http://daskuma.com/dirty-projector-swing-lo-magellan-chronique-review/

La musique occidentale est pleine de codes que l’on connait bien : rythmique binaire, « couplet – refrain – couplet – refrain – pont – refrain », basse, batterie guitare etc… Notre oreille a été éduquée pour reconnaître et aimer cette musique. Folie inconsciente ou prétention, la musique de Dirty Projectors fait fi de ces codes. Non pas qu’ils sont ignorés comme le ferait un ermite autodidacte, ils sont maitrisés et transcendés. Ainsi, en se débarrassant de ces codes, structures et autres synthés à la mode, on revient à quelque chose de plus primitif, plus essentiel. Et les éléments les plus essentiels de la musique, communs à toutes les cultures et tous les âges sont la voix et le rythme (claps de mains qui plus est) et ils sont tout deux centraux dans l’oeuvre de Dirty Projectors.

Questionner les codes de la musique et même ses propres codes, c’est ce que fait Dirty Projectors depuis maintenant six albums. Le groupe a beaucoup évolué, s’est transformé mais David Longstreth en est toujours resté le centre. Dans le noyau dur on citera aussi Amber Coffman, sa compagne. On les voit tous les deux sur la pochette de Swing Lo Magellan (le type au milieu c’est un voisin).

Dépourvu de ces codes auxquels on aime tant s’accrocher, l’écoute des premiers albums de leur discographie peut s’avérer déroutante et pas immédiate. A croire que Dave Longstreth s’efforçait de rendre les choses compliquées. Personnellement c’est leurs excellentes collaborations qui m’ont permis d’entrer dans leur univers. Il y a eu Knotty Pine avec David Byrne pour la compilation culte Dark Was The Night, puis cette collaboration avec Björk ou plus récemment Get Free avec Major Lazer. Et puis Swing Lo Magellan est arrivé.

On dit que le cerveau humain ne peut traiter que trois sons à la fois. Tout au long de l’album on est souvent réduit à de la voix, une basse et des percussions. Quand des cordes apparaissent c’est souvent alors qu’un autre élément disparait. Les titres en ressortent simples et extrêmement lisibles. Cette simplicité n’est pourtant qu’apparente car chaque élément est énormément travaillé.

Offspring Are Blank ouvre l’album avec des claps et d’étranges choeurs masculins. Ce titre parle d’hybridité et de progéniture létale, et cette hybridité dépasse le texte et s’illustre dans la musique même. Les différentes parties du morceau sont de nature très différentes. Des guitares distordues surgissent, sorties de nulle part, puis repartent pour laisser à nouveau place aux choeurs et aux grosses basses R’n’Bsantes. Les choeurs d’ailleurs alternent entre voix d’hommes, de femmes ou mixte.

Tout l’album est truffé de délicieuses subtilités. Sur le titre About To Die, le chant flotte parfois légèrement sur le rythme. Lors du refrain par exemple, la montée « cause I’m about to die » est chantée par Dave en triolet, en lèger décalage avec les choeurs qui sont eux parfaitement sur les temps de la musique.

Gun Has No Trigger est peut être le titre le plus remarquable de l’album, hypnotisant, on en tombe accro dès la première écoute. Le titre parle de frustration et d’impuissance, d’un revolver prêt à tirer, mais qui n’a pas de gâchette, d’une bonne et forte volonté, mais dont l’action n’a aucune véritable conséquence. Les choeurs sont simples, ils consistent en trois voix chantant une seule voyelle sur absolument toute la durée du titre. Mais lors du refrain un crescendo s’opère et le « ooooh » s’ouvre vers un « aaaah » puissant. L’introduction du morceau à la batterie est atipique. Elle commence sur le 3ème temps de la mesure donnant un départ surprenant et presque boiteux.

La « règle des trois éléments » est rompue sur le titre éponyme Swing Low Magellan, où l’on entend voix, guitare, basse et batterie, mais tous les quatre semblent veiller à ne pas prendre le pas sur les autres. Une retenue qui rend ce titre très touchant.

Maybe That Was it est le seul titre un peu laborieux voir désagréable de l’album et c’est clairement un sentiment provoqué volontairement par l’artiste. Le rythme n’est pas tenu et la guitare est forte et larmoyante. La batterie se traine et semble s’endormir. On ressent un soulagement réjouissant lorsque le charleston se ressert, mais ça ne dure jamais plus d’une mesure.

Le mixage de l’album est lui aussi très intéressant. Sur Impregnable Question, la batterie est balancée totalement à gauche, alors que les choeurs sont à droite, laissant, au centre, le chant, le piano et le tambourin. Encore une fois, il s’agit d’une complexité cachée. Quelque chose de simple et essentiel rend la première écoute très agréable, mais une écoute prolongée et attentionnée laisse de multiples subtilités se révéler.

Chaque titre est d’une grande richesse. Sur See What She Seeing le chant de Dave surf à nouveau sur la musique, tombant souvent juste après le temps. Et ce coté négligé est contrasté par des beats complexes et précis ainsi qu’avec les choeurs toujours parfaits et carrés que l’on retrouve sur le refrain. De très beaux arrangements de cordes parcourent aussi l’album, parfois comme seul support à la voix.

Amber se retrouve toute seule au chant sur The Socialites. La mélodie du chant semble étrange à la première écoute, passant des médiums aux aiguës, accompagnée d’étranges sons modulés. Des mauvaises langues pourraient prétendre qu’il s’agit d’un goùt pervers pour la complexité et l’étrangeté, mais je pense qu’il s’agit simplement d’un grand talent d’écriture. Et ce qui me fait pencher pour la seconde option c’est que, longtemps après l’écoute, une petite voix vient trotter dans ta tête chantant « oh baby, the socialites who act so nice won’t ever begin to let you in » ne te laissant d’autre choix que de jouer le titre sans plus attendre. Encore une fois, la voix est ressentie comme élément central, ce qui permet de créer un rapprochement avec le R’n’B. Et même si c’est par une autre approche que celle d’artistes comme How To Dress Well, James Blake, The Weeknd ou Frank Ocean, il est intéressant de mettre en relation ces mouvances très actuelles.

David Longstreth semble s’être décomplexé sur Swing Low Magellan. A croire que, jusqu’ici, il s’empêchait de faire une musique trop directe, il refusait de nous passer la crème. Et pourtant, c’est sans aucun compromis qu’il est parvenu à nous livrer cet album qui est une véritable crème pour les oreilles. Sur Unto Ceasar, on entend Haley, Olga et Amber se moquer de l’absurdité du texte de Dave. De la distance a été prise sur toute cette dimension absurde, étrange et complexe liée au groupe depuis les débuts.
TristanI
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le 23 oct. 2014

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