Layers
6.6
Layers

Album de Royce da 5′9″ (2016)

« I ain’t leaving here without a classic »

Après cinq ans d’absence en solo, Royce Da 5’9″ ressort de terre, bien aidé il y a peu par son duo avec DJ Premier. Avec Layers, Royce signe là un retour gagnant profondément introspectif.


Welcome to the layer cake, son


Royce Da 5’9″ avait énormément de choses à dire. Sûrement, en filigrane, énormément de choses à prouver. Énormément de choses à se prouver, aussi. Avant la sortie de ce Layers qui signe son retour solo depuis 2011 et son Success Is Certain, l’ex-Bad Meets Evil a sorti une mixtape, Trust The Shooter. Les fans se régalent. Pour être honnête, on en attendait pas tant de la part de Royce. Pour être honnête, on ne l’en pensait pas forcément capable.


D’un titre direct et un brin mégalo, Success Is Certain, Royce semble avoir grandi, avoir mis de l’eau dans son vin. On le sait, le rappeur de Détroit est une grande gueule. Royce se serait-il vendu ? Non. Il a pris du recul sur ce mille-feuille qu’est la vie, avec ses milliers de couches qui la définissent. De Layers. Les titres tiennent en un mot, vont droit au but, explorant chacun un thème qui tient à cœur à son interprète. Comme autant de chapitres d’une autobiographie, puisqu’il s’agit en partie de cela qu’il s’agit.


L’autre partie des Layers se trouve dans l’avalanche de projets prévus par Royce. Non, le MC ne signe pas là son chant du cygne, mais bien une résurrection.



Cet album est une réintroduction à Royce Da 5’9″, mais également une introduction à Ryan Montgomery [le nom civil de Royce, ndlr]. Cet album est en réalité la première de plusieurs « couches » [traduction du titre de son dernier album, ndlr] qui seront révélées plus tard dans l’année. A la fin de 2016, je veux donner aux gens le sentiment de me connaître. – Royce Da 5’9″



Entamons donc ce Layers qui se veut prometteur, à la lumière des extraits choisis par le rappeur pour en faire la promotion.


La vérité, rien que la vérité


On ne pensait pas forcément tomber sur une chanson de rap nommée « Tabernacle » hors Québec. Pourtant, c’est bien le titre choisi par Royce Da 5’9″ pour son morceau introductif. Il y dépeint une grande fresque personnelle, autobiographique, via le prisme d’un moment charnière de sa vie : la naissance de son fils, au 9ème étage de l’hôpital, malheureusement croisée à la mort de sa grand-mère, elle au 5ème. Il n’y a pas de quoi voir là la naissance d’un pseudo, mais juste une coïncidence implicite.



Je n’ai pris conscience du symbolisme [du numéro des étages] que bien après. Je n’en ai rien pensé sur le coup, mais lorsque j’ai commencé à écrire la chanson, tout s’est mis à s’interconnecter. Ça m’a foutu des frissons. – Royce Da 5’9″



« I Promised Not To Lie In These Verses ». C’est donc la plume déliée de toute grandiloquence de forme que Royce décrit cette journée qui lui a mis le monde dans une autre perspective. Un monde qu’il décrit dans une première partie d’album, sans invités, où il est seul face à son micro. Au final, le public ne compte presque plus, tant la thérapie se ressent. Pourtant, ne pas s’attendre à des productions mollassonnes ou volontairement dramatiques. Royce ne fait pas la même erreur que Domo Genesis, et réserve aux oreilles de ses auditeurs quelques fréquences punchy.


On pourrait ainsi traiter « Hard » comme digne de la fanfare furieuse d’un Anderson .Paak, où il se paie le game dans la même énergie que celle de ses débuts, ou de sa renaissance avec le supergroupe Slaughterhouse au début de la décennie. Dans le même ordre d’idée, « Wait » reprend la chaleur thug d’un Rick Ross, tandis que « Flesh » explore le funky de la blaxploitation avec une production que n’aurait pas renié Kanye West, pour un remise à l’heure cadrée. « They trappers, I’m a convict slash escape artist ».


Comme quoi, Royce n’a rien perdu de sa force. Il porte un sacré uppercut en format XXL aux thématiques de l’héritage, passé, présent et futur, sur fond de prod’ de battle. En réalité, si Royce Da 5’9″ est ainsi, ce n’est pas tellement qu’il cherche à prouver en permanence que le mec est un lance-flamme ambulant. Il s’est surtout trouvé lui-même, sûr de sa force mais également de ses faiblesses, comme il le prouve sur « Pray ». Le MC prend du recul, regarde le game avec distance.


« I ain’t leaving here without a classic »


Layers est-il donc devenu le témoignage policé d’un vieux de la vieille du Hip Hop ? Pas si sûr. Avec un son déifié, Royce met un coup de collier niveau écriture sur « Shine ». Polyvalent, il prouve que, même sans artifices, il se débrouille mieux qu’on pensait niveau chant. « I an’t leaving here without a classic », dit-il. S’il n’est pas exactement en train d’en construire un, le niveau est quand même sacrément élevé.


Difficile pourtant de tout assumer pendant 17 titres. Alors, est venu le temps des invités. L’acte commence avec « Misses » et un K-Young qui vient tranquillement poser sa voix sur les refrains d’un titre rigolard, sorte de « Elle Donne Son Corps Avant Son Nom » 2.0, avec Snapchat et chantage à la clef. Dans le même ton léger, on trouve « Dope! » avec Loren W. Oden. L’atmosphère ultra-chill d’un Curren$y + Harry Fraud n’est pas très loin, pour nous raconter… le quotidien de la revente de stupéfiants. Nous, pour le même thème, on a PNL. Monde de merde.


Déjà présenté en tant qu’extrait, « Layers », en compagnie de Pusha T et Rick Ross, sur fond de simili J.U.S.T.I.C.E. League, et Maybach Music, se concentre lui sur les difficultés du milieu. Difficile de faire plus personnel à trois plumes. On oubliera vite « Quiet » avec Tiara et Mr. Porter, qui mis à part cette dernière, n’apportent pas assez d’énergie pour faire oublier que le morceau se déroule sur deux notes.


Quand on nomme un titre « America », qu’on l’ouvre sur une basse crado et des bruits de gun, qu’on enchaîne sur une provocation mi-sociale, mi-individualiste, avec quelques glorifications personnelles en teintes de fond, on ne peut qu’être comparé à Kanye. Le morceau, inégal, est représentatif d’un Layers globalement plaisant, mais dont le diamant saute un peu trop souvent. Ainsi, on enchaîne dans le même morceau des vers maladroits…



The spirit broken and so the wife and kids are born into only knowing the White Castle menu / While the richest born into white castles



…et de purs moments d’illumination sur le refrain.



And soon as you die then here goes this / « Oh, now he heroic / Oh, now he the coldest / Oh, now it’s he had that talent and I didn’t know it »



Il faudra en réalité attendre « Gottaknow » pour reprendre, sur la même trame sonore, le thème cette fois collé à l’histoire personnelle de Royce, dans une atmosphère filmesque et intimement liée à Détroit. Enfin, le rappeur finit, comme c’était à attendre, dans une grande furie de flammes sur « Off ». Le titre finit sur un chuintement en règle. Le bonhomme n’en a pas fini avec nous. Nous n’en avons pas fini avec lui, non plus.


Que doit-on vraiment retenir de Layers ? D'abord et avant tout, un album de qualité et la preuve, à 38 ans, que son interprète est très loin de n'être qu'une figure de mythe dans le Hip Hop, au sens passif du terme. Pourtant, si l'album se tient, si les influences et les références sont cohérentes, on ne peut s'empêcher de penser qu'il manque un je-ne-sais-quoi dans le dernier effort de Royce Da 5'9". S'il devait absolument être identifié, on pointerait ce classique tant évoqué par le rappeur. Il manque un morceau qui sort du lot. Pas de précipitation, toutefois : le MC nous a prévenus, Layers est inscrit dans un cycle plus grand.

Hype_Soul
6
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le 19 avr. 2016

Critique lue 233 fois

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