Il y avait quelque chose de grandiose et de ridicule sur cette pochette, traînant au milieu des innombrables sorties de mars 2020. De loin, une superbe fille typée mannequin, à la virevoltante crinière dorée sur un fond rouge chatoyant. De près, un personnage finalement plus hermaphrodite que prévu, aux traits grossiers et caricaturaux. La surcharge du maquillage excède le quintal de graisse de phoque. Le regard est vide et faussement profond, le visage suinte l’injection de matière plastique. Plastique qu’on n’est d’ailleurs même plus surpris de retrouver enroulé autour du cou de ce mannequin inanimé. Puis ces lettres néons, Superstar, qui enfoncent définitivement le clou de la moquerie dans la motte de beurre du ridicule.
Ce visage, rayonnant de loin mais navrant de près, c’est celui de la star des temps modernes que Caroline Rose a voulu décrire dans son nouvel album Superstar. En un coup d’œil, on retrouve tout le sarcasme et la malice de la chanteuse américaine. Caractéristiques qu’on rencontre également tout le long de cet album, qui retrace en 11 chansons le parcours et les déboires de ce personnage haut en couleur, déterminé à accéder à la célébrité à l’aide d’une confiance en soi inébranlable. Sujet pertinent s’il en est : après tout, ce voyeurisme dont le quidam moyen fait preuve en observant ces personnages inatteignables, presque sacrés, se vautrer au moindre geste que la plèbe aimera juger déplacé aux yeux de son étroit référentiel moral, pour finalement se relever de la seule force de leur ego proportionné à leurs ambitions… n’est-ce pas là le divertissement ultime ?
A l’image de ses précédents albums, les textes sont légers et pleins d’esprit, à la manière de son compatriote Alex Cameron. Le morceau Do you think we’ll last forever, guilleret et volontairement « over the top », raconte tout l’emballement du personnage principal pour une relation d’amour naissante, allant jusqu’à lui réciter du Bryan Adams, équivalent canadien de notre Francis Lalanne national en terme de niaiserie pour veuves à chats. C’est donc sans surprise que la chanson suivante s’appelle Feelings are a thing of the past… Quelques minutes plus tard, la chanson Freak like me, basée sur une boucle raffinée de piano baroque, raconte une nouvelle liaison amoureuse, cette fois-ci concernant un couple SM. Sans transition aucune. Et ça dure tout un album !
Parfois potaches sans jamais tomber dans la lourdeur du « lol cé 1 chansson drol kom Lorenzo », les situations décrites vous feront au minimum esquisser un sourire. Sourire qui sera de toute façon inévitable compte tenu des irrésistibles refrains pop dont regorge Superstar.
Car c’est bien là que se situe la nouveauté de cet opus : partie d’un registre folk-country baignant de tout son corps dans l’Americana, Caroline Rose a opté cette fois-ci pour une direction… synthpop ! A l’origine de cette nouvelle orientation musicale, l’artiste américaine a déclaré avoir voulu s’émanciper, regrettant d’avoir fait trop de compromis par le passé sur ses précédentes productions. C’est donc quasiment seule qu’elle a assuré la réalisation de ce nouveau projet, signant l’intégralité de ses textes et de ses compositions, ainsi que la production. Et c’est à mon sens une grande réussite, tant chaque morceau ou presque parvient à se démarquer du précédent sans jamais tomber dans la redondance !
En plus de l’efficacité des refrains, Caroline Rose nous gratifie çà et là de splendides envolées instrumentales et vocales, rappelant au passage que son talent de chanteuse ne se limite pas à ses textes. Le changement de ton à la fin du morceau d’ouverture Nothing’s impossible est un moment grandiose, tout comme l’outro de Do you think we’ll last forever est magistral. Les claviers de Pipe Dreams vous emporteront au pays des merveilles, entre rêveries sucrées et délire psychédélique. De mémoire, je n’avais jamais eu de frissons de pur plaisir musical sur des morceaux de pop aux paroles aussi drôles et bien ficelées.
On pourra reprocher quelques excentricités dans la production de certains morceaux, qui auraient peut-être gagné à être plus épurés et « directs », comme sur le morceau Back at the beginning qui part un peu dans tous les sens. Mais ce serait aller chercher au microscope la paille dans l’œil de son voisin que de se braquer sur ces détails, tant le reste du projet est remarquable en tout point.
Il y a tout ce que j’aime : de la pop aux mélodies accrocheuses, de l’humour bien dosé, et des arrangements musicaux à tomber par terre. En espérant qu’une tournée européenne soit programmée pour bientôt, l’occasion de pouvoir voir de mes propres yeux cette superstar aussi décalée qu’attachante.
- En quelques mots : Le divertissement ultime
- Coups de cœur : Nothing’s impossible, Do you think we’ll last forever, Feel the way I want, Freak like me, Pipe dreams
- Coups de mou : Back at the beginning
- Coups de pute : RAS
- Note finale : 9-