Si la vie de Mark Oliver Everett, aka E, était un téléfilm, il ressemblerait à ces fictions improbables, souvent allemandes, sur lesquelles on tombe sur Arte tard le soir et dont les sous titres semblent vouloir signifier que la vie est une épreuve. La vie de E est un drame, son scénario n'est pas cool. En quelques mois, E a dû surmonter la mort de sa mère, le suicide de sa sœur, le décès de sa cousine, passagère dans l'avion qui s'est écrasé sur le Pentagone le 11 Septembre. De cette vilaine période est né Blinking Lights and Other Revelations ? un double album avec deux fois plus de claviers, deux fois plus de chagrin ? et des textes sur l'enfance à faire faire caca dans sa culotte Françoise Dolto ("Maman n'arrivait pas à m aimer, papa était alcoolique, il dormait par terre devant la porte avec un sourire sous son nez rouge, mamie m a récupéré, elle m a dit que je n'étais pas un fils de pute", sur Son of a Bitch). E raconte des histoires sordides sans pudeur, compose des chansons fantômes avec des xylophones et des gros mots. C'est un cœur d'artichaut qu'il dévoile. Plutôt, un cœur de rocker qui a toujours su dire je t'aime ? et sa maman, il l'aimait quand même au point de la faire figurer, petite, sur la pochette de l'album. Forcé aujourd'hui de se reconstruire une famille, E l'a composée d'artistes doués, conviant l'omniprésent Peter Buck (R.E.M. et, récemment, The Thrills), le fan de la première heure Tom Waits, ou encore le vieux mais respectable John Sebastian (ex-Lovin' Spoonful). Avec ses trente-trois titres de pop étincelante, Blinking Lights and Other Revelations est un gros disque schizophrène, un album double dans tous les sens du terme ? "comme ces guirlandes lumineuses sur le sapin, qui ne sont des guirlandes lumineuses que parce qu'elles passent leur temps à s'allumer et à s'éteindre". Plus effrayant que le Happy Sad de Tim Buckley, E vient de composer un album happy desperate. (Inrocks)


A une époque où la moindre rondelle de CD peut techniquement contenir près de 80 minutes de musique, l'idée même de double album studio fait débat. Longtemps havre des explosions de semence créative de certains franc-tireurs (Dylan, Hendrix, liste non exhaustive), cet objet transitionnel de nos fantasmes musicaux sert surtout aujourd'hui à abriter les tendances au délayage et à la logorrhée d'un paquet de musiciens contemporains.C'est ce concept casse-gueule que Mark Oliver Everett, alias Eels, vient de revisiter. Et de manière magistrale.Depuis cinq disques et le double d'années, on sait que les fées qui ont tournoyé au-dessus du berceau en forme de camisole du petit Mark lui ont tout donné pour devenir le prince de la pop - à part la mèche rebelle, le regard embrumé et le passeport britannique. Pas sûr malgré tout qu'on s'attendait à un sixième album de ce calibre - dire de " Blinking Lights..." qu' il est long en bouche confine à la litote tant les 32 chansons qui suivent la berceuse d'ouverture (presque aussi prenante que le "Last Waltz Theme") résonnent longuement comme du cristal qu'on effleure. Citons pêle-mêle les clochettes à la Peter Pan de "Trouble With Dreams", l'orgue ulcéré de "Mother Mary", le piano funeste sur "If You See Nathalie", les sirènes enjôleuses d'"Old Shit/New Shit" ou la guitare mutine qui souligne la mélodie de "A Magic World". Et encore. Cette énumération forcément partielle ne donne qu'un aperçu maigrichon de la succession d'émerveillements qu'on traverse.Les invités prestigieux remerciés (John Sebastian, Peter Buck, Tom Waits) et les photos de famille qui parsèment le livret ne doivent pas cacher la vérité. Ce disque de fou, Mark Everett l'a fait tout seul. Seul avec sa voix de musaraigne étranglée, ses arrangements de cordes cosmiques, ses fulgurances mélodiques inédites et évidentes et ses obsessions de hillbilly californien (la famille, l'abandon, le châtiment, la mort). Les musiciens sont là uniquement pour servir sa vision et les photos représentent les spectres qui l'accompagnent depuis le début. Et en grand artiste, plus Mark Everett se referme sur lui-même et donne à sa musique une dimension cathartique ("Blinking Lights..." est presque aussi douloureux à écouter qu'"Hamlet" l'est à lire), plus il reflète et incarne les paradoxes de notre monde : un désir d'être seul tout en parlant au plus grand nombre, l'affirmation d'une singularité dans un idiome (la mélodie pop) dont les canons ont paraît-il été immuablement fixés il y a quarante ans et la cohabitation constante de la caresse et de la gifle. Et c'est sa tendance à l'autisme et à l'égocentrisme qui nous le rend proche et finalement universel. Comme une pulsation dans l'espace ou une lueur clignotant dans le lointain, "Blinking Lights..." est le témoignage d'un homme écorché qui, même sans le savoir, n'a pas renoncé à l'altruisme et à la solidarité. Cet album se découvre comme une très longue lettre : on n'a pas fini de la froisser.(Popnews) 
bisca
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le 24 mars 2022

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