Un Hobo, toujours, mais sublime.

Benjamin Clementine, ce pianiste ancien Hobo-parisien, a sublimé la critique en mars 2015 avec son album At Least For Now, véritable bombe orchestrale. L'album, nominé au Mercury Prize, est en passe de devenir culte. Et c'est avec dévotion que je me jette à corps perdu dans l’abîme sonorisée du Britannique : car oui, vous lisez la critique d'un adorateur !

L'album est un cri venant du cœur, une interpellation significative de nos oreilles, et une mise en demeure certaine de l'industrie mainstream pathétique que l'on nommerait encore "musicale". At Least For Now prononce les mots justes, et intervient dans un climat musical en pleine accalmie. Alors que nous ne faisons qu'entendre beugler des artistes déjà vues, des productions sans âmes et éternellement sourdes à toute innovation, Benjamin Clementine foudroie notre désespérance.

Lui, le jeune homme repéré dans le métro parisien, a fait ses armes dans la vraie vie. Traversant des périodes compliquées, choisissant la vie solitaire du hobo et privatisant son âme pour la musique, Clementine exerce nos humeurs derrière son piano, muni d'une voix profonde, forte, pleine de rancœur et de puissance. Sa poésie, soudaine et saisissable, nous expose à son charisme vocal dès les premiers airs de Winston Churchills'Boys, dont les arrangements feront frissonner les plus empathiques. London, vrai hit de cet album, nous transcende par sa fraîcheur, sa puissance émotionnelle, son beat accusateur et son verbe amer. Clementine, sans pudeur, y évoque sa misère passée, et son récent succès. Dans les autres frasques de cet LP, le chanteur-pianiste parle d'amour : celui qui finit mal. Il condamne un entourage sans foi, et dresse sa victoire face aux difficultés rencontrées. Cornerstone, le single tant entendu, raconte le renfermement sur soi, la déception et la perte de confiance. L'abandon y est ferme, brutal ; les thèmes, dans leur ensemble, ont une accroche dans l'existence du musicien. Benjamin Clementine se rappelle aussi de son rapport à l'amour, dans Nemesis, où la déesse de la vengeance devient pendant quelques minutes l'allégorie des êtres chers. La chanson est d'une beauté majestueuse, et résume à elle seule la qualité de l'œuvre, sa force et sa composition gargantuesque, géniale.

Aucun morceau n'est à jeter. Benjamin Clementine, sa voix, sa production, sa poésie sont un ensemble humain, clair, limpide et sincère. Le musicien est l'aigle béni par Dieu, sa vie est un conte sur une lutte de foi. Les chansons sont des fight-musicaux humble, beau.

L'humilité, voilà bien la principale qualité de cet album. Car même dans la grandeur de ses paroles, dans la suprématie de son lyrisme, Benjamin Clementine reste l'homme qu'il est. Au Festival de Cannes 2015, il chantera pour les frères Coen. Dans les backstage ou sur scène, on s'offusque presque : le jeune homme timide, sympathique, glorieux sans grosse fierté, s'élance contre les protocoles et se présente en tongue. Un Hobo, toujours et encore.