J'ai rêvé que j'étais un insecte piégé dans une chrysalide de papier, une nymphe mortuaire, qui n'attendait qu'à brûler, et, dans l'horreur de la chose, dresser sur le monde un dernier château de cendres...
Voici, comment, en vain, et de manière profondément maladroite, je tente de définir l'approche sensorielle et le sentiment de pleine solitude qui me rongent à l'écoute de l'album, le sentiment d'un vide envahissant l'espace, transformant l'horizon morbide en thébaïde.
Bien que je considère 'Acid Mist Tomorrow' comme le plus bel objet du groupe, et bien au-delà de ça, comme l'une des plus belles pièces musicales jamais créées, je voulais, à la manière dont j'avais tenté une critique de 'Stare into Death and Be Still' d'Ulcerate, me ramener à un hommage de la pleine discographie du groupe; rendre hommage, à ma façon, à l'évolution constante et cohérente d'un projet musical unique et qui ne saura être égalé d'une quelconque manière, en choisissant 'A Distant (Dark) Source' comme approche définitive de cette dite progression, chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre et monstre d'ingéniosité et d'intelligence artistique proprement inqualifiable.


Formation française datant de 2003, Hypno5e se démarque de l'ensemble de la production Metal actuelle avec la sortie de leur premier EP en 2006 : 'Manuscrit côté ms408'. Autoproduit, et encore légèrement inachevé sur la forme, le groupe proposait déjà une approche nouvelle du Progressive Metal, noyant dans leurs compositions des extraits d’œuvres littéraires et cinématographiques, et jouant sur les alternances de séquences violentes typées Djent avec des séquences beaucoup plus légères et atmosphériques, rendant l'ensemble de l'objet profondément unique, immersif et intrigant, et définissant déjà cette sensation d'isolement dans l'espace environnant que l'on retrouvera d'une manière bien plus puissante et transcendante dans les albums qui suivront.
'Des deux l'une est l'autre' sort en 2007. Premier album du groupe, il continue ce qu'avait initié le premier EP, proposant certes des morceaux déjà présents sur ce dernier, mais en travaillant globalement mieux l'ensemble des compositions, rendant le tout plus cohérent et intéressant que sur 'Manuscrit côté ms408'.

"Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine." [A. Camus, 'L'Etranger]

Et ainsi, sort en 2012, soit cinq ans après 'Des deux l'une est l'autre', 'Acid Mist Tomorrow', probablement l'un des meilleurs albums de la décennie (et me concernant, le meilleur), qui propulsera le groupe au devant de la scène Metal française, puis internationale (des suites d'une première partie de concert de Gojira en 2013), qui mettra en valeur le génie du groupe, sa dimension artistique purement exceptionnelle, et l'ineffable sentiment de plénitude fragmenté par un vide ambiant lors de l'écoute...l'écoute transcendante d'un album qui esquive le temps, dilate l'espace, et nous mord au plus profond de nous-même, mangeant avec une tranquillité titanesque notre fragilité, notre peine, notre solitude. Bref...que de mots vagues et de phrases niaises, pour tenter avec une crédulité terriblement enfantine, de décrire l'indescriptible. 'Acid Mist Tomorrow', et comme les albums qui suivront, est bien plus à considérer comme une expérience sensorielle, la déformation géométrique de notre âme, qu'un simple album.
Aussi, entre 2007 et 2012, le groupe ne change pas trop de sa ligne artistique, on reste dans ce registre de Progressive Metal / Cinematic Metal, ce Djent typé atmosphérique et léger, ce genre d'œuvre musicale qui se contemple plus qu'elle n'est à comprendre. Néanmoins, le groupe évolue en qualité d'une manière totalement irréprochable : l'ensemble de l’œuvre est bien plus cohérent, bien mieux construit, plus immersif, les oscillations entre séquences brutales et légères sont bien mieux réfléchies et justifiées, la production est d'une qualité tout autre et le chant d'Emmanuel Jessua bien mieux accordé avec le reste de l'instrumentation. On en vient à ce ressenti global : 'Acid Mist Tomorrow' redéfinit une direction bien plus travaillée et intéressante du groupe, traduisant toute cette dimension indéchiffrable, magique, à la limite du céleste, que 'Des deux l'une est l'autre' et 'Manuscrit côté ms408' n'abordaient pas, ou alors de très loin. Si le premier album et l'EP se laissaient écouter comme de très bons albums, 'Acist Mist Tomorrow' se laisse dévorer comme une expérience musicale, plus qu'un album en tant que tel.
2016 : 'Shores of the Abstract Line' , suite logique de l'album précédent, que j'estime un ton en-dessous en terme de qualité, certainement pour sa forme plus agressive sur les séquences brutales, partitionnant plus l'album entre violence et légèreté, là où 'Acid Mist Tomorrow' proposait une continuité linéaire entre les deux. Cependant, on retrouve une production d'une meilleure qualité, plus épaisse et organique que sur 'Acid Mist Tomorrow', et le chant encore mieux adapté et travaillé, et, malgré les quelques reproches que je peux faire sur l'album, 'Shores of the Abstract Line' demeure un chef-d’œuvre, un bijou de magnificence mélodique et rythmique, nous renfermant, d'une manière totalement différente d' 'Acid Mist Tomorrow' et pourtant si proche, dans un cocon de solitude, si éphémère et si distant de la notion du temps.
En 2018, Hypno5e rompt avec la continuité qu'avaient engendré les deux albums précédents, en sortant pour le projet cinématographique d'Emmanuel Jessua, 'Alba – Les Ombres errantes', l'OST de ce même film en collaboration avec A Backward Glance On A Travel Road. Si l'on retrouve l'approche caractéristique du groupe pour créer des ambiances immersives et énigmatiques, l'album est purement acoustique, tout le côté Djent et la brutalité ambiante du groupe s'effacent sur cet album pour laisser place à la tranquillité générale qui était proposée sur certaines séquences d' 'Acid Mist Tomorrow' ou de 'Shores of the Abstract Line'.

"Le mystère a ses Mystères. Les dieux possèdent leurs dieux. Nous avons les nôtres. Ils ont les leurs. C'est ce qui s'appelle l'infini..." [J. Cocteau, 'La Machine infernale']

Puis 2019...sortie de 'A Distant (Dark) Source', dernier album en date du groupe, et d'un point de vue strictement objectif, le point culminant de leur carrière artistique, celui qui pose le meilleur alliage entre la violence des compositions et la légèreté ambiante de l'ensemble, le plongement le plus fou et le plus solitaire dans l'inconnu musical. Si j'avais déjà exprimé ma préférence pour 'Acid Mist Tomorrow' en introduction, ce n'est que par rapport au vécu que j'ai eu avec ce dernier, 'A Distant (Dark) Source' est sur tous les plans bien mieux abouti, bien mieux construit. L'approche mélodique et rythmique qui définissait la jonction entre brutalité et légèreté sur 'Acid Mist Tomorrow' et 'Shores of the Abstract Line', caractérisée par des alternances de séquences millimétrées dans la progression de l'album, ne devient plus ici qu'une continuité purement linéaire, un ensemble englobant ces deux dimensions; et si les compositions restent quelque peu fragmentées par ces séquences, celles caractérisées par la violence instrumentale n'en demeurent pas moins légères et presque aussi aériennes, d'une certaine façon, que celles qui définissent les parties calmes : l'album en devient beaucoup moins dense, et plus facilement abordable et déchiffrable à l'écoute. D'une manière générale, les enregistrements sonores de lecture, de théâtre et d’œuvres cinématographique sont bien mieux répartis dans l'ensemble de l'album, mieux dosés, et l'ouverture de 'On the Dry Lake' sur la pièce de Jean Cocteau en témoignera (elle est juste et nécessaire), le chant est encore plus cohérent avec le reste de l'instrumentation que sur 'Acid Mist Tomorrow' et 'Shores of the Abstract Line' et la production du même niveau que celle des deux derniers albums en date.
Toutes ces améliorations réunies, 'A Distant (Dark) Source' est l'album du groupe qui, bien plus que les autres, nous renferme dans un abîme froid et vide, une chrysalide fragile, tangente à notre espace sensoriel, nous coupant du monde pour soixante-dix minutes, nous isolant de l'extérieur, et partitionnant notre être dans la dualité de l'agressivité et de la poésie atmosphérique que chérie le groupe. On est confiné dans un infini que l'on se fait propre, indifféremment de la notion du temps et de l'espace : on est libre du monde, et dépendant d'une musicalité d'une beauté tout simplement ineffable.

Février 2023...'Sheol', cinquième album studio du groupe qui se pose comme un préquel au chef-d’œuvre que nous ont sorti en 2019 les français, entité musicale parallèle et frontalière à 'A Distant (Dark) Source', se dresse dans la continuité artistique qu'Hypno5e nous a offerte depuis 'Acid Mist Tomorrow' : une œuvre puissante, mystique et transcendante. Bien moins violent et agressif que son confrère, moins sombre dans sa globalité, l'album offre une nouvelle perspective plus optimiste dans sa construction artistique, une virtuosité ambiante plus calme qui se décomposera progressivement tout au long du voyage vers l'angoisse sensorielle propre à 'A Distant (Dark) Source', s'accentuant fatalement sur 'Slow Steams of Darkness - Part I & Part II'...la chute, ou le calme avant la tempête, redéfinissant à son terme l'infini musical crachant la beauté sur les horizons chaotiques de la poésie musicale du groupe. Au séjour des morts, la formation française a créé une fable musicale, le sentiment d'un vide envahissant l'espace, transformant l'horizon morbide en thébaïde, la prison sensorielle, l'isolement...mort dans l'âme, destruction physique du monde et immersion musicale. 'Sheol' s'impose comme un n-ième chef-d’œuvre, prouvant une n-ième fois l'intelligence artistique d'Hypno5e.


Hypno5e, c'est ce qui s'appelle l'infini...

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le 23 févr. 2023

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