Le Raphael, grand hôtel parisien, fut le refuge de Serge Gainsbourg dans sa dernière poussée créative. Isolé, il a là-bas mis au point les textes de You're Under Arrest, son album funky de 1987, et d'autres (plus charmants) que nous retrouverons dans le sixième album studio de sa muse Jane Birkin.


Malade, alcoolique et dépressif, seul dans sa grande suite du Raphael, descendant occasionnellement boire et faire la causette au barman, Serge égrène les créations et sent son heure arriver. Il se plonge dans le travail, et en extirpe de nouveaux joyaux, joyaux qui constitueront Amour des Feintes, paru le 1er septembre 1990 sur Philips, fidèle au poste.


Gainsbourg, comme nous le savons, était très souvent à cette époque sous l'emprise de son double maléfique Gainsbarre, provocateur et souvent vulgaire (Whitney Houston ... ;). Cependant, dans le cadre des albums faits pour Jane, c'est Gainsbourg l'amoureux transi et blessé de nombreuses fois qui parle. Malgré leur rupture en 1980, ils restent en bons termes, et il lui offre trois merveilleux disques entre 1980 et 1990, Baby Alone in Babylone en 1983, Lost Song en 1987 et enfin Amour des Feintes, notre sujet, en 1990.


Punk, rasta, funky boy, dandy, Gainsbourg était surtout un faiseur pop de grand talent, tant par les paroles que pour la musique. Il n'a pas ou peu exploité cette capacité pour lui même (exception faite de la compilation Initials BB en 1968), il l'a toujours offert aux autres car il avait un profond dédain pour la chanson, à ses yeux un "art mineur".


Une nouvelle équipe se retrouve pour s'affairer aux chansons de M. Gainsbourg, menée pour la première fois par Alan Parker (lead guitar et arrangements), ex-Blue Mink, équipier du couple de toujours, Alan Hawkshaw n'ayant pas été rappelé. Andy Pash (bass), Barry Morgan (drums) et Graham Todd (keyboards), tous des musiciens de studio, complètent ce groupe, le tout produit, comme d'habitude par Philippe Lerichomme.


Parlons maintenant du disque en lui même, c'est incontestablement le chant du cygne de Serge Gainsbourg, c'est d'ailleurs le dernier album étant directement relié à lui qui sortira, avant son décès en mars 1991. Il fait chanter une dernière fois à Jane ses regrets, ses peines, et combien, au fond, elle lui manque. L'album, en général, parle surtout d'amour, parfois de manière détournée, mais toujours d'amour. C'est assez onirique en réalité, toute l'écoute baignant dans ce blanc jauni de la pochette. Amour des Feintes présente un nouveau son, loin de celui de pop classique de Baby Alone in Babylone ou celui de la soupe synthétique (terme pas forcément négatif) de Lost Song. Ce son est électrique, assez funky sans être cliché, et d'une clarté parfois insupportable.
Jane offre sa voix aigue et chevrotante, et signe un chant soigné, très appliqué, comme toujours.


Parlons d'ailleurs de la pochette, il s'agit d'un portrait avorté de Jane réalisé par Serge à l'encre de Chine. La légende voudrait que la plume se soit brisée durant l'esquisse. Le résultat est là, dessin à la beauté troublante, "classieuse".


La plupart des titres sont agréables à l'écoute, parfois même vraiment sympathiques (les trois premiers titres "Et Quand Bien Même", "Des Ils Et Des Elles" et "Litanie en Lituanie", la chanson titre). Mais la véritable réussite ici est "Love Fifteen", personnification à travers Jane d'un amour pour une petite "lolycéenne" (néologisme signé Gainsbourg), autour d'un court de tennis. La référence est assez clairement décelable ici, Lolita de Vladimir Nabokov, roman de 1955 qui a toujours inspiré l'auteur de cette chanson. C'est vraiment magnifique, tant par l'arrangement que par l'interprétation.


Que retenir d'Amour des Feintes? Il s'agit du chant du cygne du plus grand parolier français, et sa dernière preuve d'amour envers sa muse de toujours. Classieux.


Love Fifteen, clip réalisé par Jane elle-même



Lautréamont, les chants de Maldoror.
Tu n'aimes pas, moi j'adore.


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le 27 déc. 2021

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