Horror Boréale
Horror Boréale

Album de Blackweed (2016)

En provenance de Bruxelles, Blackweed fait partie de la nouvelle génération de MC participant à l'essor du rap Belge. Nombreux dans le domaine, on constatera neanmoins que la singularité de l'artiste aura tendance à lui conférer une place de premier choix parmi ses confrères. Alors, c'est sûr qu'il faudra faire preuve d'une certaine ouverture d'esprit en ce qui concerne l'originalité du personnage. Le flow est particulier, certains y verront des ressemblances avec Doudou Masta comme j'ai pu l'entendre, d'autres, et les plus infâmes, feront un parallèle avec le Roi Heenok. En s'y penchant un peu plus sérieusement, on ne pourra pourtant qu'être frappé par sa technique d'écriture, son sens de la rime rappelant les meilleurs freestyles de l'ère mixtape cassette en France. Le rapper comptabilise en outre deux enregistrements officiels avec Hill-G, dont plusieurs autres avec Joe & Cross et toute une connexion de rapper du 91 (Alkpote, Katana, Kevin Ramos). Bref, de quoi rappeler au plus sceptique des critiques que "les vrais reconnaissent les vrais".


Beaucoup de dérision et de second degré dans son approche textuelle, n'empêche que, lyricalement, Blackweed maîtrise l'art de la rime croisée et multisyllabique. Sex, Drogue, Street et Rock N' Roll constituent la pierre angulaire sur laquelle repose la majeur partie des thèmes abordés par ses textes. On est dans du freestyle pur et dur. Cela dit, le personnage se dessine également sous les traits d'un croque-mitaine ou sous le champ lexical des enfers mais un enfer funky, une sorte de Beetlejuice ou de Jessy Krueger du rap comme il aime à le rappeler. Les titres de ses différents projets en portent d'ailleurs la trace puisque c'est d'abord avec "Blackweedologie" (2009) que l'artiste posera les premiers jalons d'un personnage funky-démoniaque, puis, avec "Les Griffes De La Weed" (2011), "Le Projet Blair Weed" (2013) et, avec le dernier en date, "Horror Boréale" (2016) qu'il continuera à parfaire son identité. Une fois bien assimilée, sa discographie dépeint un personnage haut en couleur, aux ambiances parfois déjantées mais toujours vu sous l'angle d'une street réalité. De plus, bien qu'évoluant dans un rap aux rimes riches et complexes, son style d’écriture n'aura pas le fâcheux défaut, que beaucoup d'autres ont pu avoir, de privilégier une vaine technicité au détriment du sens de ses textes. Certes, on est dans l'abstraction, par moment dans le déluré, mais ils ont aussi une profondeur, une science précise de la description notamment quand il s'agit de relater d'obscures images. Le gars parvient à être comique tout en restant crédible quand il décrit sa vision de la rue. A vrai dire, Blackweed a le sens de la phase, un flow et une technique d'écriture apte à produire des punchlines à la fois funky et sombres. En manipulant habilement cette double étiquette, l'auditeur ne peut que développer une forme de sympathie pour le personnage d'autant plus que sa musique est bonne, et produite par de talentueux producteurs comme Le Seize ou Shungu.
Le premier, présent depuis le début, endosse à la fois le rôle de compositeur et d'ingé son. C'est aussi celui qui est à l'origine d'une petite structure, La Cesarienne Rekordz, le label des débuts pour Blackweed.
Le second, arrivé un peu plus tard, est un beatmaker reconnu du milieu indépendant. Pour s'en faire vaguement une idée, Shungu est un peu à la Belgique ce que Kaytranada est au Canada (je parle en terme de talent). Son profil a même fait l'objet d'une vidéo promotionnelle financée par Levi's.
Bref, depuis 2013 et la parution du "Projet Blair Weed", l'équipe s'organise principalement autour du trio Blackweed/Le Seize/Shungu. L'album fait d'ailleurs date dans la discographie de Blackweed puisqu'il se présente comme son premier opus (mixtape) officiel. Composé de sonorités jazzy, la galette fait aussi la part belle aux sonorités dark sur lesquelles Blackweed a posé une partie de ses meilleurs textes. En effet, bien qu'ayant des facilités sur tous les registres, l'artiste excelle lorsque le Seize lui concocte des beats davantage orientés rap français et inspirés des films noirs, c'est même sur ce type de production que s'est façonnée une grande partie de l'originalité du personnage.


C'est un peu ce qui manque à son dernier album, Horror Boréale (2016). En en confiant la production exclusive à Shungu, celui-ci lui a logiquement imprimé sa propre lecture musicale. Davantage inspiré par le style de beats d'un Jay Dee ou d'un Pete Rock l'album se prive du rap auquel Blackweed et Le Seize nous avait aussi habitué. De fait, l'image du personnage funky-démoniaque tend davantage à devenir funky que démoniaque, spatiale que sorti des entrailles de la terre. C'est que l'orientation artistique imprimée à l'album s'aligne aussi sur l'état d'esprit d'un label qui se veut avant tout "Cosmic". Horror Boréale marque en effet un double événement : D'abord, il officialise l'intégration de Blackweed à son nouveau label Cosmic Pop, puis, en se centralisant sur la doublure Blackweed/Shungu il vise à s'inscrire dans un hip-hop de puriste notamment sous l'impulsion des beats de Shungu. Multiples et variés, ses samples exploitent une large palette sonore allant du Jazz à la Soul, registre sur lequel Blackweed a également beaucoup d'aisance à y appliquer son flow. Fusionnant ainsi à merveille chacune de leurs compétences, Horror Boréale parvient à hisser le rap francophone dans un registre musical davantage exploité Outre-Atlantique, du moins par la scène dite "alternative". L'association d'un Beatmaker et d'un Rapper maîtrisant tous deux l'art dans lequel ils s’inscrivent, confère l'essence des origines à l'album. On sent le côté travaillé et pointu qu'un grand producteur peut imprimer sur ses créations. Horror Boréale sonne comme une oeuvre d'auteur dans laquelle ont été diluées les meilleurs effluves du rap indépendant. On ne s'étonnera pas d'ailleurs d'y retrouver des invités de luxe comme un ill, au meilleur de sa forme, sur un titre comme "Diamantium" ou un Alkpote, ma foi assez plaisant, sur le morceau "Orange Kalibre". L'album se distingue également du reste de la discographie par l'emphase portée sur son aspect communicationnel. La récente signature de Blackweed sous la bannière du label Cosmic Pop a, en effet, pour avantage de donner un aspect plus professionnel à son travail en affinant notamment sa visibilité, tant sur le plan organisationnel (promo, vidéo, concert et showcase) que sur le soin apporté aux clips. Sur l'ensemble du projet (9 tracks), cinq titres ont pu être clipés et si ils méritent tous d'être cités ont retiendra des morceaux comme "Nouveau Negro" ou "Weedolexicalisation" pour en souligner la qualité. Présentés comme les deux gros hits de l'album, leur mise en image ne le sera que d'autant plus, aidée par le savoir-faire d'une maison d'art graphique comme Exonatif.


C'est donc bien entouré que Blackweed signe cette Horror Boréale. Certains domaines, comme le mixage des sons*, demandent encore à être peaufinés et les prochains projets gagneraient à s'y voir réintégrer les productions du Seize. Non seulement d'apporter un juste équilibre aux compositions de Shungu, elles contribueraient par leurs sonorités sombres et obscures à renforcer l'image d'un Blackweed dessiné sous les traits "d'un croque-mitaine au volant d'un corbillard". L'idéal serait même de revenir à l'ancienne formule initiée dès le Projet Blair Weed et qui consistait à placer l'album et ses productions sous la houlette du binôme Le Seize/Shungu (je pense aussi à un gars comme Eli Prod).
Exemplaire sur tous les plans (prod/texte/vidéo), Horror Boréale est aussi plus qu'encourageant pour la suite de la carrière de Blackweed. Sa récente "signature" sur le label Cosmic Pop participe à lui conférer un cadre et une visibilité non négligeable. Quoiqu’encore très discret sur le devant de la scène rap, on peut espérer que la fine stratégie de communication mise en place par la structure et ses ramifications portera ses fruits. Dans le cas contraire, on pourra toujours en saluer le professionnalisme via les clips et vidéos promotionnelles réalisé par Exonatif. Avec Horror Boréale, Blackweed confirme également qu'il mérite son statut d'artiste ainsi que sa place parmi la crème du rap belge et plus largement francophone. Place qu'il occupait déjà depuis "Le Projet Blair Weed" (2013).


* Le Seize, mis à l'économie en tant que producteur, aura néanmoins pu apporter ses contributions à l'album en tant qu'ingé son. C'est là un domaine où il doit encore affiner ses techniques puisque par moment le mixage de certains morceaux demeure perfectible.


PRESENTATION COSMIC POP :
Présentation de Shungu (A Polaroid Story pour Levi's)
https://www.youtube.com/watch?v=OD5hV4MeipY


Présentation des artistes Cosmic Pop (Prod. Shungu, Réal. Exonatif)
https://www.youtube.com/watch?v=Pr_bb70QfFM


Présentation des artistes Cosmic Pop (Prod. Shungu, Réal. Exonatif)
https://www.youtube.com/watch?v=gnHdoVdrjnc


LES CLIPS DE HORROR BOREALE :
Blackweed - Nouveau Négro (Prod. Shungu, Réal. Exonatif)
https://www.youtube.com/watch?v=VW2tUo2zAOw


Blackweed - Weedolexicalisation (Prod. Shungu, Réal. Exonatif)
https://www.youtube.com/watch?v=gZuYRZDUfLE


Blackweed Feat Alkpote - Orange Kalibre (Prod. Shungu, Réal. Exonatif)
https://www.youtube.com/watch?v=88bva-ge9hc


Blackweed - Weed Lebowsky (Prod. Shungu, Réal. Exonatif)
https://www.youtube.com/watch?v=MugwP60eNaM


Blackweed - Nègre Plus Ultra (Prod. Shungu)
https://www.youtube.com/watch?v=lwNxb_PEYro


LA DARK SIDE DE BLACKWEED EN QUELQUES TITRES :
Blackweed - Blackweedologie (Blackweedologie, 2009)
https://www.youtube.com/watch?v=c6e0cOcqiDc&feature=youtu.be


Blackweed - Slim Fast (The Blair Weed Project, 2013)
https://www.youtube.com/watch?v=B7owCVAPVuw


Blackweed - Un Appel De La Rue (The Blair Weed Project, 2013)
https://www.youtube.com/watch?v=hWvmfjW71vw


Blackweed - Mo Money (Les Griffes De La Weed, 2011)
https://www.youtube.com/watch?v=gjsrTgZvSIY&feature=youtu.be


Blackweed Feat Joe Lucazz - Espèce Chaine Gang (Les Griffes De La Weed, 2011)
https://www.youtube.com/watch?v=1_kyzSS9cDs


Blackweed Feat Joe Lucazz - Zig Zag (The Blair Weed Project, 2013)
https://www.youtube.com/watch?v=7Z-pS7Swius


Blackweed - Demoniaks (Blackweedologie, 2009) [Clip]
https://www.youtube.com/watch?v=1Jue4NVk63k

Jason-Brody
9
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le 15 déc. 2017

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