Là c'est très long donc si vous n'avez pas l'album en cours de lecture ou si vous ne le connaissez pas par cœur, lisez en bas c'est plus concis.


1 – D's Car Jam : Un moteur vrombit, un bolide d'occasion tout droit sorti d'un épisode de l'Inspecteur Derrick démarre. Lucky Strike au bec, Corona à la main, le coude posé avec désinvolture sur le rebord de la vitre grande ouverte, le volant dans l'autre, Wire dans l'auto-radio, deux potes sur la banquette arrière, l'un d'eux étant apparemment le propriétaire de l'engin. Mike Watt les regarde dans le rétro. Pour le trajet d'1h22 qui va suivre sous un soleil californien accablant, on est aussi leurs potes.


Anxious Mo-Fo : Un baiseur de maman manifeste son ineffable anxiété. La basse sereine du conducteur de rétorquer : « Du calme mon bon, tu dis donc que rien ne peut exprimer ta colère ? Ne l'exprime pas alors, tu nous fais chier. Quoi ? Une histoire de possession ? Voilà, 1min20, ce sera ton temps de parole. T'aurais mieux fait de te taire. »


2 – Theatre Is the Life of You : Aaah un peu de calme... Néanmoins, un parfum de révolution flotte dans l'air, c'est physique, c'est comme ça, c'est inévitable. L'engin s'emballe un peu d'ailleurs, grisé, et engourdit nos sens.


3 – Viet Nam : On se débarrasse du point GodblessAmerica (syndrome du Vietnam) comme ça c'est fait. De toute façon, une discussion entre potes comme celle-ci ne sera jamais plus stupide qu'une décision du Congrès ou que la théorie des dominos. Nos trois comparses sont à la fois remontés et pressés, ça s'entend.


4 – Cohesion : Qu'est-ce qui se passe ? Que vous est-il arrivé ? Mike s'est endormi au volant ? L'auto se déporte inéluctablement vers la voie de gauche et je suis à peu près sûr que c'est la mort en personne qui nous conte cela en arpèges, elle-même attristée de devoir accueillir en son royaume les trois acolytes qui n'étaient que vie.


5 – It's Expected I'm Gone : Bon ils sont de retour d'entre les morts semble-t-il. Rythme syncopé, une ligne de basse envoûtante, toujours aussi flegmatique, D. Boon et sa méchante gratte en retrait sauf pour un solo subtil et espiègle, ce morceau sera lucide. Des paroles rageuses et tellement malines à la fois, d'un second degré juste parfait (See my position was here – I mean as it was I was). Mesdames, Messieurs, voici la recette miracle des trois potes de San Pedro. Mais nous sommes embarqués dans leur London Calling à eux et elle sera déclinée, bonifiée, exaltée.


6 – #1 Hit Song : Les Minutemen n'aime pas les chevaux ailés, les ciels gris perle, les feuilles des arbres mais surtout ils n'aiment pas les mièvreries et les banalités. Par contre, ils aiment bien se foutre de votre gueule.


7 – Two Beads at the End : Apparemment ce n'est plus une voiture, c'est un hôpital psychiatrique. La plume complètement surréaliste accompagne l'instabilité du morceau, premier véritable combat entre la basse tranquille de Mike Watt et la guitare activiste de D. Boon. Ici, la première n'arrivera pas à contenir la dangereuse folie de la seconde.


8 – Do You Want New Wave Or Do You Want the Truth : La cohésion dans la mélancolie revient, l'engin ralentit et le ciel s'assombrit. On entame une télépathie existentielle sur le langage qu'ils nous demanderont eux-mêmes d'abandonner car ils ne sont qu'une fosse septique pour toute la merde dans laquelle on peut tomber. Cette fosse septique, cette abîme, dans la mise en abyme sceptique de leur engagement politique qu'est ce titre, montre l'ampleur de toute leur intelligence cynique.


9 – Don't Look Now : Place au live et c'est encore parfait : dans le bruit du public qui s'en fout un peu résonne l'inaction des paroles de John Fogerty de Creedence Clearwater Revival. Ils reprennent ici ce monument du blues rock (oui ils sont punks) dont ils auront appris avec assiduité qu'une chanson trop longue était vouée à l'échec.


10 – Shit from an Old Notebook : Ils ne referment pas leurs fenêtres aux autres automobilistes mais cette fois, c'est du sérieux, ils vont se faire entendre. D. Boon fait ronfler le moteur, celle-là sera engagée. Les magnats ricains de la pub n'auraient-ils pas oublié les valeurs de leur cher Nouveau Testament ?


11 – Nature Without Man : On entame à nouveau une conduite sportive mais fluide : le combat reprend, celui de Mike Watt et D. Boon, de la basse et de la guitare, du flegme et de la rage, du cynisme et de la révolte. Continuité parfaite du titre précédent, l'homme a foutu le bordel avec ces valeurs (the boundary, the border of right and wrong / behind all ideas of right and wrong, there is a field, I will be meeting you there : https://www.senscritique.com/album/Human_Sadness_Single/12483535, oui je fais de la pub pour mes albums préférés pour si peu).


12 – One Reporter's Opinion : Nouvelle étape, ils s'unissent ici vraiment, chacun un pied sur la pédale. En vrais potes, on se fout de la gueule des journalistes qui se foutent de la nôtre, jamais avec condescendance, juste pour rigoler, comme ça. En plus, quelle énergie ! Toute l'autoroute est soufflée.


13 – Political Song for Michael Jackson : Petite pause pour faire le plein et changer de face et on repart sur les chapeaux de roue : tout est dans le titre, ils sont beaux, ils sont fous, ils n'ont pas assez de visibilité, et s'ils donnaient cette bombe oppressante au texte qui donne dans le n'importe quoi politique le plus génial à un gars qui a de la visibilité, genre le Roi de la Pop ? C'est vraiment le groupe le plus drôle du monde, point barre. Vous en voulez encore ? 


If we heard mortar shells, we'd cuss more in our songs and cut down the guitar solos


[guitar solo]


Si c'est pas assez, je sais pas ce qu'il vous faut.


14 – Maybe Partying Will Help : Le son de l'auto n'a jamais été aussi « pur », c'est peut-être ici la plus grande preuve du groove ravageur des potos. Ils sont un peu soucieux les gars mais suffit de faire la fête, de mettre l'auto-radio à fond, avec ce groove rien ne peut mal se passer.


15 – Toadies : Ici c'est Mike Watt et sa basse qui gagnent la partie, le temps est à l'orage sur les routes californiennes. Le monde est rempli de lèche-culs, on aime pas les lèche-culs. On entend bien qu'on leur botte le cul, aux lèche-culs.


16 – Retreat : La basse a toujours le dessus semble-t-il, la colère est redescendue semble-t-il... oh putain ils sont instables, sous tous les points ! Punk au volant, mort au tournant, de vrais dangers publics !


17 – The Big Foist : De retour à leur rythme de croisière, ils n'en sont pas pour autant fainéant dans la construction de leur morceau : on a là une joyeuseté tourmentée dans le texte qui ravira mes oreilles avides de saine ambiguïté.


18 – God Bows to Math : On s'élève légèrement au-dessus du macadam et on touche au sacré... mais pas trop, on pourrait se brûler ! Un peu d'arpèges soucieux, de choeurs faits maison et la mayonnaise monte humblement, comme toujours.


19 – Corona : On s'arrête pour la nuit sur la grève, ça épuise Dieu. Les pieds dans le sable, une bière fruitée à la main, bras dessus bras dessous avec nos compagnons de toujours, je pense que c'est ce que l'on peut appeler le bonheur. Une quidam nous reluque du coin de l'oeil, on a l'air si clichés, on représente tout ce qu'elle hait dans ce pays à ses yeux. On s'en fout qu'elle se trompe. On est bien avec notre Corona, même s'il reste qu'un dépôt de cinq centimes.


20 – The Glory of Man : On remet le pied sur l'embrayage, les paupières encore un peu lourdes de la grasse mat' passée. Une sorte de Sunday Morning des Minutemen, introspection bordélique mais sûrement bien plus utile que beaucoup de longues tartines pédantes.


21 – Take 5, D. : Le quotidien n'est pourtant pas si loin, il revient tristement sous la forme d'un mot de la concierge à propos de fuites dans la plomberie. Ça tourne en rond dans la tête de D. jusqu'à la folie. Stop. On se calme. On va pas causer un accident. La guitare a du mal à reprendre ses esprits. On se remet sur la piste, doucement mais sûrement.


22 – My Heart and the Real World : Ils tournent à nouveau à plein régime pour nous envoyer une petite ritournelle, un chant d'hirondelle (non, contrairement à eux, j'ai pas inventé mon propre langage) et ça chante innocemment que « Life's a bitch! » et ça le dit superbement aussi.


23 – History Lesson, Pt. 2 : Titre central avant de passer à la troisième face, et la sixième par la même occasion, D. nous raconte sa vraie histoire avec nostalgie, les enfants du punk qu'ils sont, comme il a changé leur vie, comme ils sont comme nous tous, comme il se sent sur scène comme Joe Strummer, Richard Hell ou E. Bloom (ça c'est des valeurs).


24 – You Need the Glory : Débuts tourmentés pour ce deuxième disque. Un peu l'instar d'Anxious Mo-Fo, c'est avec un élément extérieur au groupe qu'on démarre. A nouveau, les trois potes semblent faire peser tout le poids du monde sur leur victime. Pourtant, celle-ci n'a aucun mal à garder son calme, au contraire, et le parallèle avec la première s'inverse complètement mais n'en est que plus pertinent.


25 – The Roar of the Masses Could Be Farts : L'engin reprend son zigzag sur la chaussée, enragé. En cris désespérés, ils gueulent les fenêtres baissées la crasse de cette société sans un second degré omniprésent. Merde mais ce titre quoi, la lucidité beauf, c'est trop beau.


26 – Mr. Robot's Holy Orders : Tour de force de George Hurley le batteur puis Mike Watt dans tous les registres, ce quasi-instrumental de 7 minutes sorti de nulle part nous rappelle que Les Temps Modernes de Chaplin sont toujours d'actualité en 1984 tant les éructations incrustés suppurent de dégoût pour le travail à la chaîne dissonant qu'exercent les instruments. Du prog-rock dans une bagnole punk, merci les gars.


27 – West Germany : Eh oui, n'oublions pas que nos comparses roulent sur la voie de la Guerre Froide. Et non, ils n'embrasseront pas une cause bateau à ce sujet. Critique de l'ingérence américaine en Allemagne de l'Ouest et des retombées sur le peuple allemand, le principal concerné, du rideau de fer et de la gueguerre entre oligarques des deux blocs. D. s'acharnent sur ses cordes et ça fait du bien.


28 – The Politics of Time : Implosion du capot sous l'effet Godwin. La caisse ne se laisse pas faire mais les soubresauts se font insistants, le ciel est vraiment très lourd en cette paisible journée de 1984. D'ailleurs, à propos d'Orwell, c'est seulement dans nos têtes qu'on s'enferme. Même si nous sommes rien à l'échelle du temps, il serait temps de prendre nos responsabilités.


29 – Themselves : Les coupables sont là-haut, ne vous haïssez pas, faites-les payer pour tous les crimes qu'ils ont au-dessus de leur tête. La voiture glisse en pente douce, les titres s'enchaînent parfaitement, chacun construisant son propre univers. Ici, la batterie réchauffe les cœurs comme le ferait un pointe à 160.


30 – Please Don't Be Gentle with Me : En réponse aux deux titres précédents, la conduite se fait pragmatique. Ils finissent ce schéma triptyque du principe au concret en beauté avec cette ballade énervée dans une vie quotidienne en appel à la non-clémence.


31 – Nothing Indeed : Le doute s'installe à nouveau dans le crâne des keupons. Ils multiplient les embardées car la route est jonchée de nids-de-poule (Pothole in the road, it's only a detour), les sueurs froides de D. se traduisent en envolées de gratte aux allures de course poursuite avec le stress.


32 – No Exchange : Montée en puissance après s'être remis sur les rails, celle-là finit en apothéose tel un bon Wire pour faire table rase des kilomètres déjà parcourus.


33 – There Ain't Shit on T.V. Tonight : Ce soir, pas de merde à la télé. Ce soir, c'est introspection au son du moteur qui ronfle (écoutez cette basse envoûtante mes amis). Toujours, toujours écouter ce qu'ils disent, rien de démago, de culpabilisateur ou de prétetieux, que de la sincérité.


34 – This Ain't No Picnic : A bas la hiérarchie ! On revient à plus personnel mais aussi plus universel. Les patrons, c'est raciste, ça fout rien, ça te prend de haut. Quoi on enfonce des portes ouvertes ? Ça sert au moins à verser notre rage, sinon comment ?


35 – Spillage : Les trois potes sont sur une autre planète, chaque pièce du puzzle s'émancipe, la machine n'a jamais été aussi bien huilée. C'est parfaitement écrit, parfaitement construit, c'est sûrement leur meilleur morceau et je ne vais pas davantage vous gâcher le plaisir.


36 – Untitled Song for Latin America : Dernière face et pas des moindres : révisez votre programme de Première sur la Guerre Froide avec les Minutemen ! Chaque mot choisi, chaque position prise, sont justes, à mon humble avis. La conduite de Mike n'a jamais été aussi fluide.


There are children playing with guns


There are children playing with countries


Mining harbors, creating contras


[…]


I would call it genocide


Any other word would be a lie


37 – Jesus and Tequila : Le voyage se fait plus lancinant, d'anciennes histoires refont surface. Cet homme a perdu sa femme et son travail. Impossible de sortir de cette spirale alcoolisée et cette zone de sécurité qu'est la religion. Il est satisfait et il ne peut le nier.


38 – June 16th : Silence se fait dans l'auto. Mike Watt mène la danse, plus assuré que jamais, sûr de sa basse, impérial comme à son habitude. Hurley suit et instaure un tapis feutré avec ses cymbales à cette mystérieuse journée du 26 juin. D. Boon ne surgit que par à-coups vibrants. Les gars, je crois qu'il faut instaurer une nouvelle Journée Internationale du Groove.


39 – Storm in My House : D. Boon se réveille et reprend son leadership sur le trajet à emprunter. Saturation, l'orage gronde sous le toit. C'est toujours dans sa tête qu'on est emprisonné en 1984.


40 – Martin's Story : Takes time, a little bit, a little bit more : 0:52, montre en main.
Liant de cette fin de périple, chaque instrument se presse, rapproche les notes jusqu'à ne faire plus qu'un. La basse est aquatique, la batterie tremblante, la guitare éternue.


41- Ain't Talkin' 'bout Love : « Bros before hoes. » Mike Watt ne l'oubliera plus. Comme on peut l'entendre, c'est de plus en plus légers (mais pas mous, ça jamais, en témoignent les HEY HEY HEY bien keupons) qu'on ralentit notre course, tout a été dit et on ressent cette chaude atmosphère des moments partagés qui se taisent.


42 – Doctor Wu : Dernière piste schizo et nouveau tour de force. Qui est ce docteur qui s'est immiscé dans l'intimité de la voiture ? Les voix se mélangent, mélancoliques, nostalgiques, avant de demander d'être rappelées à la raison par ce mystérieux docteur Wu, bien plus discret que son confrère Who. On se perd dans les trop nombreuses histoires que l'on aimerait explorer. Pink Floyd et son Comfortably Numb ne font pas le poids.


43 – Little Man with a Gun His Hand : Tiens, ça me paraît vachement d'actualité ça encore. Le désespoir d'un homme, un amendement bien connu, une bizarre sensation délétère. Le riff ne nous lâchera pas. Is that good enough?


44 – The World According to Nouns :


The state


The church


The plans


The waste


The dead


The mine


The cut


What's the verb behind it all?


The do


The how


The why


The where


The when


The what


Can these words refine the truth?


Je déteste l'expression « punk intelligent » mais là c'est quand même autre chose. Comme la composition nous laisse couler le long de ces paroles, on peut complètement se les approprier.


45 – Love Dance : On vous aime aussi les gars, c'était une super voyage, conclu si joyeusement... oh merde, la guitare ! Ce groove ! J'ai tâché mon pantalon.


46 – Three Car Jam : On reprend là où on avait commencé, on se la refait ?


Cette petite bafouille maladroite ne devait que témoigner mon amour de ce chef d’œuvre trop méconnu, témoigner de son incroyable richesse. La structure sûrement indigeste de mon billet était censée rendre compte du fouillis cohérent qu'il est et j'en ai encore plus découvert sur lui en l'écrivant. Si jamais quelqu'un se prend un jour à écouter l'album accompagné de ma critique, parce qu'il est quand même pas super facile d'accès, si ça peut lui donner une porte d'entrée dans leur magnifique univers, ce sera un bonus et un bonheur.
Voilà, my stoned mind just spilled that line.

michaudmifroid
10
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le 16 févr. 2017

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