SensCritique
Cover Les meilleurs livres de Romain Gary (Émile Ajar)

Les meilleurs livres de Romain Gary (Émile Ajar) selon Rainure

Océan d'Amour.
Je me perds trop dans ses pages à lui, lui qui joue Pseudo-Pseudo, à la figure qui fait mouche, par connivence, aux creux dans le ventre et les tendresses qui veulent y parvenir pour ne pas lui garder un petit bout de rien ici-bas.
Donc on ordonne, on ordonne, pour ce que ...

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11 livres

créée il y a plus de 5 ans · modifiée il y a environ 3 ans
Gros-Câlin
7.5
1.

Gros-Câlin (1974)

Sortie : 1974 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Livre de mue et de nœuds. Je comprend la douleur qu'il y a parfois à suivre ce narrateur, mieux qu'il y a trois ans, à ma première lecture, dans tous ses mots lâchés sans réception, sans frère humain pour le saisir. Sous le couvert d'une nouvelle peau, Gary enfin s'amuse comme un fou, il torture le vocabulaire comme jamais, multiplie les jeux de mots, les double-sens et les contradictions loufoques ; portrait d'un être à côté de la plaque, tout à fait seul et se rassurant dans son incompréhension des codes en tentant (est-ce que ça marche vraiment toutefois ?) de se convaincre que de là naissent les chances, l'espoir.
Fuir l'état de manque. On accumule alors les tentatives sans remettre en cause leur fondement même, c'est les animaux pour l'inexprimable, les meubles qu'on fait petit à petit parler, les portraits de Brossolette et de Moulin, rien que pour s'attacher. Dans la tête, encore les phrases fusent, et les souvenirs, les mémoires : on conte en cerceaux, en zigzags, mille essais pour n'être plus paumé, avoir quelqu'un qui compte et pour qui compter. Ne plus être qu'uniquement démographique, dans une agglomération parisienne de 10 millions d'habitants (Tsai Min-Liang pourrait faire une adaptation miraculeuse de ce livre, il n'y a aucun doute). Et donc il y a ondulation pour éviter le gouffre, il y a le "quelqu'un à aimer", le recours aux espoirs fous, irraisonnés, conduisant par voie forcée à l'angoisse, la tristesse vertigineuse. On est anonyme, clandestin dans sa propre peau. Ce qui donne détérioration, déperdition mais aussi un humour désespéré et de mal-aimé, de "surplus américain" et de symboliques sexuelles outrancières, de hors-propos et de phrases cisaillées, non-sens, absurdes, parfois dans cet errement, je penserai à Molloy, parfois dans cette misère je me rappelle des Choses de Perec.
Bref, je ne parlerai jamais assez de ce livre un peu contre l'absence, plein de creux dans la main ou d'épaules, de bras qui tentent de combler ; dans ces pages d'amour, il y a une telle quantité, un tel surplus, et de manière si resserrée, ça finit par déborder en moi, renverser quelque chose.

"Je suis le plus grand connaisseur connu de l'amour à cause de l'absence prolongée.
Je sais ce que c'est quand ce n'est pas là.
C'était là."

Les Racines du ciel
8
2.

Les Racines du ciel (1956)

Sortie : 1956 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Au début, j'étais quand même un peu déçu. C'était beau, oh, c'était même très beau, mais pas la même beauté qui se répand au fil des pages. C'était une beauté un peu lente, qui prenait son temps. Comme rampante, n'attendant qu'un clin d'oeil pour jaillir.

Puis sont venues les pages et les pages... Les chapitres s'étalent, le rythme accélère (ou peut-être pas ?), d'un élan fabuleux, dévorant, humain... A la manière des pachydermes, c'est grand et noble, pourtant ça reste innofensif à l'arrêt. Mais quand cet anachronisme (quel élégance dans l'emploi du terme) s'emballe, se met à ruer dans les grands espaces, il ne craint plus rien, les barbelés, la faiblesse d'imagination se taisent, s'aplatissent, et l'on sourit béats. Devant le grand humanisme de Gary, la dignité immortelle, l'ardeur du combat pour chacun. Pour ce rêve. Pour la compagnie, et l'espoir, toujours...

" Quand vous n'en pouvez plus, faites comme moi: pensez à des troupeaux d'éléphants en liberté en train de courir vers l'Afrique, des centaines et des centaines de bêtes magnifiques auxquelles rien ne résiste, pas même un mur, pas même un barbelé, qui foncent à travers les espaces ouverts et qui cassent tout sur leur passage, qui renversent tout et tant qu'ils sont vivants, rien ne peut les arrêter- la liberté quoi !"

Clair de femme
7.4
3.

Clair de femme (1977)

Sortie : 1977 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Il ne faut pas faire la part du feu.
Une écriture comme une cuite, comme une grosse beuverie, avec les verres de whisky à chaque page, et les dialogues qu'on n'est plus sûr que ce soit d'un personnage ou de l'autre. Il y a comme un mouvement de roulement, de rouleau-compresseur peut-être, dans les premiers chapitres, commençant tout doux, les habitudes et aisances de Romain, puis ça s'épaissit, les paragraphes ne sautent plus de lignes et accumulent, accumulent les histoires de tendresse ou d'honneur, de raison de vivre et de son mal, de contrée et d'apatrides. Un peu des nœuds de Gros Câlin, mais pas les mêmes, nœuds à deux cordes plutôt que le gros nœud d'un seul homme perdu, pas la même vibration au fond de la voix. Il y a plus d'ironie ici, moins d'yeux dans lesquels on se sente tout à fait perdu, il y a du plus proche de l'histoire d'Amour aussi, presque des histoires d'absolu qu'on aurait chez Aragon, avec cette façon de dessiner d'une image la femme, projection du désir (pas tant d'amour que d'épaule, de survie, de tentative de bonheur) sur un masque. Masque doublé de naufragés communs, et il faut lire ces chapitres 8 et 9, surgissement de la faiblesse à la surface, le langage qui se rompt et ruine un peu, là où les défauts d'écriture (les effets, le lustre) marchent le mieux, "il y aura des chutes, des vides, des maladresses", cahin-caha. On en oublierait tout ce que Gary surfait, l'incessant jeu d'esprit faussement (?) fier de lui-même, d'autres personnages plus loin et moins bien esquissés, à agacer presque, à prêter à rire tout de même (cette rencontre avec tous les mots russes, peut-être une clef de lecture aussi après tout).
Mais non, je me rends donc, et tout creusé et penaud, j'essaie de garder l'éclair dans tout ça.

"Deux êtres en déroute qui s'épaulent de leur solitude et la vie attend que ça passe. Une tendresse désespérée, qui n'est qu'un besoin de tendresse."

"J'aurai toujours patrie, terre, source, jardin et maison : éclair de femme. Un mouvement de hanches, un vol de chevelure, quelques rides que nous aurons écrites ensemble, et je saurais d'où je suis. J'aurai toujours patrie féminine et ne serai seul que comme une sentinelle. Tout ce que j'ai perdu me donne une raison de vivre. Intact, heureux, impérissable... Eclair de femme."

L'Angoisse du roi Salomon
7.9
4.

L'Angoisse du roi Salomon (1979)

Sortie : 1 février 1979 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"J'ai fermé les yeux et j'ai presque prié. J'ai dit presque, parce que je ne l'ai pas fait, je suis cinéphile mais pas à ce point."

Oh, Gary, Gary, ou Ajar ici : pourquoi me fais-tu toujours tant sourire ?

Emile Ajar ou Romain Gary, ou Romain Kacew : ces mots, ces pseudos, ces personnes me donnent envie de milles choses, comprenez : ces pages (celles du Roi Salomon, et toutes les autres) sont des pages d'Amour (aurait écrit Zola), des pages de petits êtres qui courent (aurait écrit Manset), j'écrirai que ce sont des pages d'humanité (et d'autres l'ont sûrement déjà dit).

Il y a un caractère dans ces tournures, une tendresse à toute épreuve dans les regards que porte Gary - en général - sur ses personnages et ses créations, ces livres sont une réponse au cynisme, aux petits soucis et aux grandes angoisses, ces livres sont de ce que je lirai de plus proche. Et c'est beaucoup. Ce genre de livre qui - j'en suis certain - rendrait le monde meilleur si tout le monde les lisait. Ce genre de cahiers qui me donne envie et envie de m'étaler, d'écrire avec acharnement pour toucher quelqu'un, rassurer un autre, ou simplement donner le virus de la vie, du sourire et de l'écriture. Signer la mort du cynisme. Notre époque en aurait grand besoin (il y a un passage d'ailleurs qui résonne fort avec les propos gerbants de notre président que je méprise, parlant de ceux qui ne sont rien, les défendant, puisqu'ils sont aussi quelque chose et bien plus).

En l'instant - je laisse pousser, grandir encore la fin de lecture en moi - mais je crois vouloir écrire quelque chose sur Gary un peu plus longtemps ici (on appelle ça "critique" sur le site, mais ça n'en serait pas une ; plutôt des notes affectueuses et affectées). Capter quelque chose de ses remèdes à l'angoisse, sa lutte contre l'anachronisme, contre l'extinction des espèces et tant, et tant... Et pourtant, je vivais déjà bien sans lui...

"il y a de la flamme dans l'oeil des jeunes gens, mais dans celui du vieillard il y a de la lumière !"

La Promesse de l'aube
7.9
5.

La Promesse de l'aube (1960)

Sortie : 26 avril 1973 (France). Autobiographie & mémoires, Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Touché, comme souvent, par la panoplie délicate des émotions que dévoile Gary ; toujours ce goût fascinant pour le vivant sous toute ses formes, cette défense évertuée de la beauté, donc de la justice en ce sens, cette quête pour combler l'absence. Cet humour, ces attachements à pas grand chose, facilement, ces besoins dévorants et entiers qui poursuivent et n'auront de cesse de poursuivre.

Et ces mots...

"Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez sur vous de la documentation. Je ne dis pas qu’il faille empêcher les mères d’aimer leurs petits. Je dis simplement qu’il vaut mieux que les mères aient encore quelqu’un d’autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n’aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour moi, je me connais en vrais diamants."

Adieu Gary Cooper
7.8
6.

Adieu Gary Cooper (1965)

Sortie : 1965 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

L'impression du trop-plein. Les ski bums qui se démultiplient, l'écriture de Gary poussé dans ses derniers retranchements, jusqu'à en faire quelque chose de systématique presque, les habitudes et tics surprésents jusqu'à la nausée (c'est Madagascar, et toute la géographie de Mongolie extérieure, c'est Tchekov et la littérature des mouettes). Tant de cris comme étouffés de même plus de l'espoir, les remèdes dans l'altitude, les différents Horn de la Suisse, et toujours des vertiges de l'Amour évidemment... Il y a des prémices au Roi Salomon ici déjà, de manière sous-latente, et une galerie jamais incessante de personnages à tailler, des vrais gredins, des sourires dépassant un peu le visage, comme placés devant. Et puis devant tous, le destin qui aligne ces étoiles suisses, les fracas des engueulades et des énergies contraires.
Bref, un livre étrange, tout autant enthousiasmant qu'exaspérant par tranches, que peut-être que décidément j'aime moins la période américaine de Gary ? Enfin, ça sera à relire plus âgé, quand le destin prendra un peu plus de place.

"Il pleuvait. Mélodie sur le toit. La plus belle mélodie du monde, lorsque vous l'écoutez à deux, dans la nuit, et que vous vous sentez bien à l'abri, dans ses bras ; plus le vent souffle et la pluie se déchaîne dehors, plus sûrs et plus forts ses bras paraissent autour de vous. Du moins, c'est ainsi que je l'imagine. Toute ma vie, j'ai été seule, pour écouter la pluie sur le toit. La pluie n'aime pas ça et je la sens terriblement frustrée. [...] On est en train de gaspiller cette merveilleuse pluie, tous les deux."

" Quand on se sent plus perdu, alors, on est vraiment foutu. Les générations qui se sentent pas perdues, c'est de la merde. Nous, mes enfants, on est complètement paumés, mais complètement, alors. Ça prouve qu'on a quelque chose dans le ventre. "

Éducation européenne
7.8
7.

Éducation européenne (1943)

Sortie : 1943 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 7/10.

Annotation :

Gary naît seulement, éclot encore, on le devine dans certaines tournures, dans certains partis pris qui deviendront des obsessions, on le devine sans toutefois le déceler, c'est encore autre chose : c'est la fin de la guerre en sursis, le conte polonais qui rencontre le russe, et où la neige vient tout rendre ou beau ou mortel. C'est l'apprentissage de l'enfant (enfance d'Ivan ?), qui donc connaît son éducation, aux morts injustes, aux amitiés, aux tranches d'espoir. Et on vole comme ça d'un réalisme froid, et parfois je repense au Feu de Barbusse, et parfois on est mièvre et encore enfant d'une belle mièvrerie.

"ça s'appelle Education européenne. C'est Tadek Chmura qui m'a suggéré ce titre. Il lui donnait évidemment un sens ironique... Education européenne, pour lui, ce sont les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous, comme des bêtes... Mais moi, je relève le défi. On peut me dire tant qu'on voudra que la liberté, la dignité, l'honneur d'être un homme, tout ça, enfin, c'est seulement un conte de nourrice, un conte de fées pour lequel on se fait tuer. La vérité, c'est qu'il y a des moments dans l'histoire, des moments comme celui que nous vivons, où tout ce qui empêche l'homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d'une cachette, d'un refuge. Ce refuge, parfois, c'est seulement une chanson, un poème, une musique, un livre. Je voudrais que mon livre soit un de ces refuges, qu'en l'ouvrant, après la guerre, quand tout sera fini, les hommes retrouvent leur bien intact, qu'ils sachent qu'on a pu nous forcer à vivre comme des bêtes, mais qu'on n'a pas pu nous forcer à désespérer. Il n'y a pas d'art désespéré - le désespoir, c'est seulement un manque de talent."

Lady L.
7.7
8.

Lady L. (1963)

Sortie : 16 janvier 1973 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 6/10.

Annotation :

L'humanité est une très grande dame.
Gary cite à de multiples reprises les toiles de Fragonard : il y aurait probablement quelque chose du "Verrou" dans Lady L., des gestes qui se veulent toujours grandioses et désespérés, le charme carmin et velours de confidences de bord d'oreiller, de charmes et coucheries.
Où se place Romain parmi les figures du livre ? Est-ce qu'il est plutôt Dicky, plutôt Armand, ou simplement Annette ? Il n'y a d'ailleurs sans doute aucune réponse exacte à la question, et Romain le sait bien : il fait de tout le roman un jeu du paraître et du déguisement, d'absolu de passions encore (auxquelles je ne crois pas ici - je le trouve un peu lambin mon Romain, ici, un peu pâlot). Briguer l'idéalisme, l'anarchisme éclatant et son Amour trop grand contre un Amour d'un seul être ; c'est un livre de beaucoup de soupirs (plus ou moins tendres, plus ou moins cruels), de rictus et d'âpretés.
Enfin, ici les braises que Romain dispose ne prennent pas : rien ou presque ne m'aura brûlé, incendié - pas les bombes, pas les assassinats et complots ourdis entre France, Italie, Suisse et salons lustrés. Il y a quelque chose d'un peu grotesque à ces déflagrations, ces bas-fonds, de pantin mal articulé, d'un peu broutille, qui ne tient que par rebonds et rebonds, pas par la force d'une grande structure aux matériaux robustes, finalement quelque chose qui lasse.

"Il y avait une contradiction entre la liberté de l'homme dont il se réclamait et sa soumission totale à une pensée, une idéologie. Il lui semblait aujourd'hui que si l'homme devait être vraiment libre, il devait se comporter librement aussi avec ses idées, ne pas se laisser entraîner complètement par la logique, pas même la vérité, laisser une marge humaine à toute chose, autour de toute pensée. Peut-être même fallait-il savoir s'élever au-dessus de ses idées, de ses convictions, pour demeurer un homme libre. Plus une logique est rigoureuse et plus elle devient une prison, et la vie est faite de contradiction, de compromis, d'arrangements provisoire et les grands principes pouvaient aussi bien éclairer le monde que le brûler. La phrase favorite d'Armand : " Il faut aller jusqu'au bout" ne pouvait mener qu'au néant, son rêve de justice sociale absolue se réclamait d'une pureté que seul le vide total connaissait."

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable
7.3
9.

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable (1975)

Sortie : 9 mai 1975 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 6/10.

Annotation :

La méthode Gary, sans grands éclats. Presque des formules d'écriture appliquées, à force d'en lire, seulement là où par exemple Adieu Gary Cooper réussi la superbe, là tout peine sévère, regarde d'un peu loin l'effet que ça fait. Ce qui correspond plus ou moins à la thématique majeure du livre peut-être bien après tout, la dépossession de soi-même dans le vieillissement, la baisse de ses capacités sexuelles, les craintes et même la dépression autour de la finance, l'Amour, les problèmes d'érection. Alors oui, percent ça et là de belles déclarations d'un Amour immense, d'angoisses vespérales, mais à côté de toutes les mises en parallèles, les comparaisons lourdes entre puissance financière et "capacités à satisfaire la femme" fatiguent.
Ce sont les vieux jours, après tout, la fin d'un bonheur, surtout une crise de puberté (de "virilité" qu'il dit parfois) à 60 ans.

"Les hommes meurent parfois beaucoup plus tôt qu'on ne les enterre."

"Je pense aux statues des couples taillées dans la pierre qui se sont effritées et érodées au cours des âges et à cette nostalgie de durée infinie qui va s'échouer dans la pierre, car seuls les instants ont du génie."

"Il y avait sur le visage du vieux chrétien impie une gaieté dont je ne savais pas si elle était un peu trop facile « tout est poussière » ou si c’était une expression que les ans avaient laissée là, en signe de soumission et de défaite, en humble hommage à tout ce qu’ils n’avaient pu entamer."

Chien Blanc
7.8
10.

Chien Blanc (1970)

Sortie : 1970 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 6/10.

Annotation :

L'égalité entre blancs et noirs dans l'ignominie, la bêtise, la méchanceté, la connerie. Un salaud noir est un salaud, non parce qu'il est noir, mais parce qu'il est salaud. C'est désespérant de voir la haine ramener la haine ; malgré les quelques personnes du livre qui croient toujours et toujours à l'homme, pour la première fois les portraits et situations dressées par Gary tireraient plus vers le cynisme, le mauvais. Et en plus on peut lui pardonner à l'homme, quand le chien n'a pas l'alibi de Shakespeare ou de la médecine. Une fois qu'il est vicié, rien à faire, il n'y a pas de remèdes.

Bien qu'au final ce soit de ceux que j'ai lu le Gary qui m'a le plus laissé à côté, il y a bien des choses fascinantes tout de même, dans les lectures politiques et sociétales des situations présentées dans l'ouvrage : les émeutes raciales suite à l'assassinat de Martin Luther King d'une part, mai 68 de l'autre, et une analyse rapide des médias qui n'est pas sans rappeler des papiers d'Acrimed maintenant. Gary aurait fait un excellent éditorialiste.
Il faut la patience de recouvrer la force de la gravité, et la lumière, à travers toutes ces cages et le poids des siècles passés...

"J'appelle "société de provocation" toute société d'abondance et en expansion économique qui se livre à l'exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu'elle provoque à l'assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu'elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit. Comment peut-on s'étonner, lorsqu'un jeune Noir du ghetto, cerné de Cadillac et de magasins de luxe, bombardé à la radio et à la télévision par une publicité frénétique qui le conditionne à sentir qu'il ne peut pas se passer de ce qu'elle lui propose, depuis le dernier modèle annuel "obligatoire" sorti par la General Motors ou Westinghouse, les vêtements, les appareils de bonheur visuels et auditifs, ainsi que les cent mille autres réincarnations saisonnières de gadgets dont vous ne pouvez vous passer à moins d'être un plouc, comment s'étonner, dites-le-moi, si ce jeune finit par se ruer à la première occasion sur les étalages béants derrière les vitrines brisées ?"

La Vie devant soi
7.9
11.

La Vie devant soi (1975)

Sortie : 14 septembre 1975 (France). Roman

livre de Romain Gary / Émile Ajar

Rainure a mis 5/10.

Annotation :

La pénible lecture des romans qui tentent de parler en prenant ce point de vue d'un enfant, et qui y échouent pour la quasi-intégralité (je n'y ai que peu de goût). Ici, c'était d'autant plus flagrant pour moi que le style de Gary/Ajar est un style marqué, remarquable, distinct : sa force comme sa faiblesse (du "jusqu'à plus soif" éclatant des clochards à skis de Gary Cooper à la gueule de bois de "Clair de Femme") ; que dans un tel contexte, tout me sortait malheureusement des yeux, toutes les phrases sur l'état de manque, la géographie, l'amour ou la solitude et je ne sais quoi, tout ce qui "ne pardonne pas" ricochaient, déviaient, n'infusaient jamais chez moi. Ça m'a été tellement insupportable que j'ai fini par corner une page, sur une de ces phrases typiques "Je suis allé d'abord rue de Ponthieu, dans cette salle où ils ont des moyens pour faire reculer le monde. J'avais aussi envie de revoir la môme blonde et jolie qui sentait frais dont je vous ai parlé, je crois, vous savez, celle qui s'appelait Nadine ou comment déjà. C'était peut-être pas très gentil pour Madame Rosa, mais qu'est-ce que vous voulez. J'étais dans un tel état de manque que je ne sentais même pas les quatre ans de plus que j'avais gagnés, c'était comme si j'en avais toujours dix, je n'avais pas encore la force de l'habitude". Mais voilà, ces "habitudes" et toutes choses n'auront pas pris. Pour mieux y retourner un jour, on espère.

Rainure

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