Trapèze
8.6
Trapèze

Album de Jean Guidoni (2004)

Une bonne vingtaine d’albums depuis 1977. Pour la plupart introuvables. Epuisés, on dit. Jean Guidoni, artiste à part dans un univers très particulier, qu’il faut prendre le temps d’appréhender, en lisant notamment ses deux romans autobiographiques « Quelques jours de trop » (Editions de septembre-1992) et « Chanter n’est pas jouer » (L’archipel – 2003), mais surtout en allant le rencontrer sur scène : c’est là que le déclic se fera. Ou ne se fera pas. Mais c’est là que vous comprendrez un peu qui est Jean Guidoni. J’ai dans ma mémoire un certain nombre de concerts. J’ai été guidé au premier par le formidable album « Concert 1989 », enregistré à l’Européen et qui reste pour moi la référence absolue : force, émotion, poésie, son ….Extraordinaire. C’est ce qui m’a amené à l’Olympia le 21 mai 1990 pour assister au dernier de cette mythique série de récitals « à deux pianos », où les textes de Prévert côtoyaient ceux de Pierre Philippe et de Guidoni lui-même, sur les musiques de Pascal Auriat et Michel Cywie sublimées par une formation pleine de force et de sobriété à la fois (deux pianistes japonais, en fond de scène, qui tournaient le dos au public). C’est ce qui m’a conduit ensuite à l’Auditorium du Chatelet en 91, au Théâtre de la Ville en 93, au Cabaret Sauvage en 2000 (pour la reprise du mythique spectacle « Crime Passionnel », plein du tango d’Astor Piazzola). C’est ce qui m’a poussé à aller rencontrer Guidoni un soir dans sa loge. Et là j’ai compris à quel degré cet artiste, marqué par les stigmates de l’épreuve du concert, se donne et avec quel abandon il aborde son art, comme sa vie. « Je ne rends l’âme que sous la lumière crue d’un projecteur de music-hall » écrit-t-il. Son âme est bien sur scène. « Chanter n’est pas jouer » traduiront Jean Rouaud et Marie Nimier, ses compagnons d’écriture de « Trapèze ».


Certains vous parleront d’un chanteur en bas résilles qui se maquille, aux attitudes équivoques, égérie de l’intelligentsia gay, pervers, sado-maso pourquoi pas. Approche caricaturale, ridicule et superficielle du poète sensible, de l’interprète fantastique, de la voix profonde et du personnage attachant qu’est Jean Guidoni, partie intégrante du paysage de la chanson française dans sa région la plus noble, c’est à dire la plus dépeuplée.


Perclus par le doute et regardé comme un zombie par la profession - le « milieu », comme on dit ! - Guidoni avait bien sous le coude, depuis neuf années sans disque, quelques bonnes chansons ; mais il n’avait plus envie de se battre pour trouver à les enregistrer, les sortir … Une fan est venue le prendre par la main : Edith Fambuena. Tout juste orpheline des (formidables) Valentins, cette discrète et très talentueuse compositrice-arrangeuse-productrice l’a accompagné pour un numéro de haut vol : Trapèze est un disque magnifique, d’une profondeur et d’une dimension renversants. Aux textes, en plus de Jean, Jean Rouaud, Marie Nimier, Eleonore Weber… Aux musiques, en plus d’Edith, Annika Grill, Daniel Lavoie. Et aussi une surprenante chanson du Tryo Christophe Mali. Une autre aussi d’un inconnu (Léo Arthaud – un activiste de l’association caritative Pause Café, dont Guidoni est le parrain). L’ensemble mis en ambiance de façon magistrale par Edith Fambuena, guidée par les petites nouvelles troublantes, cruelles et sordides, pleines de rats, de couteaux, de plaies, de stupre et de sang – le sang, un de ses thèmes obsessionnels - écrites pour la circonstance par l’artiste et qu’on peut lire en regard de chaque chanson dans la jaquette. Ces arrangements mystérieux, étonnants et envoûtants apportent à ce Trapèze violent un cachet, une patte, une patine qui achèvent d’en faire une œuvre unique et marquante. Et en plus, il y a un tube, La farce bleue, plein de guitares demi-caisse et d’amplis à lampes, duo Guidoni-Fambuena teinté fifties (on pense aux Valentins), suivi d’autres très beaux duos, sensibles et langoureux avec Annika Grill. Jean Guidoni chante tel qu’en lui-même. On le sent à l’aise et libre dans ce contexte inédit pour lui, qui lui permet de tourner une certaine page, celle des masques, des artifices et de la marginalisation …ce dont il s’amuse dans le dernier morceau caché en fin de disque.

Magistral !


RolandCaduf
8
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Créée

le 9 oct. 2022

Modifiée

le 9 oct. 2022

Critique lue 8 fois

RolandCaduf

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