièce d'un puzzle complexe qui est celui de l'identité de l'artiste américain. Mais le plus fou, c'est que toutes ces petites pièces cohabitent incroyablement bien dans un seul et même album qui réussit l'exploit complètement dingue d'être un ensemble extrêmement cohésif où l'on passe de sonorités radicalement différentes sans jamais être dérouté. "Live Forever" est un glorieux bazar organisé qui brille grâce à son authenticité et la façon dont Bartees Strange ne se fixe aucune règle.

(à écouter : "Flagey God", "Stone Meadows", "Fallen For You")

Song for Our Daughter
7
29.

Song for Our Daughter (2020)

Sortie : 10 avril 2020 (France). Folk

Album de Laura Marling

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.8

Après s'être aventurée sur des terrains un peu plus expérimentaux avec différents projets tels que "LUMP" sur lequel son écriture devenait beaucoup plus abstraite, Laura Marling retourne vers ce qu'elle semble faire de mieux, c'est-à-dire une folk aux arrangements subtiles et très beaux qui mettent les textes de l'auteure-compositrice au premier plan. Sur ce septième album solo, l'écriture de Marling a retrouvé son aspect très confessionnel et imagé. L'artiste sème toujours le doute vis-à-vis des histoires qu'elle raconte, on se retrouve souvent à se demandait s'il s'agit d'expériences personnelles ou de fiction pure. Sur "Song For Our Daughter" – qui, note à part, aurait vraiment dû s'appeler "SongS For Our Daughter" – Laura Marling se situe dans un entre deux. Elle écrit des chansons pour une petite fille fictive, une enfant qu'elle n'a pas eu avec son compagnon. Elle écrit aussi, de façon plus large, pour toutes les petites filles, comme le prouve de façon assez évidente la piste-titre ("Innocence gone but it's not forgot/You'll get your way through it somehow").

Ce septième opus devient alors presque un recueil de ce qu'en anglais ils appaleraient des "cautionary tales", ces contes qu'on nous lit quand nous sommes enfants et qui proposent des sortes de leçons et des avertissements sur le monde qui nous entoure et ce que la vie peut réserver. Laura Marling a une capacité impressionnante à écrire des textes personnels ou qui se concentrent sur un personnage en particulier (par exemple, sa mère sur "Fortune") et faire résonner certains sentiments chez l'auditeur. Ces chansons deviennent alors plus que des morceaux écrits pour sa fille mais ils sont adressés à quiconque souhaite les écouter. Et c'est ici la qualité de ce disque et cette auteure-compositrice qui la positionne dans la lignée d'une Joni Mitchell : le pouvoir de transformer une expérience personnelle en un sentiment universel, le tout porté par de superbes compositions acoustiques qui renforcent le côté intimiste de cet album.

(à écouter : "Held Down", "For You", "Only The Strong")

Dinner Party
7.3
30.

Dinner Party (2020)

Sortie : 10 juillet 2020 (France).

Album de Dinner Party

Keith Morrison a mis 8/10.

Annotation :

Score : 7.8

"Dinner Party" est un projet collaboratif entre Terrace Martin, Robert Glasper, 9th Wonder et Kamasi Washington. Normalement, juste l'annonce de ces noms devrait suffir pour nous faire comprendre que la production et les arrangements seront très propres, parfaitement travaillés, et la musicalité très forte. L'idée de faire collaborer ensemble deux producteurs de hip-hop et de R&B (Terrace Martin et 9th Wonder) avec deux musiciens plus proches du jazz (Robert Glasper et Kamasi Wahsington) semble bonne et cohérente sur le papier. Le résultat l'est aussi, "Dinner Party" étant une petite collection de 8 chansons extrêmement concise qui vise juste et alterne entre un R&B léger et extrêmement plaisant et des petites expérimentations. Quelqu'un qui a écouté un album de Kamasi Washington ou même de Robert Glasper sera forcé d'avouer que leur musique - surtout pour le premier - n'est pas très accessible pour une audience qui ne serait pas déjà quelque peu sensible au jazz. "Dinner Party" évite cela en proposant des morceaux qui même quand ils sont instrumentaux ("First Responders", "The Mighty Tree") arrivent à proposer quelque chose de familier, qui permet de vraiment apprécier l'écoute de ces moments où les musiciens et producteurs ont choisi de "jammer". Une énergie positive se dégage de ce projet et les chansons avec Phoelix, au ton R&B beaucoup plus prononcé, sont une véritable masterclass en la matière. Parfaitement produit, vraiment très agréable à écouter, fourmillant d'arrangements intéressants et excitants, d'élans de saxophone chaleureux et de mélodies qui nous remplissent de joie et de nostalgie. Que demander de plus ?

Ce que je retiens : "Sleepless Night", "Freeze Tag".

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