Bleu noir
5.1
Bleu noir

Album de Mylène Farmer (2010)

Je m'imagine écrivant à Mylène Farmer, là, tout de suite. « Ma chère Mylène... Ah, le clip de « Libertine », c'était quelque chose quand même. D'ailleurs, pourrais-tu dire à Sophie Tellier que... ». Hmmm. Je m'égare là. Mais vous allez voir que cette référence au passé n'était pas si inutile que ça. Non, si je devais lui rédiger une lettre à l'heure actuelle, elle commencerait plutôt comme ça : « Mylène... Je ne voudrais pas paraître malpoli, mais qu'est-ce que tu fous ? ».
Oui, j'ai en effet une mauvaise nouvelle à annoncer aux admirateurs de Mylène Farmer (dont je faisais partie... Vous remarquerez que maintenant je parle au passé) : cette fois la belle rousse s'est tiré une balle dans le pied. On pensait tous, depuis le temps, que ce serait dans la tête : on se trompait ! Sans même entrer directement dans la critique de « Bleu noir », il y a déjà quelque chose qui me fait doucement rire (non, ce n'est pas la laideur de la pochette, cela aurait plutôt tendance à me faire pleurer ou à me donner des nausées) : figurez-vous qu'au début de l'année 2010, Alizée sortait « Une enfant du siècle », son premier opus sans le duo Farmer / Boutonnat. La plupart des fans de Mylène n'ont eu de cesse, dès lors, de conspuer la jeune chanteuse pour sa haute trahison, flinguant un disque pourtant bon, qui ne méritait pas un tel traitement. Alors en cette fin 2010, maintenant que le pygmalion s'est mise à l'electro elle aussi, laquelle remporte finalement la bataille ? En ce qui me concerne, je maintiendrai donc, et ce sans hésitation, que le disque d'Alizée est d'un goût beaucoup moins douteux. Mais qui les fans encensent-ils déjà aveuglément ? Mylène, bien sûr.
Cette mise au point étant faite (et croyez bien que je n'étais aucunement porté sur la musique d'Alizée jusque-là), il est temps de s'intéresser de plus près, donc, à ce fameux « Bleu noir », disponible dans les bacs à peine deux ans après la parution de « Point de suture » (qui amorçait déjà le début de la fin). Notre vétérante, à la plastique toujours aussi parfaite, ne se serait-elle pas un peu précipitée ? Question pertinente, dont la réponse serait sans nul doute affirmative. Mais cela n'explique pas tout.
Le premier signe de contrariété envers cet album n'a pas été très long à se manifester en ce qui me concerne, puisqu'il s'agissait de la toute première chanson, « Oui... Mais non », qui fut également le single testé en radio. En un mot, une véritable horreur technoïde qui nous ramène quinze ans en arrière : de la vraie musique de fête foraine qui n'aurait pas fait tâche dans ces compils « dance » qui faisaient un tabac durant la décennie 90, mais sonnent aujourd'hui de manière extrêmement ringardes. O infâme Red One, produire Lady Gaga ne te suffisait donc pas ? Avais-tu réellement besoin d'une nouvelle victime pour tes expérimentations sonores ? Crash-test foireux pour moi donc, qui ai sérieusement commencé à prendre peur après avoir entendu cette calamité ; et puis franchement, comme morceau d'introduction, c'est tout simplement un très mauvais choix. Alors oui, mais non... Sans blague.
Le titre suivant, « Moi je veux », semblait avoir été posé là pour confirmer que j'avais raison de douter. La voix est en forme, comme d'habitude ; mais tout le reste (texte, musique, arrangements...) est une honte : Lorie n'aurait pas fait mieux. Sans rire, je la vois très bien chanter ça. De la variétoche fade à en mourir.
Bref, en moins de dix minutes, le désespoir commençait sérieusement à s'emparer de ma pauvre carcasse, quand subitement, « Bleu noir » apparut, comme pour me faire mentir. Je dois avouer que le début du disque m'avait tout de même largement refroidi, mais celle-là ressemblait enfin à quelque chose, à du Mylène Farmer finalement. Je pense qu'en réalité ce morceau n'a rien de très exceptionnel (il n'arrive pas à la cheville de ceux de « Avant que l'ombre » par exemple, pour rester dans des travaux récents), mais vu les précédents, il ne pouvait que relever le niveau. Il fut d'ailleurs suivi par un autre encore meilleur ! Avec « N'aie plus d'amertume », simple, élégante, entêtante et émouvante, je tenais enfin une très bonne raison de me réjouir : « l'Ange roux » était encore capable, apparemment, de me faire pousser des ailes. Sauf que je fus fauché en plein vol.
Il n'y a de toute façon plus de suspense : si vous pensiez que cet album allait être de haute voltige, détrompez-vous. Il faut croire que l'artiste a définitivement brûlé ses cartouches, et tous les Moby, Red One et Archive du monde (les principaux intervenants extérieurs, ayant remplacé Boutonnat pour notre plus grand malheur) n'y changeront rien. Tout le reste n'est que lenteur somnolente (Moby plus Archive... Imaginez le mélange « détonnant »...), comme sur « Toi l'amour », « Leila » ou « Inséparables », parfois entrecoupée de rythmes techno - je me refuse à parler d'electro dans ce cas – totalement caricaturaux (je citerai évidemment l'autre méfait de Red One, « Lonely Lisa », où Mylène Farmer recycle, à peu de choses près, les paroles de « Réveiller le monde » sur « Point de suture »... Pour l'inspiration, on repassera). Restent alors trois titres réservant de rares bons moments, que l'on pourra donc qualifier de « passables », en étant pas trop regardants : « Light me up », « M'effondre » et « Diabolique mon ange ». Enfin, pas de quoi casser des briques non plus, ni effacer l'énorme déception globale.
Les fans, dans leur cécité, et les enthousiastes, dans leur ignorance, tenteront toujours un ultime coup de poker pour vous convaincre : sur Youtube ou Deezer, leurs commentaires pointent un renouveau dans le style musical sorti de je ne sais où. Je crois être bien placé, cependant, pour savoir que les ballades sombres, la pop sensuelle, ça a toujours été la marque de fabrique de Mylène. Pire, certains d'entre eux, peut-être frappés d'amnésie, s'étonnent de l'entendre chanter en anglais... Pourtant, rien de neuf là-dedans non plus : « We'll never die », « La ronde triste », « Psychiatric »... C'est du poulet ? Quand on veut se persuader de quelque chose, on pourrait inventer n'importe quoi ! Alors que la seule attitude à adopter ici, la plus sensée en tout cas, est d'arrêter de se voiler la face en trouvant des excuses qui tombent à plat. Le sort que mériterait notre icône rousse nationale, suite à ce « Bleu noir » raté, serait de prendre un gros revers en terme de ventes ; hélas, cela n'en prend pas le chemin. Il faudrait pourtant la faire descendre de son piédestal, et vite ; cesser de lui faire croire que ces dernières années, son succès était mérité. Cela n'a que trop duré. Enfin, pour le moment, rien ne change : Mylène Farmer, du haut de sa montagne, observe ses fidèles moutons hypnotisés. Inséparables, on vous dit !
Psychedeclic

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7
4

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