2 (EP)
7.5
2 (EP)

EP de Rien (2013)

Chapitre 4 : L'air de rien, Rien erre...

Voici le deuxième et avant-dernier chiffre du mortel décompte ; l'EP 2. En 2013, les cinq Grenoblois retournent en studio. Le plan originel était d'un disque par an à partir du 3 de 2010. Alors pourquoi tant d'attente ? Le manque d'inspiration ? Peut-être, impossible de savoir pour sûr. Moi je penche plutôt pour la thèse du déni-défi : Rien, sentant sa fin approcher, aurait inconsciemment mis en place un mécanisme de défense pour repousser cette idée, pour éviter d'avoir à l'accepter. En déniant l'imminence de la mort, Rien la met au défi de pointer le bout de son nez ; « Regarde moi, Mort ! Vois comme je déborde de vitalité. Ma trilogie, je la terminerai. J'ai le temps tu sais, personne ne pourra m'en empêcher, surtout pas toi. Retourne donc pêcher à la mouche. » Les voilà donc, à ne rien enregistrer pendant trois longues années, à repousser l'échéance dans une ultime bravade. Mais le temps passe, et voilà qu'on s'approche de la dernière année du groupe, qui rappelons-le se sabordera le 1er décembre 2014. On imagine alors les cinq gusses programmer une réunion d'urgence, se regarder entre dix yeux, détourner le regard, gêné. « Faut qu'on arrête de déconner les gars. On va quand même pas se laisser crever sans rien faire, si ? » Non pour sûr, il ne se seront pas laissés faire. Un point sur la table plus tard et les revoilà en studio.

Symboliquement, 2 est le disque de l'ultime récréation. Le dernier moment d'insouciance, de joyeuse inconséquence. Le moment de se faire plaisir une bonne grosse fois avant d'entamer le terrible 1, qui aura la tâche presque insurmontable de nous laisser un dernier souvenir du groupe. Pour 2, l'atmosphère est certes plus détendue, et Rien se permet d'aller en de nouveaux territoires, plus synthétiques. Vintage jusqu'au bout des ongles, celui-ci nous emmènera côtoyer Kraftwerk, influence loin d'être facilement décelable dans les travaux plus anciens du groupe. Presque un plaisir coupable, même si on ne peut que tirer fierté d'une si noble influence.

Vous ne me croyez pas ? Tant pis pour vous, car voilà qu'en ouverture débarque le très-bien nommé « Autobahn Love ». Question hommage, on pouvait difficilement faire plus évident. Mais Rien est loin de se limiter à un simple hommage copié-coller, ce serait bien mal les connaître ; le titre est tout simplement un des plus (si ce n'est LE plus) brillants morceaux des trois EP confondus. Et si Kraftwerk est bien présent, c'est plutôt comme une ombre, un fantôme qui hante les synthés et la rythmique métronomique, car le reste c'est du Rien pur jus. C'est à dire, déjà, des guitares qui mènent la danse. Le combo boîte à rythme + synthé qui ouvre la piste est trompeur ; au bout de vingt secondes il fait déjà parti du décor, la gratte est venu prendre le morceau par la main pour l'emmener faire un voyage lunaire à grand renfort de mélodies chatoyantes. Et là je te pose la question lecteur, comment est-il Dieu possible d'allier dans une seule composition apesanteur synthétique, rock'n'roll rageur et échappées prog comme les prog-man devraient en faire plus souvent ? Ce que je ne donnerait pas pour avoir été une petite souris cachée dans un coin du studio au moment de la conception et de l'enregistrement. Si ce machin était sorti en single avec de plus amples moyens de diffusion et de promotion, le tube que ça aurait été... Même pas besoin de radio-edit castrateur, tout le monde se le serait arraché. Je rêve un peu, mais merde il faudrait être une brique pour ne pas s'autoriser à rêver à l'écoute de cet « Autobahn Love ».

Vous l'aurez compris, cette « introduction » est le sommet grandiose du disque. C'est peut-être bien ça le problème, en fait... Ce qui fait que ce 2 souffre d'une tracklist plutôt déséquilibrée. Sur les quatre morceaux de 3, les grands moments étaient en deuxième et troisième position, avec en intro de quoi s'immerger et en outro de quoi atterrir. Là, on peut avoir la désagréable impression qu'on a passé l'essentiel une fois que s'achève « Autobahn Love ». Pourtant c'est trompeur, car la suite est bien évidemment de qualité, même si moins entrainante. Avec « Looters will be shot », on confirme l'omniprésence Kraftwerkesque (plus facile à écrire qu'à dire), mais de façon plus posée, apaisante même. En apparence du moins... car passé un cap on se met à craindre pour notre sécurité. On avait raison, car voilà que sorti de nulle part Rien nous fait les poches, nous menaçant à grands coups de claviers massifs (dont les mélodies rappellent à s'y méprendre le King Crimson de fin de carrière). Et ce pont surprise de nous boxer les tympans en ressuscitant le Zappa époque Apostrophe et ses marimba en folie. Dès lors, une angoisse un peu paranoïaque ne nous quittera plus. Frappera ? Frappera pas ? Les pilleurs seront tués nous dit-on... Je reste sur mes gardes malgré tout, on ne sait jamais. À partir de là, l'excitation va decrescendo, contre toute-attente, c'est un voyage introspectif que nous propose le groupe sur la deuxième partie de 2. Plus si récréatif que ça en fin de compte. Car l'air de rien, Rien erre. Il dérive, transite, flotte entre deux eaux, se pose cette question métaphorique : où est la Terre bordel ? Une façon de remettre les pieds sur terre, se rendre compte avec pragmatisme que peu importe nos gesticulations, le temps finira par nous rattraper, nous tirer des étoiles pour nous faire redevenir poussière. Et ça n'a pas l'air de lui donner le sourire, à Rien. Pour un peu il se taperait même une franche déprime. « La Chute de Satan » ne semble pas l'enchanter plus que ça. Cela commence avec un vague à l'âme... rien de méchant, non, juste une douce mélancolie. Jusqu'au cran d'arrêt. La guitare se fait dissonante, les cuivres annoncent un point de bascule. Rien ne peut plus reculer. Il essaie de repartir comme avant, dans sa tristesse confortable. Une fois, deux fois, trois fois, en vain. Chaque fois avec un peu moins de conviction. Ce n'est pas comme s'il ne savait pas que son temps était compté, c'est juste que retarder l'échéance, se complaire dans son petit monde à soi, à l'abri de tout, c'est bien plus facile. Ce ne sont certes pas les psychotiques qui me contrediront.

Mais tout cela n'a que trop duré. Ça suffit les conneries, il est temps d'accepter sa finitude et de prendre les devants ; faire en sorte que les dernières heures soient les plus belles de toutes. Pour ne Rien regretter. C'est bien ce qu'exprime le crescendo final ; ce Satan qui chute, c'est celui qui murmurait à l'oreille du groupe pour l'astreindre à la complaisance. C'est, à grand renfort de roulements de toms et de guitares brillantes que Rien reprend consistance, accepte l'angoisse toute naturelle qui est la sienne pour mieux rebondir. Les grenoblois ont placé la barre très haut avec « Autobahn Love », et si ses égarements, ses chemins de traverse ne manquent pas de beauté, il a failli ne pas s'en remettre. La récréation aurait pu finir en cauchemar. Pas de panique, car son final annonce une détermination nouvelle ; Rien compte bien partir avec les honneurs. Avec 1, il nous fera pleurnicher, puis exulter (puis encore pleurnicher, merde), mais je ne m'avance pas plus ici car il reste au groupe encore un an pour mettre ses affaires en ordre. Patientons... mais restons aux aguets.
TWazoo
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Créée

le 10 déc. 2014

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T. Wazoo

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