Visitations
7.1
Visitations

Album de Clinic (2006)

Actif depuis près d'une décennie, Clinic se trouve en 2006 à la croisée des chemins : n'ayant jamais déçu ni vraiment explosé, le groupe est déjà trop vieux pour surfer sur la hype mais un rien trop jeune encore pour bénéficier de la déférence accordée aux indéboulonnables. L'ayant précédé de quelques années, le groupe ne répond même pas aux conditions pour bénéficier du retour en grâce de sa bonne ville de Liverpool, suite au débarquement, coup sur coup, des gamins de The Coral, des Zutons ou des Dead 60's. Le rapprochement serait de toute façon des plus superficiels tant Clinic se démarque de la jeune garde liverpudlienne - pas prise de sou pour un chou et plutôt décontractée du gland - par son intelligence revêche et ses atmosphères plombées. Ce quatrième album, d'accès ardu malgré de fort bonnes idées, n'a rien arrangé et a marqué pour ces Anglais mystérieux l'exil définitif sur les terres les plus sauvages et les moins fréquentées de l'indie-rock.

Plane sur Visitations comme une angoisse diffuse, un air vicié, un manque de joie acide. Le Dr. Ade Blackburn s'exprime d'un timbre pâteux, bougon, vaguement dégoûté, comme si on le forçait à mâchonner, dès qu'il tente de chanter, un truc moelleux et répugnant, entre le marshmallow avarié et la boule de ouate pêchée au fond d'une cuvette de WC. Ses trois assistants se débattent avec un son rugueux, caverneux, suffocant, saturé de disto et d'écho, une gaze sale qui étouffe les guitares, étrangle les cuivres et assourdit les percussions. Clinic semble déterminé à tourner le dos aux séductions faciles : en ces temps clinquants, ce refus obstiné du glamour et du tape-à-l'œil est louable... n'empêche, on n'échappe pas à l'idée que les douze compos que voici, pierres semi-précieuses taillées avec art, auraient mérité meilleur écrin.

L'album s'ouvre pourtant sur Family, un rock excellent, un peu brumeux mais très remuant, comme une répète de McLusky filtrant d'un soupirail. Nerveux, le bolide mord toutefois le bas côté au bout de trois minutes, part droit dans le mur puis en fumée, cela s'achève sur une déflagration - littéralement : BOUM ! Bref silence. Groggy, le passager que nous étions s'extirpe péniblement de la carcasse fumante ; tourmenté par la répétition d'une note lancinante - comme une roue voilée, qui tourne folle sur son essieu -, désorienté par des voix impossibles à localiser, il tâtonne au milieu de la tôle froissée et d'un amas épars d'instruments concassés, progressant à quatre pattes parmi des débris de batterie, s'écorchant paumes et genoux sur des bouts de wah-wah déchiquetée : tel est le paysage dévasté d'Animal/Human, le second titre.

On croit recouvrer ses esprits sur l'héroïque Gideon, guitares crachotantes et chœurs morriconiens, cavalcade électrique genre « Il était une fois dans le Nord de l'Angleterre » et écho onirique au crash initial. Si l'on rechute très vite dans un état comateux, il y aura, ça et là, d'autres réminiscences de ce démarrage sur les chapeaux de roue - les meilleurs morceaux, ceux où quelques notes aiguës et répétitives, de guitare le plus souvent, parviennent à déchirer le smog ambiant pour esquisser une mélodie accrocheuse sur fond de martelage binaire. Dans le genre, If You Could Read Your Mind constitue un bref sommet, fantasme d'un groupe convié à initier au twist héros et vilains de Gotham City - ah ! la batcave, une putain d'acoustique ! Album délirant (au sens médical), Visitations trouve ainsi son faux rythme de croisière, clopin-clopant entre accès de rage rentrée, convulsions soudaines, fausses accalmies - ce Paradise où un mélodica vicelard serpente parmi les plants de marijuana - et hallucinations sonores - on entend des ressorts rouillés puis un bûcheron au travail, des murmures malades et de l'orgue spectral un peu partout...

Dès leurs débuts, les mecs de Clinic avaient imaginé un chouette gimmick vestimentaire, un petit truc qui les distinguerait des autres : ils se déguiseraient en chirurgiens. Le moins que l'on puisse dire c'est que cette imagerie médicale, clinique, javellisée jure étrangement avec l'esthétique septique et corrosive qui est aujourd'hui la leur : Visitations évoque moins l'incision nette et le carrelage luisant que la blouse tachée, le masque mité et la seringue usagée. Les doigts sont sales, les mains tremblantes, les regards fous, les règles d'hygiène méthodiquement bafouées, les murs suintent et les scialytiques clignotent en grésillant : on se rend compte, mais un peu tard, qu'on est tombé entre les mains de praticiens déments et que l'on flotte dans des limbes narcotiques pendant qu'ils nous charcutent avec des bistouris rouillés et des rictus sadiques... On déguste un peu au début mais, la fièvre aidant, ces horreurs finissent par passer comme une lame de 15 dans une chair gangrenée. Infectieux, qu'on vous dit.

(posté précédemment sur kweb.be)
Kaboom
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le 7 nov. 2012

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