Un an s’est écoulé depuis le précédent album d'Ithaca Trio, New Music from the Delta Quadrant. Sorti alors chez Hibernate, ce très bel album cousu de boucles acoustiques, électroniques et vocales avait fait davantage connaître les travaux d’Oliver Thurley, initiateur de ce projet qui n’a d’un trio que le nom, et actuellement en PhD en Composition à l’Université de Leeds. Son nouvel opus, Music for Piano & Patience, est sorti en novembre sur l’immanquable label Home Normal géré par Ian Hawgood (qui s’occupe également du mastering et de la photographie), et est déjà quasiment épuisé.


Si le projet perd son épithète herculéen — temporairement apparu avec New Music from the Delta Quadrant —, le contenu n’en est pas moins impressionnant, bien au contraire. Composé de deux longues pistes enregistrées en 2009, de plus de 30 minutes chacune, Music for Piano & Patience se distingue par son épure poussée à l’extrême. Thurley y délaisse en effet toute la diversité instrumentale de son précédent album pour n’en conserver que le cœur, ces boucles qui nous happaient pour ne plus nous lâcher, ainsi que son piano.


Comme à cloche-pied, quelques notes, instables et fugaces, ponctuent l’ouverture de l’album. Puis à pieds joints, plus assurées car par paire, elles viennent rejoindre les premières dans leur vaine ascension. Esquissant une longue et minutieuse descente, la première partie de l’album, Lepidoptera, pt. ii, enveloppe petit à petit ces chapelets de notes d’une dimension presque sous-marine, métamorphosant alors le piano au cours de cette plongée, immersive mais aucunement anxiogène. Quelques notes tentent de garder la tête hors de l’eau, mais seront submergées par les eaux, attirées par le chant des abysses, ces sirènes des profondeurs. Les protagonistes vacillent, s'effilochent et se dissolvent inexorablement.


Si ce premier morceau suggère une descente dans son évolution, le second, Just Skin, est, à l’inverse, son opposé. Nul crescendo à attendre ici cependant, la progression est encore une fois délicate et se déploie patiemment sur 35 minutes. Les boucles de piano paraissent plus sûres d'elles et, même si elles se désagrègent également au fil de cette ascension, cette désagrégation s'opère de façon plus légère, plus aérienne — une sorte de lente sublimation tempérée, si l'on veut. Une fois sorties du cocon protecteur des premières minutes, les notes se délestent ainsi doucement de leur enveloppe corporelle pour s'élever davantage. Un drone solaire viendra les cueillir vers la 22ème minute, pour achever leur transformation vers des cieux hospitaliers.


Tissé de boucles qui se délient sous le poids des aspérités de l’enregistrement, Music for Piano & Patience est à placer à côté des travaux de William Basinski (The Disintegration Loops en tête) et de ceux de The Caretaker (superbe projet de Leyland Kirby). Home Normal signe avec Ithaca Trio sa plus belle sortie de 2013 ainsi qu’un des albums les plus captivants de cette fin d’année.


http://www.swqw.fr/chroniques/experimental-modern-classical/ithaca-trio-music-for-piano-et-patience.html

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le 9 sept. 2015

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