En ce moment le rap français est en pleine évolution, et de plus en plus de rappeurs ont opté pour un style plus électronique. Beaucoup de roulages de snares, des basses très graves, une rythmique tonitruante, des refrains autotunés à mort mais qui sont entêtants, des prods disséquées par des flows saccadés... La trap a fait de nombreux adeptes. Les trapézistes se sont répandus dans tout le milieu du hip hop. Si bien que presque tout le monde s'est mis à ce nouveau type de musique qui est en train de briser les codes et l'ordre qui avait été plus ou moins établi, ou du moins plutôt bien représenté par le passé avec les têtes d'affiche du game. Maintenant, on constate que les idées et valeurs que les rappeurs défendaient à l'époque, ainsi que de nombreux clichés, ont fini par perdre leur sens.


Des mecs comme PNL Sofiane Kalash Criminel Damso Vald, chacun est différent mais tous dressent le même constat que la plupart des jeunes en 2017. Le monde change, la musique change également. On est dans une ère où le capitalisme, l'argent, la consommation, la dématérialisation, la drogue... Tout ça est banalisé pour le faire paraître acceptable et on continue à avaler la pilule qu'on nous donne. Beaucoup de gens passent leurs temps à critiquer le système, mais continuent malgré eux à faire vivre ce système.. En vérité, ils ne font que s'adapter à la masse eux aussi.
Aujourd'hui, on dit que la musique rap "old-school" est terminée, puisqu'elle ne ramène plus assez de vues et de ventes en comparaison avec la nouvelle école. Comme si une musique pouvait s'écrouler uniquement parce qu'elle n'est pas assez rentable financièrement... Est-ce que c'est pour la musique, ou pour l'argent et la gloire que tu fais tout ça ?


Ils seraient prêts à leur reprocher de ne pas vouloir évoluer et se mettre au goût du jour comme tout le monde. Pourtant il existe toujours un public friand de rap boom bap à l'ancienne, et je pense qu'il y en aura toujours car ce sont les instrumentales idéales pour tout vrai rappeur qui se respecte. La façon de poser est complétement différente. On voit tout de suite la différence entre un rappeur qui pose que sur de la trap, et un autre qui a saigné les beats old school boom boom bap. L'un pousse la chansonnette à moitié ou a le même flow que migos, et l'autre sait bien écrire et a un rap plus travaillé techniquement. Bon bien sûr c'est une généralité, et un cliché, mais je vois tellement de rappeurs trap en manque d'originalité que c'est parfois attristant. C'est bien de dire "Je fume faya dans la street J'bibi tout mon shit Et j'bois tout mon lean Puis j'retourne au bendo après le bedo" mais quel est le but et pourquoi tu fais la même merde que tout le monde ? Voilà quoi. Parfois ça vole pas bien haut lyricalement.


Ceux qui écrivent de la trap, j'ai l'impression que la plupart ne veut pas se prendre la tête, ils se contentent d'écrire sur leurs téléphones ce qui leur vient à l'esprit, en fonction du moment présent. Tu racontes ce qui se passe dans ta vie tout simplement. Ou alors tu inventes. Ce qui donne souvent des phases très imagées mais avec des rimes pauvres ou des flows vus et revus.
Parfois les mecs lâchent des freestyles le téléphone sous les yeux, genre le texte ils l'ont même pas appris... C'est pété. Soit ils aiment se défoncer, soit ils passent leur temps à bicrave. Mais la vérité, c'est que quand tu vends vraiment de la coke, à moins de faire parti d'un gros gang et de la jouer discret, tu ne vas pas le crier sur tous les toits. Alors en France c'est bien souvent de l'égo-trip ou des choses qui sont inventées de toute pièce. Pas grand monde faisait comme ça à l'époque. Presque tout le monde était conquis par le gangsta rap, et pourtant peu faisaient parti de vrais gangs. Le rap était formaté, pour rapper il fallait soit s'engager dans quelque chose, défendre ses propres idées, et réussir à trouver sa place parmi ceux qui entretiennent le mythe du délinquant, gangster, voyou, qui veulent juste faire du beef. D'autres MC's essayaient tant bien que mal d'avoir un rap plus posé qui ne correspondait pas aux clichés. Mais ça ne marchait pas pour autant. Ceux qui étaient un brin engagés devenaient des rappeurs "conscients" et les autres des inconscients. D'autres auraient voulu refaire le monde...



C'est pas une question d'époque j'suis tout en bas de l'échelle du hip-hop
Ça a l'air bon mais j'veux pas goûter à ce qu'ils mijotent
Ils ont tout niqué, tous violé notre abus d'confiance
Grotesque mon style au seize j'ai trop de textes sur la conscience
Quelques MC insouciants, subsistent en sursis
J'entends quelques son d'vous, mais l'talent n'a jamais suffi
J'crois que j'suis condamné, à rapper pour les miens
Si seulement ils savaient ce que j'détiens entre les mains



L'inconnu


Mais "on atteint pas l'million en faisant la révolution"
C'est pas non plus un bel exemple pour les gamins qui écoutent et vont grandir avec de tels modèles alors que 15 ans en arrière les rappeurs n'avaient pas la même image et les jeunes pas la même perspective. Il fallait avoir une certaine crédibilité et c'était un milieu qui n'était pas ouvert à tout le monde. Aujourd'hui tout le monde peut rapper même avec peu de bagages et peu d'expérience. Les genres se mélangent et la musique trap est tellement populaire qu'elle est en train de devenir une nouvelle forme de variété. Et certains qui ne sont même pas encore au point dans leur façon de poser, finissent quand même par rencontrer le succès. Tandis que d'autres continuent à trimer dans l'ombre. C'est la loi du plus fort, du plus rentable, où chacun lutte pour trouver sa place dans un monde attiré par l'appât du gain. Ou certains pensaient avoir trouvé le ticket mais ont raté le train.


Alors qu'il y a toujours des mecs dans l'obscurité abyssale des bas-fonds. Des inconnus qui travaillent dans l'underground, qui taffent dur et bien souvent par passion, mais que certains qualifient outrageusement de "puristes"...



"Ils disent que j'suis un puriste, pfff dit leur Demande pas à un
Tsigan s'il a laissé sa guitare pour un synthétiseur"
[...]



Et là Cenza vient de sortir de l'ombre. Il lâche cet album, plusieurs années après l'excellent "ça vient des bas-fonds", et il faut dire qu'une fois de plus, c'est particulièrement réussi. Dans la liste "meilleurs albums boop/bap rap fr 2017" je pense que "Les prophéties d'une plume" est le meilleur album qu'on ait eu depuis longtemps. Les prods sont... Monstrueuses. C'est bouncy. Tu bouges la tête automatiquement. Et c'est sombre aussi. Très sombre.


Mention spéciale pour "A mes pieds" / "Sur les p'tits acte 2" / "L'inconnu" qui qui sont vraiment réussies sur tous les plans. "Le manuscrit" qui est un morceau de dénonciation pendant 10 minutes de manière intense, où ça balance dans tous les sens sur sample de piano et kick qui claque...
Coup de coeur pour "Fait Divers" où Cenza nous livre l'un des meilleurs story tellings du rap français. Ça raconte l'histoire d'un jeune qui veut monter un braquage avec ses potes. L'instru a utilisé un sample de musique classique souvent utilisé. Le thème est connu, mais là l'histoire est racontée par le biais d'un dialogue où cenza change de tonalité dans sa voix en fonction de chaque personnage. Les paroles sont tellement réalistes, et la fin est saisissante. Je vous laisse écouter, de préférence avec le casque pour vous immerger, à la fin j'étais choqué par la lourdeur. Ce son est une bombe, tout comme le reste de l'album. https://www.youtube.com/watch?v=rhEXiKYliUM


Tout le reste de l'album est excellent... Je me disais que s'il était sorti quelques années en arrière, il aurait fait un carton et serait devenu un classique instantané tellement c'est du pur rap. On sent que Cenza fait parti des vrais. Il est pas dans ces trucs de Mumble Rap. Il est avec ceux qui restent authentiques. Il fait parti des rares rescapés qui continuent à kicker l'beat proprement et avec la rage. C'est peut-être un inconnu ou un rappeur méconnu, mais c'est un vrai connaisseur. Tu sens qu'il est habité et qu'il rappe avec ses tripes. Lui et L'Uzine font des instrumentales incroyables. Comme je le disais un peu plus haut, il aurait sorti cet album dans les années 90, je peux te dire qu'il serait très vite devenu une référence. L'époque a changé, mais cette forme de rap ne mourra jamais tant qu'il y aura des artistes comme Cenza qui continueront à le faire vivre brillamment, même dans l'ombre.


Je sais également que dans plusieurs années, j'écouterais encore cet album. Est-ce que ça en fait un classique selon vous ? Donnez vos avis si vous voulez. En tout cas j'attends avec impatience le prochain projet "Tout droit sorti de Montreuil" et j'espère que Cenza aura le pouvoir de prospérer car c'est du vrai bon rap à l'ancienne on en a besoin putain, oui... ça fait du bien ! Merci Cenza !

Nibor
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le 23 déc. 2017

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