B'Day
6.3
B'Day

Album de Beyoncé (2006)

Festival de Dour, édition 2000. Il plut tant et si bien, cette année-là, sur la plaine de la Machine à Feu que l'on crut apercevoir au sommet d'un terril voisin un vieil homme s'atteler à la construction d'une arche - on le voyait même, sous le déluge, embarquer deux par deux toutes les créatures qu'hébergent la planète rock et sa périphérie : les corbeaux goth et les cacatoès punk, les pitbulls hip-hop et les chouettes sous ecstasy. La frontière entre réalité et hallucination se brouilla définitivement avec l'irruption, en milieu d'après-midi, d'une petite meute de panthères soul, animaux rarissimes en terres festivalières. Au lieu de susciter l'ébahissement attendu, les Destiny's Child - c'est d'elles qu'il s'agit - en furent toutefois réduites à s'agiter le pelage devant un public éreinté, embourbé jusqu'aux genoux et à peu près aussi fervent que s'il visitait le zoo d'Anvers sous les grêlons.

A l'époque, clamer son amour pour des classiques en devenir tels Say My Name ou Bills, Bills, Bills avait, il est vrai, des allures d'insurmontable coming-out. Ce climat hostile ne nous empêchait pas, admirateurs de l'ombre, de miser gros sur Beyoncé. Elle était charismatique, sûre d'elle, indépendante. Elle emmenait le meilleur girlz' band des 90s. Elle avait tout pour devenir la lionne indomptable du RNB contemporain, une sorte de Tina Turner jeune, pop, crédible et bien coiffée. Ça allait saigner ! Sauf que... La belle, en solo, ne parviendra jamais à imposer son coup de griffe. Ailleurs que dans les charts, s'entend. La faute, d'abord, à un chant maniéré, limite incontinent. Quand Kelis ou Missy Elliott affinaient leur art en potassant les meilleures méthodes hip-hop, Miss Knowles apprenait trucs et astuces à l'école des divas. Avec mention très bien pour la léchouille de tympans, entre autres pratiques sans doute très érotiques sur le papier et cependant vouées à écœurer lors du passage à l'acte. Sale fille.

Si le rocker de base s'aventure ici en eaux dangereuses, il ne nage pas encore tout à fait dans l'océan méphitique de la variété pure : on sent même un peu partout, un peu tout le temps, une volonté, plutôt louable, de sonner éclaté, donc moderne. Cette saine énergie, hélas, est dilapidée au fil de grooves hystériques et syncopés, crispants comme un hoquet (Get Me Bodied) ou samplés à la tronçonneuse (Upgrade U). Alors qu'il suffirait d'un rien pour envoyer ces morceaux en orbite, c'est tête baissée que la plupart foncent dans l'ornière. Les rares éclaircies n'excèdent guère quelques mesures à l'orchestration plus organique (Suga Mama). Le pire, d'ailleurs, est à venir : Kitty Kat s'avère aussi appétissant qu'une louchée de Whiskas Tripes & Abats ; une ballade comme Resentment finit de nous plonger dans un état d'asthénie nauséeuse.

S'ils donnèrent lieu par le passé à quelques sprints racés (Crazy In Love, Work It Out), les singles eux-mêmes perpétuent cette fois l'impression de bâclage généralisé. On tolère en bâillant Déjà Vu, duo convenu avec un Jay-Z omniprésent depuis ses soi-disant adieux au hip-hop (c'était pour rire). L'indulgence n'est plus de mise pour Ring The Alarm, devoir cochonné et paresseux qui nous ressert le coup de la sirène une décennie et demie après Cypress Hill. Mixé par un sourd, cet empilement aléatoire de loops bègues, de riffs bredouillants et de boucles obsessionnelles compulsives est un parfait résumé de l'album. Si vous projetez de vous droguer tout en vous exposant à ce tintamarre strident, vérifiez bien la date de péremption de vos plaquettes de LSD car le risque est grand que vous vous preniez dans la seconde pour une bille de flipper renvoyée ad aeternam contre les deux mêmes bumpers. Tu parles d'un mauvais trip...

On a en fait la curieuse impression, en écoutant B'Day, de se farcir le caprice d'une parvenue, comme si Jay-Z - autoproclamé « CEO of Hip-Hop » à l'occasion d'une campagne de pub pour Hewlett-Packard - avait décidé, derrière son gros bureau en acajou, de bombarder sa régulière à la tête d'une branche un peu bidon d'un empire commercial en pleine expansion. Bien que Beyoncé ne doive rien à personne (fait plutôt rare pour une chanteuse RNB, elle compose, elle arrange, elle coproduit...), elle a eu le tort de se laisser apprivoiser par le système. Dents limées, regard éteint, le fauve ronronne désormais plus qu'il ne rugit, ou alors sur commande, ses hanches félines condamnées à onduler mécaniquement derrière les barreaux d'une cage dorée certes, mais solidement verrouillée. Elle est où, la clé ?

(posté précédemment sur kweb.be)
Kaboom
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le 7 nov. 2012

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