Ce bootleg est une surprise pour tous. Réussir à réhabiliter une période aussi décriée 40 ans plus tard c’est juste super cool, et ça montre surtout que Dylan n’a jamais cessé d’être un génie. Car oui, Another Self-Portrait (ASP) est une refonte de l’album tant critiqué, une façon de montrer comment aurait-il pu être si tel morceau avait été gardé. Bien entendu il ne s’agit pas non plus de refaire tout Self-Portrait car ASP est avant tout un bootleg, une sorte de fourre-tout un peu désordonné, rien que sur la durée (il dure 1H50 soit 40min de plus que Self-Portrait). Mais néanmoins il contribue tout de même à redorer le blason de cette époque, et la théorie défendue par Dylan que j’avais placé sur ma critique de Self-Portrait, que l’album était en fait volontairement mauvais pour ruiner sa réputation de star des années 60, elle semble se vérifier ici.

Mais allons-y, rentrons dans le vif du sujet. Qu’est-ce qui rend ce bootleg si bon ? : Outre le fait que Dylan ait appris à dessiner, il y a là des reprises bien plus intéressantes et de nouvelles versions des morceaux qui sont (pour la majorité) largement meilleures que les versions originales. Sans déconner. Et je dois vous dire que pour avoir passé les dernières vacances à m’écouter d’une oreille semi-convaincue Self-Portrait et New Morning, la surprise fut de taille.
Alors décortiquons ce bootleg -> 35 morceaux :
- 2 de Nashville Skyline
- 8 de Self-Portrait
- 8 de New Morning
- 2 du concert sur l’île de Wight avec The Band
- 2 sorties à la même époque mais pas sur album (Wallflower, When I Paint My Masterpiece)
- Et 13 inédits !

SELF-PORTRAIT
Ce sont pour la plupart des versions alternées, mais pour les morceaux de Self-Portrait on a simplement retiré les overdubs : Plus de percussions sur les Sadie et autres, de violons sur Belle Isle, Copper Kettle et All The Tired Horse, de ce cor infâme sur Wigwam et de saxo sur Days of ’49, juste de la bonne guitare sèche et c’est généralement tout. C’est très bien, mais ce n’est pas encore suffisant pour rendre ces reprises vraiment intéressantes : La voix de Dylan reste agaçante sur In Search of Little Sadie et Copper Kettle, Days of ’49 est toujours aussi ennuyante, et je n’étais pas contre les violons sur Belle Isle qui rendait la reprise superbe sur Self-Portrait. Encore moins pour la splendide All The Tired Horse qui est réduite ici à une version minable d’à peine une minute.
Par contre on a tout de suite autre chose avec Alberta #3 (jamais deux sans trois), une perle du bootleg qui surpasse de loin les deux versions précédentes. Avec cette basse et ces magnifiques chœurs féminins, Dylan nous sort de biens jolis couplets. Un bel arrangement de traditionnel (même si un peu court). Quant à Wigwam, la chanson n’est plus inaudible c’est déjà ça. Les « La la la » sont même assez jolis même si vite redondants, enfin bon ça reste une chanson plutôt idiote dans tous les cas. Et puis n’oublions pas Minstrel Boy qui sort ici tout droit des Basement Tapes, une version inédite obscure de 1967… Je ne sais pas comment ils ont enregistré ça mais c’est raté, cette version me fait presque peur et me donne envie de réécouter la version de Self-Portait (qui me semble d’un seul coup beaucoup mieux). Brrr.

NASHVILLE SKYLINE
Heureusement, le morceau qui suit cette terrible version de Minstrel Boy n’est autre que I Threw It All Away, version alternée du morceau de Nashville Skyline. Le choc que ça m’a fait à la première écoute, car j’adore I Threw It All Away… et je n’aurais jamais pensé entendre un jour une version encore meilleure que l’original ! Quelle beauté, même si cette version n’apporte qu’un petit plus. Comme pour la version de Country Pie d’ailleurs qui ne risque pas de faire mieux que l’original (elle est même coupée en plein élan).

NEW MORNING
Finalement, c’est dans les versions alternés des morceaux de New Morning que le bootleg surprend le plus. Petit rappel, cet album qui était perçu comme l’album du retour après Self-Portrait (car il n y avait que des compos originales) était au fond assez médiocre. Vous souvenez-vous de Went to See the Gipsy ? Non ? Moi non plus et bien ça tombe bien car ASP nous offre deux versions de cette chanson.
La première est une démo qui ouvre le premier disque, purement acoustique (et ça tombe bien car la version originale était remplie d’instruments inutiles), une jolie chanson sur sa rencontre avec Elvis qu’il avait traité de façon amusante sur l’album mais qu’il traite ici de façon plus personnelle (chant excellent). L’instrumental évolue de façon intelligente avec la narration, j’aime beaucoup la transition qu’il fait sur « I went back to see the gipsy », c’est très réussie. La fin instrumentale est fascinante, laissant questionner si toute cette rencontre est un rêve ou non.
La seconde est un autre tour de force avec comme seuls instruments un piano électrique et une basse, rendant la version encore plus intime. Tempo complétement différent, chant puissant, musicalement rêveur (ce passage après « With music in my ears »). Incroyable que Dylan n’ai jamais sorti cette version avant maintenant. Deux belles perles.
If Not For You est complétement différente de l’original, mais pas forcément en mieux. Je préférais le côté vif et heureux de l’original (que je considère comme la seule compo véritablement intéressante de New Morning), ici elle est beaucoup plus lente, marquée notamment par un violon et un piano, pour donner un côté émouvant qui ne marche pas tellement. Et puis Dylan n’est pas au top non plus je trouve.
If Dogs Run Free échappe ici heureusement aux horribles chœurs féminins de la version originale qui n’interviennent maintenant que sur un refrain qui n’est d’ailleurs pas terrible. Ce n’est pas une version très intéressante je dois dire. Elle précède la nouvelle version de la chanson New Morning à qui on a ajouté des sections de cors (à d’autres). Y a pas à dire, cette version toute fraiche a vraiment la classe ! Bien animée cette fois même si je ne peux pas m’empêcher de la trouver un peu ridicule. Sign on the Window se voit quant à elle ponctuée de sections orchestrales, rien que ça ! Tout simplement royal, à des kilomètres de l’originale. Dylan aurait-il voulu saboter New Morning aussi ?
Et, at last but not least… Time Passes Slowly. De cette chanson que tout le monde avait oublié Dylan nous avait pourtant concocté deux versions spectaculaires. La première, superbe guitare électrique, superbes « La la la », et les « Ain’t no reason to go » insipides sur la version originale qui marchent parfaitement ici. Une très belle version, normal me direz-vous car ce n’est autre que George Harrison qui accompagne Dylan ! Et la deuxième… « One, two, three, four… » *Orgue ; Grosse Caisse* Oh. Bon. Sang. « Time passes slowly and you’re SEAAARCHING FOR LOVE ! », cet orgue (Al Kooper !), cette montée dans les couplets, ce refrain, cette batterie, mon dieu !! Sur le cul la première fois que je l’ai entendu, je le suis toujours. Et c’est là toute la force de ce bootleg, qui aurait pu croire que de telles versions existaient ? Time Passes Slowly, sérieux ? Tout simplement éblouissant d’arriver à transformer autant des morceaux pareils.

CONCERT SUR L’ÎLE DE WIGHT
Il est amusant de retrouver deux pistes du concert sur l’île de Wight avec The Band, d’autant plus qu’on peut retrouver le concert entier dans le troisième disque de la version Deluxe. Comme si Dylan avait voulu refaire Self-Portrait car ce qui est certain, c’est que I Be Your Baby Tonight et Highway 61 Revisited sont de bien meilleurs choix que Like a Rolling Stone et She Belongs To Me ! En démolissant autant sa chanson fétiche dans Self-Portrait, il était sur de s’attirer les foudres de tous. Sérieux, au fil de cette critique je me fis de plus en plus à la théorie de l’album volontairement mauvais.
Mais bref, de bien meilleurs choix oui. Est-ce que c’est bien pour autant ? Pas vraiment, la voix de Dylan est toujours aussi ronflante et ne marche pas très bien sur ses vieux titres, les chœurs m’agace encore. L’intro d’Highway est ratée et son refrain vite redondant, le solo à l’orgue reste sympatoche par contre. Je n’ai jamais trop aimé la version originale après. Mais dans l’ensemble ces versions lives ne sont guère plus intéressantes que les précédentes.

INÉDITS
Il est maintenant tant de parler du cœur de l’album, les 13 inédits ! Mais inutile de vous échauffer car ce sont avant tout des reprises et arrangement de traditionnels qui aurait dû se retrouver sur Self-Portrait. En fait je ne compte que deux compos originales : Only a Hobo, vieille compo de 1962 (déjà sortie dans les premiers Bootleg), se retrouvant maintenant dans une version country, animée par un banjo plus que charmant. Working on a Guru est de nouveau un fruit de la collaboration Dylan/Harrison assez intéressant, plutôt rockabilly. Bref, deux nouvelles perles !
Bring me a Little Water ressemble bien aux autres morceaux de New Morning avec cette voix assez ridicule de Dylan et ces chœurs féminins à l’excès. Du reste et si on enlève Minstrel Boy, ce sont 9 inédits qui aurait pu se retrouver sur Self-Portrait :
De petites beautés comme Annie’s Going To Sing Her Song, Thirsty Boots ou Pretty Saro (un arrangement d’un traditionnel du XVIIIe siècle, il y a carrément eu un clip : https://www.youtube.com/watch?v=uSdVOEKW5YA). D’autres entrainantes comme Taddle O’Day (bel accompagnement) et Railroad Bill. Bon sang, ces compos ont tellement plus leur place qu’un Blue Moon ou Copper Kettle. Evidemment, tout n’est pas bien non plus. Spanish Is The Loving Tongue et son joli piano finit par lasser, These Hands et son chant, House Carpenter est encore plus ennuyante que Days of ‘49.
Du coup des inédits plus ou moins bon mais sans plus au final ? C’est ce que j’aurais dit s’il n’y avait pas cette merveille qu’est This Evening So Soon. C’est simple : Un riff très entrainant, une évolution, un chant pas parfait mais touchant, un refrain génial = Une belle reprise. J’ai reçu une belle baffe la première fois, sans problème l’un des meilleurs morceaux du bootleg. Pas un chef-d’œuvre, mais une chanson qui fait beaucoup de bien !

CONCLUSION
Ne nous reste alors plus qu’une paisible version de Wallflower dont je retiendrais surtout l’harmonica, et une démo du fameux When I Paint My Masterpiece que je préfère à la version électrique qui sortira sur le best-of de 71. Il est triste de penser que ce morceau aurait pu dans certaines circonstances conclure Self-Portrait, album qui comme vous l’avez compris aurait pu être bien meilleur… Mais bon, Dylan en a voulu autrement.
Quoiqu’il en soit, quel bootleg bon sang ! Tout n’est pas parfait non, loin de là même, mais cet assemblage de morceaux plus ou moins réussi, avec ces quelques perles insoupçonnées autant dans les reprises que dans les nouvelles versions font de ASP un beau cadeau indispensable pour tous les fans du chanteur-compositeur !
Que va nous sortir Dylan prochainement ? Un Shot of Beautiful Love ? Un Knocked Out Reloaded ? Un Under the Red Sky Again ? Ce serait bien. 8-)))

Personal Favorites : I Threw It All Away – The Evening So Soon – Time Passes Slowly #2

7.5/10
stevenn33
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le 26 oct. 2014

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