King
7.1
King

Album de T.I. (2006)

En ce début de nouveau millénaire New York est encore plus que jamais prise dans des querelles incessantes entre rappeurs pour déterminer qui est le plus légitime au titre et au trône de Roi de la ville. Devenu plus violent et encore plus axé sur la réputation depuis la moitié des '90s, le rap de la Grosse Pomme entre péniblement dans cette nouvelle époque et ne semble pas prêt pour les changements que celle-ci implique. Du moins surtout pour les cadors, encore certainement pris dans les pensées de leur début et gênés par cette nouvelle garde qui commence doucement à faire parler d'elle. Il leur faut montrer les dents, montrer qu'ils doivent encore être pris au sérieux, quitte à ce que cela tourne au ridicule.

Pas étonnant alors que Jay-Z et Nas, les deux grandes gloires et espoirs du milieu des 90s, auteurs tous deux de classiques indiscutables, commencent en 2001 un beef qui durera bien des années supplémentaires. Ne faisant que créer une sorte de brouhaha au sein de la scène de la ville entière, creusant un peu plus cette impression de perte de vitesse de sa part. A l'Ouest rien de nouveau non plus, et leur situation montre qu'il n'y a pas que du côté du Queens ou de Brooklyn qu'il y a de l'eau dans le gaz. Si les Californiens peuvent encore compter sur des noms connus, il en reste que le son et le style qui faisaient leur particularité durant les '90s commencent lentement à s'estomper. Dre est occupé à compter ses millions de dollars grâce à un blondinet de Detroit et à s'occuper d'un rappeur du Queens bodybuildé, et même Snoop Dogg est allé voir si l'herbe était plus verte du côté du Sud en signant avec Master P sur son label No Limit Records.

Le 25 avril 2006, King, le quatrième album de Clifford Joseph Harris, Jr. au civil et T.I. sur scène est certifié platine par la RIAA, tout juste un mois après sa sortie. Alors que celui-ci se soit vendu à plus de 522 000 copies en une semaine aux Etats Unis, et contenait deux singles ayant atteint les plus hautes marches et distinctions des Tops en tout genre. Ce succès ne fait que renforcer l'influence du Sud et surtout d'Atlanta, mégalopole devenue le nouvel épicentre du hip-hop mondial. Passé la moitié de la première décennie des '00s, le rap sudiste qu'il vienne de Lousianne, Miami, de la Nouvelle-Orléans ou encore de Memphis occupe près de 50-60 % des titres dans les charts et repréente l'équivalent sur les ondes du pays entier. Avec des artistes célèbres comme OutKast, Lil Wayne, Ludacris ou Young Jeezy, le Sud domine totalement les débats et ne laisse que des miettes à ses concurrents des deux Côtes, sonnés et incapables de réagir à ce qui ressemble à un mauvais lendemain de soirée.

Tous les artistes en dehors du territoire sudiste semblent ne pas avoir vu le coup arrivé et tentent tant bien que mal de se relever sans trop de dommages. Un homme savoure alors chaque seconde de ce moment avec un air satisfait et un sourire à peine masqué sous le soleil écrasant d'Atlanta. Clifford Harris, alors âgé de 26 ans y a toujours cru, au plus profond de lui, tel un mantra qu'il devait se dire à lui-même tous les matins devant sa glace ; un jour il sera reconnu de tous et son statut de King of the South sera alors indiscutable. Son quatrième album sorti et reconnu unaniment par la critique et le public fut la dernière étape à franchir pour prétendre au Graal. Après avoir commencé en disant qu' "il était sérieux" (I'm Serious) en 2001, mis en avant fièrement la "Trap Musik" deux ans plus tard et s'être autoproclamé "légende urbaine" en 2004, T.I. finit son ascension en se proclamant "Roi" et clôt une ascension qui au final paraît plus que naturelle.

Fait surprenant, King n'a pas été immédiatement la finalité visée par l'artiste lors des enregistrements et jours passés en studio qui ont duré de début 2005 à moitié 2006. Après les succès de ses deux précédents albums, Trap Musik et Urban Legend, T.I. décide de se consacrer à un projet qui lui tient particulièrement à coeur, histoire de laisser de côté quelque temps le rap. Le clippeur Chris Robinson prend alors contact avec le rappeur et le projet de réaliser un film ensemble ne met pas longtemps à le convaincre. Le film qui s'intitule sobrement "ATL" est un drame basé sur une histoire originale d'Antwone Fisher et basée librement sur la vie des deux producteurs du film Dallas Austin et Tionne "T-Boz'' Watkins (un des trois membres du groupe R'N'B TLC).

Le film suit Clifford incarnant le personnage principal nommé Rashad, entouré de ses amis dans leur dernière année de lycée, moment charnière dans le passage à l'âge adulte. Film entièrement produit par son réalisateur et la majorité de son casting, ATL a pu obtenir la participation de nombreux guests comme Big Boi d'OutKast, Killer Mike ou encore Jazze Pha. Plus écarté du véritable passé du personnage principal joué par un rappeur célèbre, ATL n'est pas à comparer à "8 Mile" ou "Get Rich or Die Tryin'', même s'il aborde certains aspects que le rappeur a connu comme la drogue et les problèmes judiciaires. Troisième plus grand début sur le territoire dans les salles obscures en un week-end, les nombres de places pour ATL ne cesseront de descendre de semaines en semaines, mais le film réussira tout de même à rentabiliser son budget, avec un petit bénéfice même à la clé.

Pour encore plus apporter sa pierre à l'édifice, T.I. décide lui-même de s'occuper de la BO du film. Voilà pourquoi il entre en studio initialement et se retrouve avec plus de cent titres sur les bras d'après ses dires en interviews, et ne sachant plus vraiment où donner de la tête. Quand soudain l'idée d'utiliser ces titres comme d'un véritable album lui vient à l'esprit. Le tri est alors fait, la technique retravaillée, repeaufinée, pour au final donner vie à King. Le génie ou l'opportunisme c'est selon de Clifford sera de se sevir de la promotion du film pour mettre en avant que les titres qui seront à présent lancés sur les ondes seront ceux présents sur son prochain album. Le succès du film en est alors sûrement pour quelque chose dans cette mise en avant du prochain essai du rappeur d'Atlanta. Ce qui signifie que King a d'abord été pensé comme bande originale d'un film se basant sur Atlanta, sur des personnages de cette même capitale, vivant des faits inspirés de véritables personnages d'ATL et composé par un natif de la ville. Cet album n'est alors pas qu'un album du Sud, il est son essence la plus forte, sa chair et sa réalité au sens le plus fort du terme, résultat d'un amour, d'une fidélité et d'une histoire qui durent déjà depuis longtemps.

King est tout ça à la fois, et c'est ce qui le rend si éclatant et puissant, mené par un T.I. alors prêt à donner le meilleur de lui-même. Aux vues de la tracklist et des invités, pas étonnant que son quatrième album ait si bien marché, tant il regroupe tous les ingrédients pour marcher sur la concurrence tel un blockbuster musical. Rien que la liste des producteurs fait penser à une vraie dream-team, sachant allier producteurs locaux ; Mannie Fresh, DJ Toomp, et nouveaux venus ; The Neptunes, Travis Barker ou encore Just Bla(aaaaaa)ze. Du côté des featurings, chaque invité tient sa place parfaitement et sert habilement le morceau sur lequel il vient porter main forte, suivant la même règle que pour la production qui suit tantôt une voie pûrement sudiste et trapiste, tantôt s'écartant des carcans du Sud.

Après avoir commencé son album sur une prophétie qui laisse sa place à des cuivres de plus en plus imposants et à des notes de piano samplées de "Sting of the serpent" de Ray Davies par Just Blaze sur le modeste "King back'', T.I. s'entoure de deux légendes du Sud et marque immédiatement son appartenance et assoit sa réputation, comme adoubé. Les cadors n'étant personne d'autre que Pimp C et Bun B du duo UGK, qui, cerise sur le gâteau offre à Clifford la possibilité de refaire à sa sauce leur tube "Front back side to side". Avec ses notes de flûte et sa basse omniprésente, "I'm straight" permet au contraire à T.I. de rapper avec des jeunes artistes locaux comme lui, comme Young Jeezy et BG là où "Undertaker" est plus direct et menaçant sur une prod de Kevin "Khao" Cates où se mêlent synthés gluants et orgues enivrants au refrain bordélique avec Young Buck et Young Dro.

D'autres titres solo ne manquent pas de rappeler cette appartenance au style du Sud. "Ride wit me" est un pur morceau trap avec ses bass et son synthé entraînant et son groove indéniable, agrémenté de cuivres juste ce qu'il faut. "Top back" augmente les bass et les rend plus indispensables et le flow malléable et appliqué de T.I. se frotte très bien aux pianos et au refrain fait pour être repris en chœur en concert.

Les cuivres sont très présents sur l'album et certains titres sont d'ailleurs travaillés de telle manière à donner un aspect spectaculaire et puissant. Rien que "You know who" débute comme une entrée d'un combat de boxe pour continuer sur des notes de tuba et une batterie puissante de Travis Barker, donnant un aspect menaçant au titre, jusque dans la voix de T.I. plus grave et appuyée que d'habitude. Là où "Told you so" est plus lent, avec ses violons qui donnent la réponse à des saxophones plus lents, donnant l'impression que T.I. marche au ralenti tout en rappant à ses adversaires pourquoi il est meilleur qu'eux. Alors que "Stand up guy" donne plus dans le groove et le club banger avec toujours les cuivres pour assurer l'entrée triomphale.

Si King permet à son auteur de prouver qu'il est un sérieux représentant du son de sa ville et de sa région, il prouve qu'il a plusieurs flèches à son arc et qu'il est capable de surfer sur d'autres tendances et de coller à d'autres ambiances. Avec un côté plus pop et R'N'B que ses précédesseurs, l'album arrive à proposer des titres différents sans que ceux-ci ne paraissant être un rajout opportuniste, au contraire, ils permettent une écoute posée et hétéroclite. Troisième single de l'album, "Live in the sky" est un titre hommage entre le R'N'B et le gospel à des proches décédés du rappeur sur des belles notes de piano très sobrement accompagnées par Jamie Foxx. Produit par The Neptunes, et avec Pharrell Williams au refrain, "Goodlife" n'est pas aussi léger qu'il en a l'air et permet à T.I. de varier son flow et surtout de ne pas être ridicule face à Common, qui réchauffe encore plus le morceau et ses pianos de sa voix chaude. Ces morceaux plus grand public ne font aucun mal à l'album et T.I. passe même haut la main l'exercice, ce qui se vérifiera avec Justin Timberlake sur "My love" peu de temps après. Même quand il verse dans le R'N'B complet avec "Hello'' et la collaboration de Governor et sa voix de jeune crooner.

Les meilleurs exemples restent les deux singles principaux de l'album, représentant à eux deux les voies empruntées par Harris dans son album. Toujours dans cette veine d'une ouverture à un plus grand public tout en glissant vers une ambiance plus pop, "Why you wanna" est certainement ce que T.I. a fait de mieux. Basé sur des samples de "Got 'til it's gone" de Janet Jackson et de "Gypsy woman (she's homeless)" de Crystal Waters et toujours produit par Kevin "Khao" Cates, le titre est un pur tube qui propulsera T.I. définitivement sur les ondes des radios du monde entier. Le morceau affirme son image de mauvais garçon qui réussit à ouvrir son coeur le temps d'un morceau, et dont le ton rêche et rugueux de son flow marche très bien sur ce type d'instru.

Mais King ne serait pas ce qu'il est sans ce premier single officiel grâce à qui son auteur a obtenu le Grammy de la Best Rap Solo Performance. Construit autour d'un sample de "Gone away" de Roberta Flack, "What you know" est ambitieux, surpuissant et tubesque. C'est le titre qu'il manquait à T.I. pour assouvrir son entrée dans la cour des grands et commencer son règne. Résultat d'un travail superbe d'un DJ Toomp intouchable, "What you know" envoie le rappeur dans la galaxie avec ces synthés imposants et épiques, certains semblables à des voix et montre pourquoi en cette année 2006 T.I. marchait sur l'eau tellement il semblait au dessus du lot. Jamais le rappeur ne paraîtra aussi sûr de lui que sur ce titre, véritable bijou de sa discographie déjà bien remplie de tubes. Quand il scande le titre du morceau dans le refrain, il n'a plus que jamais la carrure d'un leader pour un Sud alors en pleine ascension. DJ Toomp qui signe d'ailleurs le très bon "Bankhead" qui clot l'album et qui permet à P$C de rapper au côté de leur leader à propos de leur ville et surtout de ce quartier d'où ils viennent.

Tout règne a malheureusement une fin et la chute ne sera que plus dure pour l'auto-proclamé "King of the South". Après un album suivant moyen au concept pourtant intéressant -le jeu sur une double personnalité- sur T.I. vs T.I.P. en 2007, et toujours empêtré dans des problèmes judiciaires qui lui ont valu de nombreux allers retours en prison, Cliffor Harris a vu d'autres prétendants au trône du Sud en prendre le contrôle. Chacun de ses come back fut entâché de soucis avec la justice faisant de lui un artiste maudit et à l'ascension gâchée. Après avoir réussi à devenir le Roi, T.I. n'a sans doute pas su faire la différence entre fiction et réalité, trop obnubilé par un temps où il régnait sur Atlanta, celle pour qui il doit tant. Le Roi est mort, vive le Roi.
Stijl

Écrit par

Critique lue 618 fois

11

D'autres avis sur King

King
strasscat
8

Critique de King par strasscat

juste pour "What you know" meme si le reste de l'album est tres bon aussi

le 25 janv. 2012

Du même critique

All Eyez on Me
Stijl
8

Westside story

La sortie de All Eyez On Me le 13 février 1996 est le fruit de la réunion de deux personnes qui auraient mieux fait de ne jamais se rencontrer. Pourtant, ce n'est pas comme si l'album avait marqué...

le 8 sept. 2013

92 j'aime

14

The Low End Theory
Stijl
10

The Loud Bass Theory

Il y a des signes qui ne trompent pas. Ou du moins qui vous convainquent immédiatement de la direction prise par les artistes d'un projet à l'autre. Pour le difficile passage au deuxième album, A...

le 26 juil. 2013

71 j'aime

17

The College Dropout
Stijl
9

De fil en aiguilles

Immense succès commercial, critique et riche en récompenses, The College Dropout de Kanye West est le fruit de plusieurs années de labeur. Le résultat d'un parcours artistique semé d'embûches pour...

le 24 juil. 2014

57 j'aime

10