Cambio
7.4
Cambio

Album de La Chica (2019)

Dans un pays où l’héritage de la musique hispanophone semble se résumer aux fins de soirées passées à danser comme des babtous sur Las Ketchup et à taper des mains à contretemps sur un best of des Gipsy Kings honteusement acheté quinze balles sur une aire d’autoroute, le premier album de la Chica est arrivé à point nommé.


2018 venait à peine de se terminer que le monde entier de la musique occidentale n’avait que d’yeux (et d’oreilles) pour Rosalia et Bad Bunny. Le flamenco et le reggaeton redevenaient soudainement trendy, Taki Taki passait en boucle dans toutes les soirées sponsorisées par Scorpio et Kaporal, et Daddy Yankee reprenait le contrôle des charts « avec calme » dans un clip où il apparaissait sous la forme d’un avatar CGI…. Autant vous dire que je n’étais pas spécialement optimiste pour ce début d’année 2019, niveau bon goût on était tout juste au niveau de Crazy Frog et Gummy Bear.


C’est donc avec la plus grande circonspection que j’ai abordé ma première écoute de Cambio, premier album de Sophie Fustec, alias La Chica. Les oreilles lourdes et les tympans traînants, je m’imaginais déjà avoir affaire à une énième soupe estampillée « latino » à la sauce reggaeton. Seule ma fibre patriotique me laissait entrevoir un semblant d’espoir, la chanteuse ayant grandi entre le quartier parisien de Belleville et le Vénézuela. Grand bien m’en a pris, car en ce 30 décembre 2019, Cambio trône toujours tout en haut de mon top album 2019.


A l’image de sa magnifique pochette, Cambio résulte du collage de nombreuses esthétiques et influences qu’a pu rencontrer la jeune franco-vénézuélienne. On y retrouve des productions pop-rap très actuelles, des percussions sud-américaines ainsi qu’une forte composante électronique.
Comme on pouvait s’y attendre, le côté exotique et rafraîchissant provient des sonorités chaleureuses de langue espagnole, mais également de la partie rythmique, détonante et très dansante. Cet exotisme est piégeur, car il peut très vite reléguer l’album au rang de curiosité à faire écouter à ses potes en soirée pour étaler sa culture musicale (imaginez-vous un Jean-Kévin, cheveux au vent et clope au bec, voulant impressionner une Chloé naïve en lui disant que oui, il était à fond dans la musique vénézuélienne, mais pas les trucs trop « commerciaux »). Mais La Chica n’est pas une bête de foire, et encore moins une Chloé naïve.


Ses chansons révèlent une à une toutes les facettes de ses talents de compositrice, chanteuse et instrumentaliste. Fait rare dans un album, chaque morceau comporte son moment de grâce, le moment où La Chica arrive à vous surprendre et à vous emporter au plus profond de son univers onirique. Comment ne pas être hypnotisé par le refrain de Sola, subjugué par les arrangements de piano de Oasis, traumatisé par le crescendo émotionnel de Veo Veo (Cambio) ? Comment ne pas entrer en transe sur les rythmiques frénétiques de Mis Pies, Ratas ou Drink ?


Impeccablement construites, les chansons de Cambio font également étalage de la palette vocale de La Chica, entre rap, pop et chanson plus « traditionnelle ». Le temps semble être suspendu aux lèvres de la chanteuse, qui nous gratifie de splendides montées sur Ratas et Sueños. Empreints d’émotions et porteurs d’un message fort, nul besoin d’avoir fait espagnol LV2 pour comprendre que les textes de La Chica sont engagés, et traitent notamment de la douloureuse situation de son pays Vénézuélien. On retrouve ce thème sur l’émouvant Canto del Pilon, interlude de 2 minutes purement vocal, qui touche par sa pudeur et sa simplicité malgré la gravité du sujet.


L’influence de Radiohead est omniprésente : les claviers lents et captivants ainsi que les nappes de synthés donnent une atmosphère caractéristique, et trouve leur paroxysme dans le morceau Oasis qui rappelle Everything in its right place. Avec toutefois suffisamment de recul et de créativité pour éviter que ces influences ne soient trop pesantes.


Il n’y a rien à jeter dans cet album : chaque morceau réserve son lot de surprises, de temps forts, et s’enchaîne sans jamais manquer d’inspiration ou de rythme. Les performances live que j’ai pu voir jusqu’ici (quatre fois tout de même) me laissent espérer le meilleur pour celle qui est devenue mon nouveau chouchou. Pour un premier album, Cambio frôle le génie. A la fois accessible, créatif et touchant, il s’impose à mes oreilles comme un projet indispensable de l’année 2019. En espérant que ce ne soit que le début pour La Chica, impressionnante de maîtrise.



  • En quelques mots : Mi álbum del año 2019

  • Coups de cœur : Sola, Oasis, Ratas, Veo Veo (Cambio)

  • Coups de mou : RAS

  • Coups de pute : RAS

  • Note finale : 9-

JLTBB
9
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le 30 déc. 2019

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