Il existe des choses qui peuvent changer à jamais la vision de la réalité, du suggéré, de l'insensé, des rêveries. Je suis tombé nez-à-nez avec cet album d'Aghast dans cette période charnière où chaque jour de l'existence semble être fondateur : les influences visuelles, auditives, gustatives. Elles naissent là. Et cet album est tombé en plein dedans.

Ce projet a pris son essence dans le pays des fjords et du Black Metal. A l'origine, deux femmes de métalleux qui ont décidé d'établir un album basé sur le mythe de la sorcellerie et des croyances populaires qui en découlent. Ainsi démarra la périlleuse aventure de l'auditeur vers le monde d'Aghast.

"Enthrall" ouvre le bal à la manière d'un générique d'un film de la Hammer, présentant succinctement les protagonistes, sur le fond neigeux de la couverture de l'album. Les distorsions, similaires au vent, bousculent le générique pour annoncer "Sacrifice".
Ibant obscuri, sola sub nocte per umbram, comme dirait l'autre, à travers une dense forêt, où d'étranges incantations sont murmurées par le souffle répété du blizzard. Le deuxième titre dévisse nos repères pour nous égarer vers un asile peu rassurant. "Enter the Hall of Ice" se pressent comme une transition, cette longue observation des alentours, d'abord sur cette bâtisse en ruines, invisible au loin, d'une hauteur démesurée à quelques pas de distance, puis sur la clairière, illuminée soudainement par la pleine lune. Sans oublier cette incessante clameur, ces soupirs envoûtants, poussant à pénétrer la double-porte craquelée. La température, glaciale à l'extérieur, remonte doucement dans le hall d'entrée. Cela était sans compter le long couloir, dont la pénombre au loin présageait une inévitable rencontre avec le maître des lieux. "Call from the Grave" arrête brusquement la quête pour figer le regard sur un miroir, auquel une femme, vue de dos, les os saillants, coiffe inlassablement sa chevelure noire, se lamentant sur sa non-existence vis-à-vis du reste du "groupe de la maison". Ce chant déstabilisant s'estompe lorsque la lune, visible depuis le reflet du miroir, est masquée par un épais brouillard.

C'est là que le cauchemar débute.
Les sursauts délirants, les martèlements de rituels, les cris résonants au fond du couloir sont tétanisants. "Totentanz". Un interminable conflit entre la terreur et la curiosité malsaine afin de découvrir par quels sortilèges ces femmes poussent de tels hurlements. Tout à coup, une lueur se distingue. De très courte portée, celle-ci avale les derniers remparts de l'obscurité en un rien de temps. Un instant de plus et il n'aurait plus été possible de voir, ni entendre clairement.
Recroquevillée dans un alcôve, une autre voix féminine, plus érotique, se distingue au sous-sol. "The Darkest Desire" manifeste la marche prudente dans un escalier en colimaçon, où les murs suintent une forte odeur corporelle, une seconde écoulée équivaut à un pas vers l'inévitable démence provoquée par cette voix. Une volonté d'enserrer, de fusionner, d'engloutir ces fascinantes sonorités. Mais lorsque la chair est à la portée du toucher, au moment où la voix se porte à l'extase, nous trébuchons. D'horreur.
Son visage saisissant empêche nos yeux de fixer quoi que ce soit d'autre. Ce n'était pas humain, ni même de ce monde. Ce n'était plus cette magnifique voix, mais un fracas cacophonique, appelant à se soumettre devant l'immonde abomination.
Il faut fuir. Oublier ce lieu atroce. Échapper à leur mainmise. Résister à la tentation. "Das Irrlicht" traduit cette évasion du manoir vers la forêt, ensevelie par la brume, imperméable à toute source de lumière. Seul le volume des ricanements mesure la distance établie. La tourmente parait s'achever, pourtant les rictus reprennent d'intensité. Ils se rapprochent encore. Le vent accélère le rythme de ses bourrasques. La faim, la fatigue et la frayeur finissent par avoir raison de nous. La violente chute sur la neige nous replonge dans le noir total. Les rires se dissipent, mais d'autres sonorités se meuvent dangereusement à notre portée. Même dans l'obscurité, on ressent leur arrivée victorieuse vers nous.
Ainsi cloue "Ende" cet effroyable spectacle.

Si vous êtes à la recherche d'expériences enrichissantes, cet album est fait pour vous. Quelle que soit l'approche effectuée, il subsistera une émotion dominante à travers l'histoire proposée par le projet Aghast. Une telle angoisse, délicieusement appréciable, à diffuser à tout amateur de sensations fortes.
Slade
10
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le 24 mai 2012

Critique lue 544 fois

6 j'aime

Slade

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