Gulag Orkestar
7.4
Gulag Orkestar

Album de Beirut (2006)

Et si l'un des albums pop les plus envoûtants de l'année ne comportait aucune note de guitare ? Avouez qu'elle serait bonne. Eh bien, vous pouvez déjà commencer à vous fendre la poire... Zach Condon, l'auteur de cette flamboyante pirouette, a imaginé du haut de ses dix-neuf printemps une musique incandescente aussi rafraîchissante qu'une brise en plein cagnard oriental, et puisant ses influences au sein de la culture balkanique. Mais là où ce type de rengaine excède parfois par une extravagance trop appuyée, chaque note se trouve ici bercée par une retenue et une pertinence épatantes. Le tendrement lyrique et diablement absorbant Rhineland (Heartland) servirait par exemple de parfaite bande-son à l'anthologique, interminable et décadente scène de beuverie généralisée du dernier film de Sharunas Bartas, Seven Invisible Men. Comme dans les plans du cinéaste lituanien, on retrouve dans la voix chevrotante de Zach ce même lyrisme défaitiste, ce même désespoir anobli, ce même désir d'évasion que l'on sait impossible et que l'on essaierait de jeter en cellule afin de ne plus avoir à le ressentir. Tel un Antony (And The Johnsons) qu'on aurait lâché au milieu des prairies arides de Crimée, en lui ordonnant de couper court à son maniérisme affecté sous peine de voir les vautours dévorer sa carcasse grillée à point. Accordéons omniprésents, ukulélé, glockenspiels et trompettes impériales colorent ses ritournelles profondes et délicieusement mélancoliques, comme l'accroche-coeur Postcards From Italy, qui vous harponne les tripes par sa mandoline sautillante, intrigante et espiègle. Dans un univers musical aussi balisé que son petit parcours dominical au supermarché du coin, rares sont les occasions d'entendre une musique excentrique sans être excessive, aux premiers abords intrigante et en dernier lieu imparable. À l'écoute de Gulag Orkestar, premier album définitivement orienté vers l'Est, c'est donc l'ensemble du quarteron pop moderne qui paraît complètement à l'Ouest.


La mondialisation a du bon. Et les voyages forment la jeunesse, font les grands disques personnels, vagabonds, échappés du peloton. Récemment, on découvrait Ramona Córdova, délicieux chanteur américain à voix de jeune fille, d'origine latino-asiatique, dont la musique semblait nous parvenir après un long voyage sur un radeau de fortune. Beirut, alias Zach Condon, est un autre de ces chanteurs aux semelles de vent, équilibriste sur le toit du monde. Il n'est pas libanais. Il vient d'Albuquerque (Nouveau-Mexique), il a 19 ans, il joue du ukulélé, mais pas de la musique hawaïenne. Il fait un temps de chien mouillé sur l'album de Beirut. Une fanfare traverse la place du village. Les musiciens ont les joues rouges, le regard qui tangue. Zach Condon a beaucoup sillonné l'Europe, surtout l'Europe de l'Est, et ça s'entend. Son disque, c'est Tintin au pays des Soviets. Il chante des pop-songs, mais les joue sans guitare, ni basse ni batterie. Avec une trompette, de l'accordéon, des violons, de la clarinette. Zach Condon chante un peu comme Thom Yorke, Stephin Merritt des Magnetic Fields ou Rufus Wainwright : une diva flamboyante en souffrance. S'il avait habillé ses chansons de guitares électriques, on serait peut-être passé à côté de son disque. La beauté curieuse de Gulag Orkestar vient du jet-lag, du contraste entre une voix biberonnée au rock de l'Ouest et une musique née dans les Balkans, dont Beirut a su retrouver la passion lacrymale. Des musiciens européens qui puisent leur inspiration dans la musique folk américaine, on en connaît plein ? trop. Des Américains qui plongent dans la culture d'Europe de l'Est, c'est plus rare, et c'est précieux. Zach Condon a le courage de nager à contre-courant, de sortir la musique des studios et des courants officiels. Tout cela est bien joli, même très beau, mais ça ne répond pas à la question : pourquoi Beirut ?(Inrocks)
J'ai toujours une petite appréhension en allant voir un film d'Emir Kusturica. Je sais que, malgré la sympathie que j'ai pour son cinéma, il y aura toujours pour moi un peu trop d'animaux, d'armes à feu et de fanfares, de même qu'il y a dans l'estimable "Marie-Antoinette" de Sofia Coppola un peu trop de petits chiens, de macarons et de perruques. C'est moins une question de goût qu'une question de dosage : après tout, pourquoi ne pas déguster, de temps à autre, un macaron Ladurée en caressant un petit chien - ou une arme à feu, c'est selon - sur fond de musique tzigane ? J'en étais arrivé à ce type de considération métaphysique à l'écoute de "Postcards from Italy", premier extrait de "Gulag Orkestar" qui joue effectivement très bien son rôle de carte postale, et je me demandais : comment peut-on tenir sur la distance avec force fanfares pour un premier album ? L'exercice n'est-il pas trop artificiel et pénible pour l'auditeur ? La réponse que donne "Gulag Orkestar" dissipe ces craintes, et elle est assénée avec la grâce de l'évidence par un Américain d'à peine vingt ans, Zach Condon, qui joue d'à peu près tout sur son disque et chante avec un lyrisme qui rappelle les meilleures envolées d'Andrew Bird ou de Jens Lekman (l'appétence instrumentale étant un de leurs autres caractères communs). Je ne sais pas trop à quoi tient le fait que cette sorte de road-record inspiré d'un voyage fait en Europe entre Berlin, Bratislava et l'Italie, emporte l'adhésion : ni tentatives maladroites d'inculturation musicale ni exercices de style gratuits, les morceaux sonnent simplement juste et moderne. Et jouent sur une palette de sonorités assez large pour faire oublier le total-look fanfare, de l'accordéon à la Tiersen ("Mount Wroclai") en passant par les cuivres mariachis et les incursions électroniques décalées (sur deux morceaux, "Scenic World" et "After the Curtain"). La réussite de l'entreprise dépasse donc de loin les appréhensions que le début de hype entourant son auteur laissait planer. Rassuré, je peux terminer mes macarons, abattre enfin l'affreux yorkshire qui salissait le tapis de mon salon Louis XV et reprendre la lecture de la biographie de l'Autrichienne. Non mais. (Popnews)
Attention chef d’œuvre ! Voici un des tous meilleurs disques de rock de 2006 et il ne contient pas la moindre note de guitare ! Après une sortie sur un micro label en mai, retour en fanfare chez 4AD de "Gulag Orkestar" accompagné d’un EP 5 titres dans le même style que l’album. (On y trouve même une version différente de Scenic World.) Dès les premières notes le décor est planté: fanfares, vocalises, percussions qui martèlent tels des battements de cœur, voici l’univers bien particulier de Zach Condon, jeune américain de tout juste 20 ans. Il nous livre ici sa vision personnelle du voyage, où les frontières n’existent pas, la musique est la langue universelle et où se mélangent harmonieusement les cultures populaires. Au fil des onze titres que comporte l’album, on fait un tour d’Europe avec quelques magnifiques escales en Allemagne (Brandenburg ou Prenzlauerberg), en Slovaquie (Bratislava), en Italie (Postcards from. Italy)… C’est beau, entêtant, les voix s’entremêlent dans une ritournelle sans fin. Sur le quatrième titre, la voix est enfin mise en valeur, n’agissant plus comme un instrument de la fanfare mais laissant voir des envolées lyriques dignes des plus grands. Zach Condon, c’est un peu Andrew Bird qui aurait troqué son violon contre une trompette et mis ses sifflements de côté.Si l’ensemble est superbe, il manque un peu de chaleur et peut finir par lasser. C’est pourquoi on accueille volontiers Scenic World, morceau court sensiblement différent du reste de l’album. Au final, "Gulag Orkestar" nous aura permis d’effectuer un beau voyage, nous laissant voir le monde d‘une autre, en gardant ce qu’il a de plus beau et en faisant ressurgir des souvenirs lointains. (indiepoprock)
Passé presque inaperçu au moment de sa sortie, au mois de mai dernier, Gulag Orkestar a bénéficié, via la toile, d’un excellent bouche-à-oreille et d’un succès croissant, au point d’attirer l’attention du label 4AD qui a pris sous son aile et ressorti récemment ce premier album de Beirut - agrémenté d’un EP de cinq titres. Derrière cet étonnant nom de groupe à consonance orientale, se dissimule Zach Condon, un américain de 20 ans adepte des trompettes, des fanfares balkaniques et des chœurs russes. De la ville libanaise demeure l’évocation de ruines, celles, intérieures, d’un jeune homme plutôt sombre qui s’est manifestement frotté plus d’une fois au désespoir. Chez Beirut, la fête a des airs de tragédie, les mots valsent d’une idée noire à l’autre, la mélancolie couve sous les cendres d’histoires trop vite terminées. Mais comme dans les chansons de marins, la vie a beau tanguer dangereusement, elle finit toujours par tenir, fièrement, son cap. Généreuse et excentrique, la voix de Condon, telle une houle, emporte tout sur son passage et bute parfois sur des masses orchestrales efficaces mais à la lourdeur imposante, qui auraient gagné de fait à être plus subtilement dessinées. Si l’énergie tourbillonnante et la fièvre mélodique qui se dégagent de Gulag Orkestar peuvent s’avérer enivrantes, l’adhésion qu’elles réclament n’est pas sans reposer sur une surcharge émotive (à ce titre la première partie de l’album est supérieure à la seconde, plus complaisante). Un péché de jeunesse qui ne saurait toutefois gommer les qualités indéniables d’écriture et de composition que ce premier disque prometteur laisse deviner. (pinkushion)
bisca
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le 13 mars 2022

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