Bienvenue dans le passé mon pote !


Y'a un certain temps, qu'était encore y'a pas si longtemps, la musique c'était pas tout à fait ce qu'on connaît aujourd'hui. Et pourtant, si tu remontes à ce qui se passait à cette époque, tu comprends tout. Elle vient de là, la musique.


D'une bande d'esclaves exploités, fracassés jusqu'au plus profond de leur âme par une vie aussi pénible qu'injuste, quelque part au fond de l'Amérique. Perdus entre les champs de coton et la poussière, ils ont extrait de l'horreur la beauté. Leur vie est un oxymore sans fin.
Puisant dans la folk et ses gammes pentatoniques et majeures, puisant dans leurs racines africaines porteuses de rythmiques syncopés, puisant dans le christianisme l'inspiration de ces chants, et puisant avant tout aux confins de leurs êtres pour approcher le divin.


De leur douleur, de leur foi, est née la musique spirituelle. Le gospel. Alors dans cette musique, on ne chante pas pour soi. On ne chante pas seul. On ne chante pas pour la gloire.
On chante parce qu'on s'aime, on chante pour être ensemble. On chante pour s'unir.


Forcément, c'est comme ça qu'on se retrouve avec des choeurs qui explosent en polyphonie derrière un leader qui crache son désespoir, son espoir, sa vie, sous la forme de répétitions, de questions-réponses avec la foule. Un dialogue qui remonte à la nuit des temps, une conversation avec l'humanité, ses ancêtres, leurs esprits, tout ce qui peuple ce monde ou n'importe quel autre.


On aurait pu passer à côté, que ça reste une sorte de chant tribal, une tradition locale, mais heureusement, à force d'implorer le bon Dieu, il a fini par leur renvoyer l'ascenseur. Y'avait quelque chose d'inarrêtable, d'inéluctable, dans ces chants de toute façon. Alors ça a fini par faire exploser les murs des petites chapelles qui abritaient ces réunions, ça s'est propagé dans la rue comme une épidémie, un virus invincible. C'est devenu la musique des voyageurs, des types qu'ont rien à perdre. Ils l'ont faite muter pour créer le blues, la soul, la funk, le jazz.


Et tout ça, ça vient de la misère du South Américain. Là où il fait chaud et sec, où on meurt sous les coups parce qu'on a eu la malchance de naître sous un soleil qu'aime pas le noir et blanc. Sauf que ces gars-là, ces gars laissés sur le bord de la route par un type dont ils chantaient la gloire tous les dimanches, ils ont jamais laissé le destin faire plier leur musique. C'est lui qui lui a donné naissance, l'a nourrie, lui qui en a fait ce qu'elle est.
Et heureusement, un type qui passait par là a eu la bonne idée de garder une trace de ces moments. Un type qui nous permet de voyager dans le temps, du côté de la rive Sud du Colorado, de poser notre carcasse au milieu d'un groupe de blacks en pleine illumination, en pleine transe. Alors on s'imagine là, à chanter avec eux, avec rien d'autre qu'une guitare comme accompagnement. On s'imagine faire partie de ce groupe, partager ce bonheur, éphémère mais sincère, vivre au coeur de cette musique, au coeur de la musique. On ressent avant de chanter, on pense après, si on a le temps. Peu importe, ça vient d'un endroit auquel le cerveau n'a pas accès.


Quelque part, sous un soleil de plomb, agressé par la sécheresse et la faim, on atteint enfin cette sensation d'appartenir à quelque chose de plus grand, d'être magnifié par l'autre. On se sent bien, confortable, au chaud, touchant à nos origines. Une plénitude, une certitude. Ça y est.
On est à la maison.

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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Blues, folk, entre souffrance et liberté, Des fois je suis méchant, je chante, je m'enchante, je déchante, je commente et Soul Has Soul

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le 23 mars 2016

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