Compton
6.3
Compton

Album de Dr. Dre (2015)

30 ans après ses débuts remarqués avec le World Class Wreckin’ Crew, Dr. Dre est donc de retour avec un tout nouveau projet. Une carrière bien rempli, qui aura vu Andre Young marqué à jamais l’histoire du Hip Hop à plusieurs reprises, avec en point d’orgue les 2 albums références que sont ‘The Chronic’ (1992) et ‘2001’ (1999). ‘Compton’ nous est présenté par l’auteur lui-même comme un opus né sur le tournage du film ‘Straight Outta Compton’, un projet inspiré sous forme d’une bande son contemporaine concoctée sur un laps de temps assez court, contrairement au fameux ‘Detox’ que le doc a pris soin d’enterrer une bonne fois pour toute.


Il faut remonter à 2009, l’album ‘Relapse’ d’Eminem, pour trouver trace d’un dernier projet réalisé et produit par Dre. Depuis, le producteur de Compton s’est fait très rare, plutôt concentré à développer sa marque Beats By Dre rachetée l’année dernière à prix d’or par Apple.


C’est donc dans un certain brouillard que sort ce nouvel opus, avec des attentes et des espérances extrêmement élevés de la part de son public. A 50 ans le docteur peut-il toujours surprendre et plaire?


La pochette de cet album est un clin d’œil aux fameuses 9 lettres du mot Hollywood présentes en haut du Mont Lee, pour l’occasion ils ont choisi une colline avoisinante de 3km sur Hollywood Hills pour y placer les lettres de Compton. Un nouveau point de vue qu’il aurait été difficile de réaliser à Compton quand on sait que la ville natale de Dr. Dre n’a aucun relief et est beaucoup trop éloigné du centre ville de L.A. pour qu’on puisse y apercevoir correctement les imposants buildings. Avec ce montage graphique le décor est donc posé, et c’est avec une réinterprétation du thème des Studios Universal que s’ouvre ce projet tant attendu.


« And Andre still young enough to say fuck y’all » (Dr. Dre)


C’est à King Mez que revient l’honneur d’ouvrir les hostilités sur ‘Talk About It’, le rappeur de la Caroline du Nord donne le ton sur une prod robuste et triomphante. Un morceau avec au refrain Justus, qui avec Mez, a co-écrit tous les textes de Dre, un exercice de style à 3 mains qui réserve plein de surprises. Le flow emprunté par le doc sonne très actuelle avec des nuances très marquées, aussi bien dans le débit que dans les différentes tonalités de sa voix, cette dernière a vraiment été travaillée comme un instrument en fonction des morceaux (ce qui n’est pas sans rappeler le style d’un certain Kendrick Lamar).


Au niveau du contenu, Dre reprend comme sur ‘2001’ son rôle d’observateur avisé du rap game, avec comme titres références le métaphorique ‘Deep Water’ ou ce prenant ‘All In A Day’s Work’, 2 morceaux marqués par les performances respectives de Kendrick Lamar et Anderson Pakk. Deux artistes qu’on retrouve une nouvelle fois à leur avantage sur les très engagés ‘Genocide’ et ‘Animals’, ce premier titre qui prend une toute autre ampleur quelques jours après l’anniversaire des 1 an de l’assassinat de Michael Brown, et ce dernier produit par DJ Premier qui réuni enfin 2 des plus grandes légendes du game sur un même morceau.


« Still I’m back with Dre, shit I never left » (The Game)


Un casting général qui entremêle nouveaux et anciens collaborateur de Dre, correspondant en quelque sorte à toutes les étapes de sa longue carrière. Ice Cube et Eazy-E (petite présence sous forme de clin d’œil sur ‘Darkside/Gone’) sont présents pour la période N.W.A., ainsi que Cold 187um (aka Big Hutch, leader du groupe Above The Law). Sans surprise Snoop Dogg est bien évidemment de la partie, tout comme Eminem et les 2 artistes de Compton dirigés par le doc que sont The Game et Kendrick Lamar. Xzibit se rappel aux bons souvenirs des fans, et Marsha Ambrosius nous envoute une nouvelle fois avec sa voix. Au rang des « oubliés » on notera seulement un petit hommage manquant à Nate Dogg… L’absence de 50 Cent, seul artiste marquant de l’ère Aftermath à ne pas être là, ne surprend et ne manque même pas…


Parmi les nouveautés, on retrouve logiquement la dernière signature de Dre avec Jon Connor, le MC du Michigan qui se fait pourtant volé la vedette par King Mez, un nom bien connu par les fidèles du blog puisque ce dernier est présent régulièrement dans les articles du blog depuis 2010. Il y a aussi Anderson Pakk qui fait forte impression tout au long de cet album, un artiste vraiment complet qui a toutes les caractéristiques que recherche Andre Young pour ce genre de projet. A noter aussi les présences de Justus, Candice Pilay et Asia Bryant sur une bonne partie des refrains. Certains regretteront peut être l’absence de la nouvelle génération d’artistes West Coast, il y a en effet quelques noms qui n’auraient pas fait tache sur la tracklist.


« This is my passion, it’s where my heart is » (Dr. Dre)


Pour revenir sur les morceaux en eux-même, ce projet connait plusieurs phases bien distinctes dont une face un peu plus sombre qu’on retrouve au milieu de l’album avec des titres comme ‘Darkside/Gone’, ‘Loose Cannons’, ‘Deep Water’ et ‘One Shot One Kill’. Des story telling mélangés à des morceaux à plusieurs tiroirs pour une réalisation qui se rapproche grandement de ce qu’on a pu entendre sur le dernier LP de Kendrick. Une élaboration qui n’est pas sans rappeler un objet cinématographique comme l’a voulu depuis le début Dre, le tout avec une culture musicale indéniable truffée de petit détail qu’on découvre au fur et à mesure des écoutes (pour ceux qui feront la démarche d’aller un peu plus loin qu’essayer de trouver un hypothétique tube radio à la ‘Still D.R.E.’ ou ‘The Next Episode’).


Comme beaucoup, j’ai mes petites préférences, et si j’étais un peu perdu lors de mes premières écoutes avec ce morceau d’ouverture ‘Talk About It’, j’ai enfin saisi la puissance qui s’y dégage et son positionnement sur la tracklist. Il y a énormément de titres qui me rappellent le style passé de Dre, et c’est peut être ce qui est le plus réussi sur cet album, faire du neuf avec des bases posées il y a quelques temps par le doc. Une touche actuelle amenée par d’autres producteurs comme sur ‘It’s All On Me’, ‘All In A Day’s Work’, ‘Darkside/Gone’, ‘Loose Cannons’ et ‘Satisfaction’ par exemple, qui après le passage dans les oreilles de Dre (et Focus qui joue un rôle majeur) ont la musicalité et la force de frappe de ses prods d’antan.


« Doc, I think its time for you to open up the pharmacy » (Snoop Dogg)


Lors de ma première écoute de ‘One Shot One Kill’ je me suis demandé si c’était bien Snoop Dogg sur le premier couplet, on l’a rarement entendu faire des sorties comme ça, comme Dre sur cet album il a décidé de rebooster son flow pour l’occasion. Dans le même genre, The Game sur une prod typé boom-bap nous signe aussi l’un des moments forts de ce projet avec ce ‘Just Another Day’ accompagné par Asia Bryant au refrain. Le titre ‘Loose Cannons’ est une vraie pépite avec en featuring Cold 187um, Xzibit et Sly Piper contenant autant de beats que de guests. ‘All In A Day’s Work’ est certainement mon morceau préféré, il représente à lui tout seul l’éthique au travail de Dre, les performances de Anderson Pakk et Marsha Ambrosius sont juste parfaites (comme cette fin avec ce solo de charley).


Sur ‘Issues’, ce sample de Selda Bağcan, guitariste Turque, est une trouvaille qui fait son effet, tout comme cet autre sample Indien de Thepporn Petchubon sur ‘Just Another Day’. Ice Cube fait le boulot proprement, à l’image de tous les intervenants de l’album sans oublier Jon Connor sur ‘One Shot One Kill’ et ce titre ‘For The Love of Money’ reprenant le classic ‘Foe Tha Love of $’ des Bone Thugs-N-Harmony. Précédé et suivi des excellents ‘Animals’ et ‘Talking To My Diary’, ce ‘Medecine Man’ avec Eminem a du mal à trouver le même écho chez moi, pas vraiment de réel charme… Dr. Dre referme donc cet album en solo avec l’intime ‘Talking To My Diary’, dans lequel sur le second couplet il se remémore l’époque N.W.A., nous laissant logiquement l’envie de découvrir le biopic du groupe bientôt en salle en France (16 septembre). Un titre conclu par cette sublime section de cuivres de plus d’une minute.


Pour plus de précisions sur les différentes collaborations, je vous conseille d’aller voir les crédits complets de l’album qui sont présents sur le site officiel de Dr. Dre (cliquer sur les titres de la tracklist). Difficile donc de parler de ghostwriting ou ghostproducing quand tout est écrit noir sur blanc…


« Now what the fuck do y’all expect me to do? » (Dr. Dre)


Après plusieurs écoutes attentives, sans surprise on y découvre un travail subtil, minutieux et réfléchi. Le perfectionnisme de Dre se ressent sur tous les morceaux, rien n’est laissé aux hasards. Une œuvre qui aurait pu être un jubilé fourre-tout, mais c’est mal connaître le docteur de Compton, et sa ligne de conduite consistant à ne sortir un projet uniquement lorsqu’il en est vraiment satisfait à 100% (certains ex-artistes de son label peuvent en témoigner…). Tout le long de sa carrière, Andre Young s’est imposé comme un architecte sonore hors pair et cette dernière pierre à son édifice en est une nouvelle fois la preuve. ‘Compton’ est certainement ce que Dr. Dre pouvait nous sortir de mieux en 2015, n’en déplaise à ceux qui s’attendaient à autre chose.


Chronique réalisé pour le blog : http://lehiphopsurecoute.com

matic
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le 23 août 2015

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matic

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