Non, l’Angleterre n’existe pas sur la scène Hip Hop uniquement par sa scène grime. Mélangeant les influences, de la funk au boom bap, le duo Imperial & K.I.N.E.T.I.K. prend le rap côté multicolore avec Adventures In Technicolour.


L’ingénieur et le poète


Une petite mise au point s’impose, puisque les deux artistes ne jouissent pas encore d’un succès pourtant mérité. Aux productions, on trouve Imperial, né à Cambridge. Influencé par tous les spectres de la Golden Era, du boom bap au trip hop, de Cut Chemist à Pete Rock en passant par DJ Premier, Bomb Squad, 20 Syl et Bonobo, le garçon est aussi à l’aise derrière les machines qu’au mixage, à la tête d’une petite entreprise d’ingénieur du son.


K.I.N.E.T.I.K., de son vrai nom Christopher Michell, se définit d’abord comme poète, puis écrivain, puis conteur, avant de se nommer rappeur. Quoi de plus normal pour un fils de chanteur, évidemment bercé dès son plus jeune âge par la musique, par tous les spectres des musiques funk, soul et R&B. Le nom fait appelle au mouvement, à l’énergie, aussi puissant qu’inéluctable.


Imperial et K.I.N.E.T.I.K. forment un duo évident, et surtout frais. Il ne leur a fallu qu’un seul EP, Pencils Not Pistols, publié sur leur BandCamp, pour que le duo se fasse remarquer hors des clubs qu’ils écument depuis quelques temps déjà. L’association tend donc, avec leur premier album Adventures In Technicolour, à définitivement sortir des carcans sous-terrains pour prendre le monde de leurs productions.


Feel Good Inc.


Dans Adventures In Technicolour, on trouve l’idée, comme chez Logic, d’un voyage, d’un monde, d’un univers parallèle loin d’être vecteur de crainte et de danger comme dans les blockbusters de science-fiction, mais plutôt de terrain infini par définition de l’imaginaire du producteur et de son MC. Autrement dit, les planètes sont aux couleurs de l’arc-en-ciel et les étoiles sont des rêves qu’on peut toucher des doigts. Un eldorado théorique rendu tangible par Adventures In Technicolor.


Les deux compères veulent nous emmener dans leur monde, dans un voyage qui leur est propre. On retrouve ainsi dès l’introduction une dénomination explicite, « The Adventure Begins ». On y trouve un démarrage avec un doux funk de fond, dans la définition même d’avant-bouche. Portée par une voix féminine, le morceau n’est pas sans rappeler Dela et ses Atmospheres Airlines. Partons à l’aventure, puisqu’on y est si confortablement amenés.


Sans aucun doute, « One Big Rhyme », le second titre de AIT, installe la toile de fond de l’album. Un boom bap compressé à balles mais n’explosant jamais les niveaux de volume, aéré à souhait, confondant allègrement éléments organiques issus de live band et samples jamais grossiers. Imperial s’applique à interposer avec la meilleure des harmonies les multiples couches de son de chaque morceau.


Même principe sur « Higher », hommage évident à Preemo, à ses instrumentaux syncopés et ses breaks au MPC, avant d’actualiser la production lors d’un sublime dernier tiers de morceau. Directement dédié aux trajets en bus lors d’un jeudi de vacances ensoleillé, « Zone Out (Remix) » reprend l’original et applique une petite retouche avec autant d’amour que d’humour. Jugez plutôt :



I never hit the clubs / I barely even drink / I can’t dance, and that’s why I always sit and drink /
I’m zoning out, I’m going over my thoughts



C’est que la formule musicale de la fusion entre Golden Era et funk, les deux compères la connaissent par cœur. Écoutez plutôt « Not For Sale ». Et pour enfoncer définitivement le clou, voilà « Just Another Day » et son sublime sample d’une énième reprise du « Sunny » de Bobby Hebb comme témoin du quotidien ensoleillé des deux artistes. Chanceux.


Scenic Route


Non seulement Imperial et K.I.N.E.T.I.K. connaissent leurs bases, mais ils l’appliquent avec un sérieux et un professionnalisme à toute épreuve. Aucune thématique, aucune atmosphère ne leur résistent. Besoin d’un titre voyageur aux claviers rêveurs ? Go check « Travel The Map (feat. Oddisee) ». Envie de sortir du carcan joyeux pour un titre plus personnel et paternel ? Envoyez donc « Man Of The House (feat. Tone-Richardson) ». Et un titre à la construction plus ricaine ? « Golden Crow (feat. Elias) » est votre homme. Ils sont partout.


En quelques morceaux, Adventures In Technicolour rappelle qu’il est bâti par et pour la scène. Sa prolifération d’instruments organiques ne peuvent décemment pas traîner dans les enceintes d’un studio ou des crachats de son d’une Ford Fiesta qui a parcouru bien trop de kilomètres. Même une grosse boombox ne saurait résister à une prestation scénique de « The Great Indoors » ou « Fix Your Face ». Les paroles sont pop, légères et souriantes. Parce que la musique, quand elle est bien faite, fait aussi briller le soleil dans les salles de concert.


Puis, passées outre les classiques boom bap et les titres dédiés au live, il y a l’essence d’Imperial et K.I.N.E.T.I.K. : des titres qui se suffisent à eux-mêmes, qui pourraient faire danser des réacs de la trempe de Patrick Devedjian. Essayez donc de ne pas qualifier de classieux le bien et simplement nommé « Good Music ». Calé entre le rétro et l’actuel, dans le plus pur style de la vaporwave (celle qui ne déborde pas dans des extrêmes chelous), les claps sont sincères, et on accueille à bras ouverts la devise du titre, « Everyday of my life I wanna live the music ».


Non, on n'est pas obligés de prendre le rap côté Odd Future, de créer son petit nombrilisme et de l'exporter sous couvert de grosses fréquences basses tristounes. On peut aussi refuser la grisaille de son Albion natale et insuffler du soleil jusqu'au plus froid des cœurs. Imperial et K.I.N.E.T.I.K. ont pris autant de plaisir à créer leur album que leur auditeur à l'écouter. A partir de là, le reste, c'est de la littérature. On ajoutera seulement que l'expérience Adventures In Technicolour ne s'apprécie vraiment à 100% qu'en prestation live. A nos calendriers !


http://www.hypesoul.com/

Hype_Soul
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le 6 mai 2016

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