Ce monde est cruel
6.5
Ce monde est cruel

Album de Vald (2019)

Celui qui, d'après ses propres mots, a construit sa carrière sur un ensemble de malentendus sort un nouvel album, synonyme de nouveau palier franchi.


Vald, le rappeur d'Aulnay-sous-Bois qui ne s'en revendique pas ( quoique... ) a réalisé l'amer constat que pour briller dans notre société, il faut devenir génial et que déjà ça, cette nécessité de devenir génial pour attirer l'attention des autres, c'est déjà cruel.


Pour la première fois, il décide de s'astreindre à une thématique donnée et sur seize pistes, neuf d'entres elles reprennent le titre de l'album Ce monde est cruel.


Depuis le morceau Ostud datant de 2015, Vald travaille en étroite collaboration avec le très jeune et prometteur producteur Seezy. Si le duo explique qu'ils n'ont commencé à se comprendre qu'à la fin du projet Agartha ( après l'horrible titre Eurotrap ), c'est véritablement sur l'album blanc que leur entente devient flamboyante. Cette flamboyance est à double-tranchant et la diversité des couleurs musicales de Xeu, pour le citer, nous perd parfois, ce qui n'est pas le cas sur CMEC où le duo semble atteindre une certaine maturité.


La ligne directrice est parfaitement suivie et si Vald se refuse à faire seize morceaux fleuves, car trouvant ça trop lourd pour l'auditeur, il oscille entre morceaux rappés et morceaux "miaulés".
Plusieurs écoles subsistent aujourd'hui dans le rap. Valentin Le Du, de son vrai nom, parle à ce propos "d'écouter avec le cerveau ou avec le corps", ajoutant qu'il appartient à la première catégorie, sans pour autant méjuger la seconde. Une phrase qui fait écho à une autre, bien sentie aujourd'hui, celle de son manager Merkus qui affirme : "on éduque le public, et pas l'inverse".


L'album évoque toutes les facettes d'un monde cruel. Les luttes de classes sont forcément présentes, Vald étant désormais sorti de sa condition de "fils d'ouvriers" pour entrer dans une autre, celle de nouveaux riches ( d'où la question des impôts qui revient plusieurs fois au cours de l'album ). Mais aussi les femmes et comment un jeune pas très beau, pas très drôle et pauvre se meut dans un monde adolescent et post-adolescent en pleine découverte et exploration de la sexualité. Pensionman, Ma star et Pourquoi sont trois morceaux réussis que l'on peut voir en un triptyque sur trois figures féminines dépeintes sous leur plus sombre jour.


Presque malgré lui, comme toujours ( mais est-ce vraiment le cas ? ), Vald touche au mal profond d'un Occident en pleine crise identitaire et religieuse. Dans son titre Journal Perso II, comme pour se répondre à lui-même plus jeune, Vald rappe : "le sexe et l'argent ça fait tout, j'ai les deux et pourtant ça fait rien". La proposition d'une société dictée par une quête de richesses matérielles et d'obéissance aux désirs primaires n'aboutît finalement à rien, la solution est autre. Vald émet alors l'idée d'un manque de transcendance et mets en opposition ces deux visions du monde, l'une capitaliste et l'autre religieuse : "salle de prières désemplie, tous occupés à monter des empires".


Bien que certains titres soient nettement plus faibles comme Keskivonfer ou Ignorant, le message est passé. Si Vald s'inscrit bien dans cette mode des rappeurs prenant conscience de la vacuité de leur quête de gloire et d'argent, il le délivre toujours d'une façon originale et reste fidèle à lui-même. En témoigne ce paradoxe du monde du rap mis en avant : "j'vais sauver les miens avant les vôtres gros, sinon c'est pas la peine - mais sauver les siens avant les autres gros, c'est le programme des Le Pen".


L'album se clôt sur le titre Rappel dont le seul but est de rappeler à l'auditeur tout ce qui a été dit avant. L'idée pourrait rendre le titre très redondant voire inutile mais la magie de Vald opère et l'on a l'impression d'écouter le résumé d'un imbécile heureux qui sait qu'il est un imbécile heureux.


En 2015 dans Gizeh, qui est à mon sens son meilleur titre, Vald rappait : "Dame nature qui fond en larmes, les humains qui font des lois". Aujourd'hui le fond n'a pas changé, Vald est toujours écoeuré de l'évolution humaine et rappelle dans son dernier titre, avant de finir sur une énième potacherie, que "tes besoins vitaux sont payants, t'as compris la prise d'otage".


Après la cruauté d'un monde en perdition, Vald compte s'attaquer au sujet universel par excellence en abordant l'amour dans son prochain album. A suivre.

Chichilianne
6
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le 1 juin 2020

Critique lue 322 fois

Chichilianne

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