Sous un crépuscule croulant d'étouffantes moiteurs, une difformité cartilagineuse s'ébroue dans l'ether strié d’antédiluviennes peurs. Entité atrophiée, hideuse masse tentaculaires aux excroissances blafardes qui s'agitent en succions intermittentes, tétant de leurs ventouses nervurées le cosmos éventré. L'horreur suinte dans le temps, démantèle l'espace.

Falsifiant son origine de ruines cosmogoniques et de brumes ancestrales depuis l'excellent Hallucinogen en 2019, le polymorphe Blut Aus Nord sombre désormais dans une transe interstellaire à l'audace absolue. Disharmonium - Undreamable Abysses est une folie éveillée constituée des fièvres les plus féroces d'une formation qui éclate tout archétype musical. S’imprégnant des aspérités des âmes, contant l'indicible, soutenant l'azur d'un paradis déchu, cet album est à la fois lié aux cauchemars de l'organique et rattaché aux stupeurs du néant, quelque part tissé dans un essaim d'insectes omniscients.

S'ils sont indiscernables les uns des autres, c'est que les sept titres qui composent l'album sont à penser en communion permanente, liés par une glaire funeste à la sagesse originelle. En leur sein, la violence latente jamais n'éclos totalement, mais s’infiltre à chaque instant en filigrane, creusant cette partition difforme de stridulations scandées en un mur de son vertigineux, duquel on tombe forcément. En remarquable sténotherme, Blut Aus Nord se fait monolithe d'une arborescence instinctive.

Peu à peu, des fables psychédéliques à l'onirisme ténébreux se déversent en nous. En flots ininterrompues de guitares bruitistes, de claviers brisés et de batteries transneptuniennes, ces histoires stratifient nos souffles, réduisent nos pulsations corporelles en un amas résineux d’émotions primordiales. Autant poussés dans les abysses béantes des silicates spongieux qu'aspirés par les cloaques cosmiques des astres éteints, la musique de Blut Aus Nord nous contamine et nous ronge. Englué dans une stase psychique effrayante, Disharmonium déferle en nous comme une plaie divine balaierait le mastaba antique. Martelant et méditatif, chassieux et chaotique.

De lointains spectres murmurent de ça et là des litanies serviles, et plus les minutes enflent, plus s'imprime la tératogénie de cette œuvre tribale, minimaliste d'esprit mais ô combien tourbillonnante. Susurrant les dieux de Oranssi Pazuzu ou louant les démons de Deathspell Omega, Blut Aus Nord suit la saignée si hypnotique et salvatrice d'un black metal avant-gardiste voué non pas aux gimmicks ridicules d'un satanisme essoufflé mais à l'extase orphique la plus profonde qui soit. Disharmonium est un voyage implicite et douloureux dans les tréfonds de l'angoisse. Tout comme son artwork, la musique est teintée d'une vive lueur lovecraftienne, mais c'est de ses propres mains que se bâtit l'impalpable pilastre qui bientôt se désagrégera devant nous.

Disharmonium s'abat sur le monde du metal hexagonal avec l'imminence de la destinée foudroyant les peuples aliénés d’orgueil. Voyage jusqu’au-boutiste à la saveur surréaliste, c'est un bloc de pure spiritualité rugueuse, rutilante, réifiant l'homme en une masse de d'obscurité aveuglante, sale et salvatrice pourtant.

Cohérent de bout en bout, imparablement articulé et exécuté, Disharmonium est davantage que l'apogée d'un groupe : c'est la stupeur et la fureur même d'une musique expulsée de la mort, ravagée par la vie.

FlorianSanfilippo
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le 24 mai 2022

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