The 2nd Law
5.2
The 2nd Law

Album de Muse (2012)

L'album commence par un morceau nommé Supremacy. Riff qui tache, ça fait pang, boum, les aigus de Bellamy sont là, la montée en puissance aussi, une perte de contrôle sur la fin, ça s'énerve déjà, c'est grandiloquent et déjà on se dit : Muse est de retour. C'est dans la veine d'un Stockolm Syndrome, presque d'un Dead Star, ça rappelle les fraîches années, il y a des petites trompettes rigolotes, ça fait tout de suite plaisir, le fan est peut-être rassuré s'il a déjà subi comme nombre d'entre nous cette espèce de bouffonnerie doucereuse pop-vermoulue qu'est Madness. Et puis surtout, Muse s'auto-parodie plus ou moins maladroitement : figure de proue de la scène rock des années 2000, le trio mené par le guitariste Matt Bellamy, composé du bassiste Chris Wolstenholme et du batteur Dom Howard détient bel et bien la suprématie commerciale mondiale d'une production musicale spécifique à un stade sans doute jamais atteint.


Muse a donc encore oublié de se prendre au sérieux, des millions plein les poches, des stades entiers qui se remplissent en un temps record, des singles toujours en top 10 d'innombrables charts qui passent en boucle sur les ondes, des milliers d'albums vendus, une discographie exaltée par des fans toujours plus nombreux, et le groupe déjà tente une compilation "fête foraine", jouant sur les genres musicaux. Classique, funk, électro, dub/brostep et, ne l'oublions pas, même si nombreux sont les tambours annonciateurs d'une déchéance de leur spécialité, rock. The 2nd Law, titre référence à je ne sais quelle loi physique particulière, à la pochette aux couleurs fluo représentant je ne sais quelle coupe du cerveau humain sur fond noir, apparaît donc enfin, après trois ans d'attente et une sorte de "MTVsation" de la production des britanniques survoltés. On se souvient encore tous très bien du contesté The Resistance, déjà symbole pour beaucoup d'une irrépressible chute musicale annoncée par quelques notes d'Absolution et de trop nombreux morceaux de Black Holes and Revelations. On s'attendait tous, nombreux fans du groupe que nous étions, auditeurs compulsifs d'Origin of Symmetry, admirateurs zélés de Showbiz, Hullabaloo, de la plus grande part d'Absolution et de la seconde moitié de Black Holes and Revelations à cette révolution promise en filigranes dans les interviews étranges de Bellamy. Et parmi nous, tous furent certainement déçus.


On a eu un trailer semi-orchestral, semi-dubstep décevant sur un premier abord et excitant sur le second. Quelle mixture bellamyenne était donc en train de se concocter ? On a eu Survival, amusante lancée musicale olympique en méga-référence aux hymnes pop-rock-opéra de Queen, assez mégalomane pour rester raisonnablement propre à Muse. On en veut encore, on est mis en appétit par ce goût neuf qui peut être resté amer dans la bouche de certains, mais on se dit que, peut-être, ça y est, Muse tient son inspiration de la nouvelle décennie, un "Origin of Resistance", un "Black Showbiz and New Hullabaloo", des idées musicales d'un rang nouveau, qui tiendront peut-être plus d'un Knights of Cydonia que d'un Starlight, plus d'un Unnatural Selection que d'un Undisclosed Desires.
Et puis, soudain, la folie. Sans mauvais jeu de mot. Madness, comme une infâme tumeur bleuâtre, apparaît sur Youtube, et ça y est, tel est le nouveau tube de Muse, la nouvelle soupe taillée pour le cahier des charges des radios et, semble-t-il, des oreilles d'un public habitué aux plus simplistes compositions. Une chanson de branleur, répétitive, dégoûtante, mièvre et poisseuse qui, en guise de colonne vertébrale, tient sur une seule même note résonant en boucle (avec la même ligne de batterie et de basse). Les fans sont médusés, les critiques sont unanimes, cette graine de maïs OMG enfoncée dans les oreilles du peuple est un doigt levé aux admirateurs de longue date. Ainsi supporte-t-on, suffocant, les deux premiers tiers de la chanson. La troisième partie, en revanche, est le seul raccord, le dernier bout de fromage qui persuadera les rats de ne pas quitter le navire. Un pseudo-solo de guitare culotté et une montée en puissance bellamyenne racoleuse mais pas trop qui sauve le délire. Quel dommage d'avoir fait subir ce "ma-ma-ma-ma-mamama" inconsistant pendant deux trop longues minutes pour une si maigre conclusion... On accordera à tous les dépréciateurs la haine à cette guimauve qui nous a tous désabusés.


C'est dans cet état d'esprit funèbre que se poursuit la découverte des prémisses de The 2nd Law. Où donc est passé la promesse lyrique de l'Exogenesis ? En restera-t-on à Survival, tout de même assez faible argument ? Le fan se ronge les ongles. Les gens de bon goût déjà prédisent l'apocalypse musicale. Doit-on y croire ? Se préparer à abandonner Muse ? The Resistance n'était donc pas un prélude assez éloquent ?
Non, car voici qu'arrive la version définitive du morceau entendu dans le trailer déroutant de l'album : The 2nd Law: Unsustainable. Ici les avis sont tous très tranchés, aussi vais-je donner le mien : j'ai trouvé cette montée en puissance, ce jeu de corde et de choeurs simple et assumé et même cette envolée dub/brostepienne inconcevable de haute, très haute volée. Il y a l'influence des soundtracks de films explosifs, notamment du grand Zimmer, et le choix du genre musical plébiscité par Skrillex (que comme beaucoup je ne supporte pas) est la métaphore même du chaos. C'est dissonant, sale, impitoyable, et le bonus : interprété sur de vrais instruments, avec une montée en puissance jouissive du thème et des voix. Mais Muse peut-il renouveler ce tour de force d'originalité ? Ou l'album promis est-il, lui aussi, "unsustainable" ou juste un long recyclage ?


Ici reprendra le fan à la case Supremacy, qui semblait la plus grande preuve que le trio était capable de retrouver la qualité des "good ol' times". Une introduction osée, survoltée, lyrique, pédante juste comme il faut. Puis, on subit plus ou moins Madness, on s'attendait à sa venue comme à celle de Resistance dans l'album éponyme, et là arrive l'imprévu Panic Station, bonbon acidulé qui pétille dans l'oreille. Quand on ne peut se vanter de connaître les influence funk d'une telle chanson, on apprécie simplement le rythme, la pulsation, la force de ce morceau qui reste tout de même très propre à Muse, par les instruments, la voix de Bellamy. Le navire chancelant de The 2nd Law vient de briser la première grosse vague. Du nouveau, et du bon. S'en suit le prélude de Survival, petite composition paresseuse qui est surtout l'introduction de la chanson olympique. Celle-ci reste de bonne facture. Il est difficile de se lasser de cette montée en puissance, hymne éclatante à la pulsion de victoire humaine, et si le spectre de Mercury/May semble habiter les intentions de Bellamy, cela n'en reste pas moins un tour de force revigorant dont on pourrait excuser les influences trop présentes ou les prétentions musicales. Voilà pour ce que je nommerais la "première partie" de l'album, dans un schéma que Muse nous a souvent proposé (Absolution : Apocalypse Please - Hysteria ; Black Holes...: Take a Bow - Invincible/Assassin ; The Resistance : Uprising - Guilding Light — ces schéma des albums en "hémistiches" sont totalement arbitraires, c'est juste comme ça que j'ai toujours plus ou moins les trois derniers albums du groupe, très personnellement. Les premières parties s'apparentent aux "hits" et aux morceaux s'y rattachant, la deuxième à la partie plus créative et libérée du groupe. Des deux côtés on a eu du bon et du moins bon !)


Il est tout de même très difficile d'admettre que le groupe a fait un travail de haute volée dans The 2nd Law, tout aussi apologiste essaie-je d'être. La suite est difficile à avaler aux premières écoutes. Electro, choix musicaux discutables, pompages d'idées... On ne saurait nier que Muse aurait largement pu mieux faire. Mais quelques pépites peuvent se dégager de la boue apparente.
Ainsi Follow Me, sixième chanson, surprend. Plus efficace et propre aux idées de Muse qu'on pourrait le croire, l'explosion vocale sur fond d'électro, l'exclamation de Bellamy, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, mais assez lyrique et engagée pour transporter celui qui admet qu'il y a du travail et de vraies bonnes intentions derrière cette production, nous lance dans quelque chose d'intense, introduction à Animals, une très bonne chanson de The 2nd Law. Animals est doux, bien composé, très proche du boulot d'Absolution, et monte lentement en force, jusqu'à ce qu'une foule bestiale conclusse le tout. C'est dans Explorers que les choses se gâtent. Miel, caramel mou, nougat, et pourtant ça manque cruellement de sucre. Ballade à la Falling Away With You, Soldier's Poem ou Unintended, ça fait un peu Noël (des grelots!), et c'est trop suppliant pour être agréable. Big Freeze est ridicule. On n'arrive pas à se faire à cette espèce de post-Starlight en carton ; je n'ai jamais vraiment écouté U2 mais je ne peux démentir que ça sent trop fort le Bono pour renier encore cet argument des détracteurs, qui ont décidément raison sur bien trop de points. Les choeurs auraient pu être amusants s'ils n'étaient pas aussi pitoyables.
A ce stade de l'album, on commence déjà à être fatigué. Et on nous sert alors les deux chansons de Chris le bassiste, aussi bon sur son instrument qu'il est mauvais au chant. C'est insupportable, à ma grande détresse. Muse donne de quoi décourager les plus coriaces, les plus admiratifs. Sur ces chansons, il y a de quoi convaincre les révulsés de mettre 1 sans aucun égard, je l'admets, la tête baissée. Je ne suis même pas parvenu à les écouter en entier ! Certains vocaux de Wolstenholme sur des chansons comme Supermassive Black Hole étaient intéressants, mais cette intervention ne tient pas le coup, c'est une triste évidence.


C'est après cet interlude sans intérêt pour l'album et le groupe qu'on en vient (enfin !) à "The 2nd Law", les deux chansons finales conclusives qui nous rappellent l'Exogenesis. Pour qui a aimé Unsustainable, le moment est jouissif. On ressort du pire et voilà qu'on retrouve une part du meilleur. Cette voix de présentatrice télé qui saute comme un CD en mauvais état donne des frissons. C'est apocalyptique et je ne peux que trouver le rythme, en dépit des regards de ceux qui ne l'ont pas supporté, juste et envoûtant. Un moment éclatant. Du beau travail.
La deuxième partie, Isolated System, est mélancolique. Elle achève ce qui sera le pire album de Muse à ce jour, que j'ai trouvé néanmoins à la même hauteur que le déjà décevant The Resistance. C'est un piano et des enregistrements de paroles diverses, qui traduisent un monde industriel qui tourne de plus en plus vite et qui peut aussi ne nous inspirer que de la nostalgie. Cette fin est juste. Elle est la conclusion de cette suite de morceaux inégaux dont on ne doit retenir que le meilleur... Muse donne un espoir pour la suite. S'il a ici touché le fond pour la plus grande partie des auditeurs, tout n'est pas à jeter dans The 2nd Law, loin de là. Il peut encore se redresser, donner le meilleur de lui-même, prouver qu'il y a encore une vraie poésie, une vraie créativité, noire, délurée, osée. Et personnellement, moi qui pensais comme beaucoup finir par perdre espoir en ce groupe dévoré par le succès, voilà que je redresse l'oreille attentivement. Hâte de voir si Bellamy peut nous offrir à nouveau ce qu'il sait faire de mieux.

Aloysius
6
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Créée

le 5 nov. 2012

Modifiée

le 7 nov. 2012

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