Apple
7.1
Apple

Album de Mother Love Bone (1990)

Au risque de passer pour un trouble-fête, la mort d’une figure importante pour toute une scène n’exclut pas de prendre du recul et surtout de faire preuve d’un peu de bon sens. Andrew Wood fut fondamental pour le rock de Seattle des années 1990. Une personnalité haute en couleur qui, par ses audaces vestimentaires, son caractère et ses paroles introspectives, fut un phare pour toute une tripotée de musiciens des environs. Affirmer le contraire serait aller à l’encontre des nombreux témoignages béats d’admiration vis-à-vis de sa personne. Mais tout comme les Sex Pistols ont eu un impact positif sur de jeunes zicos, le mythe prend un coup dans l’aile quand il s’agit de s’attarder sur la production musicale de ce personnage marquant.


Des deux groupes auxquels Andrew a participé, Mother Love Bone était le plus intéressant. Moins grunge et plus glam que Malfunkshun, mais également plus abouti. Formé avec des anciens de Green River (aka la première bande de l’histoire du grunge), leur unique disque a vraiment tout pour être légendaire quand on fait l’effort de se remettre dans le contexte. Même s’il influencera les générations suivantes, Apple n’est pas réellement grunge. Tout au plus, on parlera de glam rock alternatif afin d’être au plus proche de la vérité. Cependant, c’est cette particularité qui fait aussi son intérêt. Puisqu’il fait le pont entre deux genres qui se sont souvent fait la guerre (le glam des 80s et le rock alternatif) et deux décennies aux antipodes.


Autre détail immanquable, ce skeud signe la rencontre entre un chanteur admiré dans l’underground et des musiciens ayant fait partie d’un groupe précurseur de tout un style. D’ailleurs, il est aisé de constater que ce choix était une brillante idée. La paire Stone Gossard / Bruce Fairweather aligne des interventions de guitares brûlantes à souhait. Comme du Jimi Hendrix mutant pour donner une vague idée de la chose. Il suffit d’écouter « This Is Shangrila » afin de constater qu’elle reste une entrée en la matière fracassante presque trente ans après les faits. L’émouvante ballade « Crown of Thorns » aura aussi le privilège de figurer dans le film Singles. Un long métrage médiocre que tout le monde a oublié, mais dont la BO était mémorable. Enfin, cet album est le dernier témoignage d’Andrew Wood. Puisqu’il aura la mauvaise idée de mourir d’une overdose d’héroïne quelques mois après son enregistrement (ce qui retardera également sa parution).


En théorie, tous les éléments sont réunis pour en faire un classique. Dans la pratique, c’est malheureusement loin d’être le cas. Cet unique fait d’arme de Mother Love Bone est l’archétype du disque décevant car précédé par sa réputation. Très inégal, il recèle aussi bien des pépites (le glam metal « Holy Roller », les mélancoliques « Man of Golden Words » et « Gentle Groove » dévoilant, par la même occasion, l’amour de Wood pour Elton John) que du très commun. Une comparaison avec la concurrence du même espace-temps lui fait également passer un mauvais quart d’heure. Les Guns n' Roses sont peut-être moins touchants, ils restent plus excitants. Et quitte à s’attarder sur LA formation qui s’en rapproche le plus musicalement (c’est-à-dire Jane's Addiction), Nothing's Shocking éclipse ce skeud (et je n’évoque pas Ritual de lo habitual qui l’écrase littéralement).


Apple est donc une sortie frustrante à bien des égards. « Stardog Champion » est un morceau reflétant parfaitement cette douloureuse sensation. La composition, en elle-même, est banale. Cependant, son final, accompagné de chœurs d’enfants, est totalement saisissant ! L’explication est très simple : Andrew était un showman charismatique, mais ce n’était pas un grand songwriter. Ou alors occasionnellement. Parce que l’écriture des chansons a été partagée entre lui, Gossard et Ament. Sachant que ces messieurs furent incapables d’écrire quoi ce soit d’inoubliable chez Green River, tout cela est tristement logique au final. Rajoutez dans les griefs une production dépassée de la part de Terry Date, décidément pas encore doué pour produire des groupes de rock à cette époque, et vous obtenez une œuvre à l’histoire passionnante, mais au contenu musical bancal.


Cela n’enlève rien au poids crucial qu’a exercé Andrew Wood sur la scène grunge. Stone Gossard et Jeff Ament se sont révélés chez Pearl Jam au contact de Mike McCready et Eddie Vedder. Sa mort a entrainé la création du grand projet Temple of the Dog et même Alice in Chains lui ont rendu hommage en lui dédicaçant leur premier album. Andrew Wood est donc le modèle typique du maître dépassé par ses élèves. Dont l’existence permit surtout d’apporter la lumière sur des gens plus talentueux que lui. Un rôle ingrat qu’il a su tenir à la perfection.


Alors merci pour tout Andrew.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
5
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le 10 oct. 2017

Critique lue 292 fois

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