Kendrick Lamar est né dans l'oeil du cyclone, quelques mois après la publication de Straight outta Compton, de N.W.A., qui signa l'avènement du gangsta rap et de son groove nihiliste. Fils d'un membre de gang de Chicago exilé sous les cieux cléments ( !) de Californie, il a grandi au coeur des fusillades, dans les rues de Los Angeles que se disputaient les Bloods et les Crips, et il avait 4 ans quand sa ville a pris feu lors des sanglantes émeutes de 1992. La petite histoire de Compton, son quartier sinistré, la litanie des deuils, le lancinant refrain de la violence, les aventures tragi-comiques d'un adolescent dans une ville en cendres forment la matière incandescente d'un premier album, Good kid, m.A.A.d city (« Bon garçon, ville folle »), qui le place d'emblée aux côtés des meilleurs conteurs du hip-hop — Nas, Tupac ou Jay-Z. Les compositions que Kendrick Lamar a publiées en rafale sur la Toile faisaient déjà flamber une virtuosité de rappeur hors pair mais les douze morceaux de son album, qui se répondent comme les scènes d'un long métrage, installent au premier plan la richesse d'une écriture qui se promène entre le réalisme de The Wire, les ruminations spirituelles de Marvin Gaye et la verve d'OutKast.
L'histoire s'est retournée. Le jeune protégé de Dr. Dre n'a pas l'arme au poing mais un revolver contre la tempe. Il est assailli par les idées noires et les questions sans réponse, il joue avec brio de la multiplicité des voix intérieures et des images troubles qui exposent la confusion morale et mentale d'un jeune Noir américain de 25 ans. Avec l'aide des Neptunes et d'une armada de jeunes talents, les arrangements décorent habilement ce paysage accidenté et, dans le sillon de Kanye West et de son compère Drake, Kendrick Lamar signe un épisode majeur dans la saga d'une génération en quête d'analyse.