Blind Mr. Jones : Un bon nom à coucher dehors simple et efficace comme on en fait plus, des promo-shots post-adolescents et une jaquette cracra; pas de doute, Stereo Musicale est un une pièce d'histoire tout droit sortie des 90's. Avec un gros temps d'avance ou de décalage - c'est selon - avec ses contemporains. Mais ça, impossible de le savoir avant de nourrir le mange-disque.


Entre nous, un groupe qui enfante un album surprise en guise de premier jet devrait toujours avoir la partie à moitié gagnée. Quoiqu'en regardant la trace microscopique laissée par les anglais sur la frise temporelle de ces 40 dernières années (1991-94) il y aurait bien matière à penser l'exact opposé. A l'ombre de mastodontes fatigués mais désespérément increvables, ce ne sont pas les exemples de groupes météoriques qui manquent.
Blind Mr. Jones est bien évidemment de cette catégorie de combos explosifs sur une période ridiculement courte, souvent atypiques, qui parviennent à se faire oublier aussi vite qu'ils frappent fort. Rétrospectivement, lorsque Cherry Red Records (Dead Kennedys, Felt, Eyeless In Gaza,The Monochrome Set, Alien Sex Fiend, The Nightingales...) sort Stereo Musicale en 1992, le succès doit tomber sur les quatre gars de Marlow, les emporter, les broyer et ne les recracher exsangues qu'une dizaine d'années plus tard. Merde, en deux EPs les gamins ont déjà croisé la route de Jonny Greenwood (Radiohead - qui n'a pas encore bouclé The Bends) et Neil Halstead (Slowdive), rien ne doit ni ne peut les arrêter... hormis le groupe lui même peut être. A moins que ce ne soit l'époque.
Même si cela peut paraître incongru Blind Mr. Jones, accueilli favorablement par la critique à une époque où 4AD et Too Pure forgent encore leur légende à grands renforts de sorties exigeantes et fortes en personnalité, semble avoir été victime de son talent - indécent - de son envie dévorante pas toujours canalisée et de sa jeunesse. Qui, au sortir d'une décennie de déconstruction, pouvait bien avoir l'idée saugrenue d'intégrer de pleines louches d'éléments 70's dans un disque portant bien calé entre les derniers soupirs du Shoegazing, l'entrée en hibernation du Goth Rock et l'explosion du Rock Alternatif et des dérivés du Hardcore de l'autre coté de l'Atlantique? Blind Melon, oui, pour la postérité que l'on sait. Mais aussi et surtout Blind Mr. Jones pour le coup. Venir foutre du Jethro Tull dans tout ce bazar était suicidaire. Et absolument brillant.


De fait, Stereo Musicale gagne d'office et en seulement quelques titres, ses galons d'ovni à une époque où la singularité n'est pourtant pas une denrée rare. Les étranges Red Temple Spirits avait bien fait le coup de l'improbable mais renversant melting-pot Goth/Psych/Flute dans une veine beaucoup plus obscure et mystique quelques années plus tôt mais ce que Blind Mr. Jones parvient ou aurait du parvenir à faire est un pari peut être encore plus fou car voué à conquérir un public beaucoup plus large. Superpositions de flûte et de monstrueux aplats de guitares Ride-iens ("Sisters", "Going on Cold"), notes perlées, basse solide au reverb glacé, langoureuse, impitoyable ou simplement en retrait lorsque le besoin se fait sentir, batterie infatigable, excellence mélodique et ambitions Pop: l’identité de Blind Mr. Jones est posée d'emblée.
Insaisissable au point d'évoquer voire de convoquer tantôt Slowdive, les hybrides Coldwave popisants The Church et For Against ("Spooky Vibes", "Dolores"), l'explosivité Goth sulfureuse de Siouxsie &The Banshees ("Spook Easy"), le romantisme désespéré de Lowlife ("Regular Disease", "Against the Glass") ou les atmosphères rêveuses et lugubres de Cranes ("One Watt Above Darkness") voire d'envoyer quelques escalades à vous faire ranger à des nuées de d'adeptes du Post-2000-core (quasiment un genre à part entière) leur petits rêves d'élévation au placard ("Henna&Swayed"). Et toujours cette flûte enivrante, identité et véritable marque de fabrique d'un groupe aux visages multiples. Bluffant mais franchement étourdissant du haut de ses 61 minutes, Stereo Musicale inspire autant qu'il signe son arrêt de mort en étant ce qu'il est. Un disque ambitieux mais ouvertement très Pop qui évite en prime systématiquement toute classification définitive dans des styles de toute façon à la marge et dont beaucoup mettront des années à resurgir. Un disque trop plein trop vite, enregistré avec trois ans de retard ou bien 10 d'avance. Un disque beaucoup trop casse gueule pour son propre bien. A d'autres le succès. Blind Mr. Jones, de son coté,avait pour lui le frisson du génie, la fougue débridée et l'ivresse des débuts qui chantent. Tant pis pour les lendemains. Il est de toute façon trop tard désormais.


https://www.metalorgie.com/groupe/Bind-Mr-Jones

Craipo
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le 28 mai 2018

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