Précepte liminaire de cette chronique, il est une condition sine qua non à l’écoute de cette œuvre : un fauteuil confortable, deux heures à consacrer à l’immersion musicale, probablement quelques vivres, un casque ou des enceintes, et des yeux fermés de préférence.
Occult Orientated Crime, c’est le nouvel alias ambient de Legowelt, marqué par une singulière et très personnelle revendication dans le milieu. Legowelt crache littéralement à la figure de ces pseudo-artistes qui prétendent créer de l’ambient en ajoutant trois patterns à un sample loopé et ralenti d’un film des années d’antan : « not just some jumbled up random chiliwave overcompressed 80s retro soggy biscuit jerkoff — this is PROFESSIONAL AMBIENT […] the result of years of experimentation and research », peut-on lire sur son Bandcamp. On sait dès lors à quel genre de pépite stellaire on peut s’attendre. Sorti il y a quelques mois déjà, l’opus a cependant fait très peu de bruit, alors que l’on tient là un incroyable aboutissement de l’artiste.
OOC, c’est un peu le projet léthargique et longuement mûri d’une compilation très condensée d’influences diverses ; il s’agit de l’expérimentation immanente à ce que chacun recherche dans la musique électronique. Il est bien trop rare de trouver des artistes s’aventurant à toucher à tout, et osant sortir un opus consacré à un mélange des genres. OOC a lui osé, et le résultat n’est pas descriptible en un seul mot, puisqu’il confronte les opposés : relaxant et angoissant ; brutal et doux ; organique et machinal ; électronique et acoustique ; progressif et statique ; nocturne et lumineux.
L’écoute seule du disque peut dès lors, et à plusieurs reprises, vous scotcher à votre siège, tout aussi bien que vous en faire décoller. On perçoit un professionalisme dans l’oeuvre, à l’écoute par exemple d’un « Doggerland » évoquant aussi bien Fennesz qu’Earth ou Jeff Mills, représentant ce travail au travers d’une lascivité électronique des plus fortes.


Comme un vin bien gardé que l’on ouvre pour dégustation, la surprise est de taille : la première gorgée est un délice enveloppant le palet de ses arômes subtils, préparant la totalité du corps à recevoir l’intensité absconse, méconnue, ledit corps étant normalement habitué à un vin de sous-catégorie. Chaque nouvelle gorgée est différente, presque lysergique, à l’instar de la diversité des titres et des effets auditifs qu’ils procurent. On se sent de plus en plus ivre, cependant d’une ivresse joviale, jusqu’à ce qu’elle devienne hypertrophique, puisqu’à sa puissance s’allie la lente dégustation, et on ne sait pas lorsqu’elle finira, on ne veut pas qu’elle finisse, on la veut pour toujours et elle semble durer toujours, tant on en est galvanisé. L’album exprime cette exacte même sensation, jusqu’au pilier final, assénant un coup de maître pesant près de la moitié du total : « Norwegian Raven », un titre de près de quarante minutes à la structure à la fois cauteleuse et schismatique, entre stabilité et chaos.
On entre ici dans l’intimité profonde de l’intelligence de Legowelt : on y découvre une musique lucide, extatique et inconnue jusqu’ici. On sait qu’on a découvert une forme de génie quand, lorsque celui-ci s’arrête, s’efface, se termine, on s’en va avec lui : le silence s’installe, on reste bouche bée, on continue d’admirer dans le vide, et on hésite éternellement à tenter de nouveau l’aventure, de peur que la sensation première ne revienne jamais. The Occult Orientated Crime Album est un projet génial, grotesque dans sa démesure, à l’architecture fascinante. Il s’agit de l’un des projets d’ambient les plus déroutants pour les initiés, et les plus recommandables pour les non-initiés.

rnstjmbl
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le 30 mai 2015

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