Cela fait plusieurs années que j'ai pris mes distances avec Morrissey. Et cette mise en retrait ne résulte pas de ses interviews qui chagrinent bon nombre de mes amis. Car Morrissey n'a pas véritablement changé au cours des dernières décennies. Il n'est toujours pas raciste, mais ses engagements (féministe et végétarien) exacerbés le poussent à combattre le "patriarcat" et l'abattage rituel cruel là où ils se trouvent, et ils se trouvent aussi en dehors de la civilisation anglaise occidentale.


Dès lors toute critique y devient risquée, car la suspicion de racisme aspire tout contexte, comme un vortex médiatique incontrôlable. Le racisme est partout tout le temps. Il est chez Griezmann déguisé en Harlem Globe trotter qui doit faire des excuses publiques pour un simple hommage maladroit, il est dans un album de Tintin paru il y a 50 ans ou dans une imitation d'accent chinois fournie par des comiques sans talent. Il est même dans un hommage sincère à un auteur qu'il apprécie. Faut-il être idiote au dernier degré pour écrire un article pareil... On y sent une forme de délectation, le goût de la dénonciation du dérapage. "We are all called racist now, and the word is actually meaningless". On ne saurait lui donner tort... Même les vannes sur le niveau d'anglais de Sadik Khan sont racistes. Les Inrocks avaient plus le sens de l'humour quand le Moz promettait la peine de mort à une femme.


Le "problématique" Moz s'est donc mis la moitié de la planète à dos, l'industrie Halal, les chinois, et même les canadiens. Mais le plus grave, c'est qu'il commence à faire perdre patience à ses fans les plus illustres.


Si j'ai donc pris mes distances avec lui, c'est bien en raison de sa musique. De son manque d'inspiration, de son tiède renouvellement qui puise le plus souvent dans le mauvais goût et dont le principal responsable serait son penchant pour les collaborations hasardeuses (recours au producteur de Blink machin truc et des musiciens flirtant avec l'amateurisme, sollicités pour d'insondables raisons etc...).


En bon adorateur d'Oscar Wilde, il ne s'est jamais privé d'adresser des coups de canifs aux collègues moins élégants. Je serais en droit de déplorer avec la même superficialité assumée que son allure s'apparente de plus en plus à un compromis intenable entre Liberace et Philippe Lucas, et qu'elle pousse à montrer plus discrète que jamais mon affection pour le chanteur des Smiths.


I know you couldn't last


Les disques se suivent à une cadence élevée depuis son grand come-back de 2006, et ils se succèdent à la façon de poupées russes. Chaque album étant plus étriqué et moins majestueux que le précédent. De You are the Quarry à Low in high school, en passant par l'album de reprises California son et des compilations de face B et autres best of (dont il avait pourtant horreur dans Paint a vulgar picture), les morceaux moyens qui s'apparentent à du remplissage pullulent. Lui qui jadis était incapable d'en aligner même pour farcir à la va-vite un single. La cause Moz semblait définitivement enterrée. L'annonce de ce nouvel album accompagné du single "Bobby don't you think they now", un duo très discutable avec une chanteuse manifestement prise de Tina Turnerite aiguë n'augurait rien de bon.


Et puis... un peu par hasard, à la faveur d'une écoute sur Youtube de What kind of people live in these houses, une forme d'optimisme fou point. Oui, c'est du bon Morrissey, celui que j'ai perdu de vue il y a 20 piges. Celui des petites pop songs présentes sur Bona Drag ou Viva hate, au son de guitare claire, et au phrasé impeccable. Celui retrouvé de manière trop courte avec cette chute de studio tombée du ciel et qui donne des regrets quant à sa gestion des 20 dernières années.


Deuxième agréable surprise, le sobre et orageux, I am not a dog on a chain qui aurait eu sa place sur Kill Uncle, offrant une menace planante inspirée certainement par ses dernières passes d'armes avec un médiocre plumitif du Guardian. Lui qui expliquait à l'époque des Smiths que l'on pouvait dire des choses très violentes avec une extrême douceur, renoue avec les petites vacheries chuchotées.



I am not a dog on a chain
I use my own brain
I do not read newspapers
They are troublemakers
Listen out for what's not shown to you
And there you'll find the truth
For in a civilized and careful way
They'll sculpture all your views



Là encore rien de nouveau quand on connait ses rapports avec la presse depuis ses débuts. Le reste de l'album est certes moins fastueux, mais il traduit un retour vers un univers plus ou moins familier. Un son des années 80 même si ce ne sont pas les siennes (the Knockabout world, Once i saw the river clean).


Still ill


Rares sont les trompettes de mariachis trop présentes sur les albums précédents mais y en a quand même un peu (Darling i hug a pillow). Bien sûr on ne saurait parler d'album de la guérison. La production de Jim Jim Falls fait vraiment tiquer (cette intro affreuse), car le morceau et ce refrain méritait bien mieux et Love is on it's way out, le pire titre du lot rappelle que les derniers albums ont laissé des traces.


Mention au spéciale au Secret of music dont je ne sais pas trop quoi penser. Oui Morrissey s'égare peut-être sur sur ce tempo lugubre qui sonne comme du Peter Gabriel, mais il tente autre chose qu'un folklore latin pour plaire à ses réseaux mexicains ou des exercices de pompes comme sur Years of refusal.


On est pas devant un second adieu à la Vauxhall and I que j'appelle de mes vœux, mais Morrissey amorce un timide retour à la maison. Seraient-ce les tensions en Angleterre autour du Brexit ? les conflits ouverts avec les médias et une jeunesse assoiffée de respect qu'il prend un malin plaisir à asticoter ? Il semble en verve, réveillé et prêt à mordre au moins sur deux morceaux. C'est peu, mais infiniment plus que ses 4 derniers efforts. L'occasion d'imprimer une autorisation de sortie et de faire faire le tour du pâté de maison avec l'album.

Negreanu
6
Écrit par

Créée

le 28 mars 2020

Critique lue 432 fois

4 j'aime

4 commentaires

Negreanu

Écrit par

Critique lue 432 fois

4
4

D'autres avis sur I Am Not a Dog on a Chain

I Am Not a Dog on a Chain
Negreanu
6

Brexité comme une bête

Cela fait plusieurs années que j'ai pris mes distances avec Morrissey. Et cette mise en retrait ne résulte pas de ses interviews qui chagrinent bon nombre de mes amis. Car Morrissey n'a pas...

le 28 mars 2020

4 j'aime

4

I Am Not a Dog on a Chain
newsandpop
7

L'album le plus audacieux et aventureux de Morrissey

Morissey vient de sortir son 13e album studio solo, « I’m not a Dog on a Chain ». C’est le troisième album à pâraître sur le label BMG après l’album de reprise de l’année dernière « California Son »,...

le 21 mars 2020

1 j'aime

I Am Not a Dog on a Chain
PhilippeAllegre
6

j'avais oublié

Je mets ce nouvel album et bordel, me reviens que j'avais critiqué son album précédent auquel j'avais mis 1, ce qui est très rare pour moi. Donc une boule au ventre arriva mais que nenni même si ca...

le 20 mars 2020

1 j'aime

2

Du même critique

The White Lotus
Negreanu
7

The tanned

Saison 1 :Voilà une série qui n'a pas fait grand bruit à sa sortie et qui est pourtant riche d'une écriture assez unique. En cette période de disette, où toutes les séries sont standardisées,...

le 14 déc. 2022

36 j'aime

3

The Outsider
Negreanu
4

Et si The Outsider était la nouvelle arme des américains pour faire chier nos jeunes ?

Un meurtre d'enfant aussi sauvage que sordide, des preuves accablantes qui incriminent contre toute attente un citoyen respectable d'une paisible bourgade (elles le sont toutes là plupart du temps...

le 10 mars 2020

29 j'aime

6

Mort à 2020
Negreanu
2

Death to "Death to 2020".

Charlie Brooker n'y est plus. Les deux dernières saisons de Black Mirror le laissaient présager, mais son faux docu sur 2020 pour Netflix est le plus souvent consternant et confirme la mauvaise passe...

le 6 janv. 2021

25 j'aime

10