Metals
7.2
Metals

Album de Feist (2011)

Etrange et paradoxale Feist, toujours à mi-chemin entre l'insaisissable et le consensuel. La Canadienne a toujours affirmé - et pourquoi ne pas la croire ? - être en dehors des modes, ignorer tout du goût du public, travailler dans sa bulle, à l'instinct. Et pourtant Metals, à l'instar de son prédécesseur au phénoménal succès mondial, The Reminder, aurait tout du disque calibré pour plaire à la majorité. De ses chansons pop à la production sophistiquée qui font le bonheur des pubs Apple ou autres (comme 1234 la dernière fois) à ses plaintes épurées et délicatement sauvages, Leslie Feist incarnerait donc, malgré elle, l'air du temps : celui de l'émotion savamment emballée, qui touche sans réellement bouleverser. Si le radical Dry, de P.J. Harvey changea autrefois la vie de l'ex-punkette, pas question pour elle de déranger. Feist ne cherche qu'à séduire. Libre à nous d'être charmé ou agacé. Ou les deux, en alternance. Car c'est bien l'effet contradictoire que produit l'écoute de Metals. En démarrant par la première plage, The Bad in each other, avec son ambiance de Portishead variété, on peut se croire en présence de ces élégantes boucles musicales au parfum pop, soul, jazz qui hantent les lounge bars et les grands magasins. Dommage. Car on passe à côté des vraies réussites du disque, ces chansons qui rappellent la Feist troublante des débuts, la précieuse ovni post-folk au timbre cristallin et fragile et aux envoûtantes mélodies : le somptueux Graveyard, le « kate bushien » Caught in a long wind, l'acoustique et aérien Cicadas and Gulls notamment. Sans oublier le trompeur Comfort me, qui part en douceur pour monter en intensité avec son obsédant choeur de « nanananana ». Ailleurs, malheureusement, les arrangements jouent sur les ruptures et le saccadé, ou flirtent avec le jazzy sans que rien n'agrippe ni ne prenne aux tripes.(HC)


Cher Robert, le Horn a été arrondi le 5 février et nous sommes le 18 mars. Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme." Nous sommes en 1969. A l’aide d’un lance-pierre – il avait refusé d’emporter un émetteur radio à bord –, Bernard Moitessier lance ce message terrible et dérisoire au capitaine d’un navire de passage, à destination de son éditeur et de sa famille. A une époque d’embarcations approximatives et sans technologie, le navigateur français avait entamé huit mois auparavant une aventure folle : le Golden Globe Challenge, course autour du monde par les trois caps, en solitaire et sans escale, qu’un seul des neuf partants bouclera finalement. Huit mois de solitude absolue, mystique, métaphysique, d’introspection et de recherche de sa propre vérité. Une éternité durant laquelle, devenu sauvage au monde, Moitessier a fini par s’effrayer d’un retour à la civilisation. Au moment de remonter l’Atlantique en probable vainqueur vers Plymouth, il a bifurqué et est reparti, rêveur et seul, pour un second tour du monde finalement achevé à Tahiti. Que vient faire le navigateur dans un article sur Feist ? Tout, en fait. La Canadienne a lu Moitessier et son admirable récit, La Longue Route. Presque plus que de son album, elle parle longuement, passionnément, des déferlantes et des grands vents, des embruns atlantiques et des soleils indiens plein les yeux : le “Vagabond des mers du Sud” a été une influence majeure, une inspiration de vie. Feist a lu Moitessier. Mieux, elle a été Moitessier. Mondialement connue, célébrée, adorée, starisée, brinquebalée en tous sens après son album The Reminder et son tube en platine 1234, mis en orbite par une pub Apple, elle a également choisi, en haut de la vague, de prendre la tangente pour s’extraire du domaine public : comme le marin, l’ancienne punk et indomptable forte tête a esquivé la foule pour retrouver sa vérité dans une retraite solitaire et silencieuse. “Au moment où tout ce qui se passait à l’extérieur a pris le pas sur ce qui se passait en moi, mon instinct s’est réveillé pour me faire comprendre que ce n’était pas sain. Après Let It Die puis The Reminder, après des années d’activité sans interruption, j’étais littéralement vidée. Mes sens étaient stériles, je perdais ma curiosité, je n’avais plus de carburant physique, émotionnel ou musical, je me sentais au bout de quelque chose. J’étais passée de petites salles à des salles de 5 000 personnes : je portais le deuil de l’intimité que j’avais longtemps connue dans ma musique. Je me sentais un peu moins présente lors de mes concerts, je commençais à avoir l’impression de faire des photocopies de photocopies de photocopies. J’ai clairement tracé une ligne, décidé d’une date après laquelle j’arrêterais de tourner. Je ne voulais pas vivre dans un tableau Excel. Je voulais être libre de faire ce que je voulais de mon temps et de l’espace, être libre d’aller où je le désirais et quand, être libre d’être totalement immobile aussi.”Immobile, secrète, improductive malgré quelques apparitions ou collaborations pour rendre service, Feist l’a été. Elle est rentrée chez elle, à Toronto, retrouvant sa petite maison, son jardin, son calme, le thé l’après-midi, sa famille, rien si elle le voulait. Le label était prévenu : la Canadienne prenait une année sabbatique. Sauf que. “Il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer à nouveau à ce style de vie. J’ai dû réapprendre comment passer une journée. Que fais-tu quand tu es complètement libre, que tu n’as aucune obligation ? J’ai connu quelques réveils un peu paniqués… Au bout d’un an, je me suis rendu compte que j’avais encore besoin de temps, que j’avais à peine réappris à profiter. J’ai donc dit à tout le monde que je prenais une deuxième année. Et là, j’ai soudain eu l’impression que les gens avaient disparu. Je me sentais enfin seule, j’avais l’impression de pouvoir m’échapper, de me glisser hors du cadre. Ça collait enfin parfaitement à mon état d’esprit : j’avais besoin de ce sentiment de fuite, de discrétion, d’être la plus silencieuse possible. Les choses ont alors commencé à revenir.” Et les chansons à s’écrire, la brise à nouveau favorable à l’inspiration. A Toronto, elle s’est enfermée dans un cabanon de jardin où sa mère la retrouvait souvent, enfant, “cachée et endormie dans un placard”. Elle l’a converti en home studio de bric et de broc. Elle partira ensuite enregistrer dans la proche forêt ontarienne, avant de revenir au studio La Frette, aux portes de Paris, où était déjà né The Reminder. Toujours seule, avec les moyens du bord, en retrouvant le plaisir charnel de la guitare, en arrangeant les demos “à la bouche” avant de les faire écouter à ses deux camarades de toujours, Mocky et Gonzales. Ces fidèles seront appelés en renfort pour mettre le tout en forme ; le percussionniste Dean Stone et le claviériste Brian LeBarton venus ensuite apporter leur air frais à cette vieille famille. Des premières esquisses, une certitude ressort : il y a eu un 1234, il n’y aura pas de 1234 n° 2, le retour. Tant pis pour ceux qui n’attendent plus de Feist qu’une série de hits, tant pis pour ceux qui appellent ça un “suicide commercial”, tant mieux pour ceux qui espéraient un bel album un peu baba, en marge des obligations sonnantes et trébuchantes. “Inconsciemment, je voulais qu’il n’y ait pas de single, que les chansons soient intimement liées les unes aux autres, qu’elles aient une forme d’esprit de fraternité, qu’elles se répondent. 1234 n’a pas fait un bon boulot en tant que représentant d’un album complet. Qu’une chanson sorte ainsi du lot n’a aucun sens pour moi : comme les chapitres d’un même roman, si on en enlève un, le reste ne signifie plus rien. Je ne regrette pas cette période mais je ne voulais pas alimenter ce feu, je préfère le voir s’éteindre tranquillement, en allumer un autre, avec des flammes et un carburant différents.” Un air différent, aussi : celui de Big Sur, bout de fin de terre jeté dans le Pacifique californien, terre quasi vierge et sauvage, devenue mythe littéraire (“Avec chacun de leurs romans, Miller ou Steinbeck y ont enregistré l’équivalent de cinquante albums”) et choisie pour l’enregistrement. En pleine nature, entre les houles océaniques, les vents continentaux, les champs de ronces et les quelques excentriques qui peuplent ce bout de côte escarpée, la troupe a monté un studio temporaire où elle a enregistré Metals, en live et en deux semaines à peine.“Quand j’écrivais dans mon petit univers, caché du monde, je savais qu’enregistrer à Paris, par exemple, n’aurait pas de sens. J’avais besoin d’un endroit qui me soit inconnu. Les chansons ont choisi cet endroit : elles avaient leur propre humeur, qui m’ont menée vers la Californie, et la Californie m’a menée vers Big Sur. C’est un lieu incroyable, presque anormal. On blaguait souvent sur nos ‘transports en commun’ quotidiens : entre la maison où l’on dormait et la grange où l’on enregistrait, on devait marcher sur le chemin que prenaient les vaches, au bord d’une falaise à pic. L’océan était en bas mais il fallait marcher quarantecinq minutes pour l’atteindre, on ne l’entendait même pas des hauteurs où nous nous tenions. C’était la première fois de ma vie que je pouvais regarder l’horizon sur l’océan sans entendre ses vagues et son fracas : je voyais plus loin que je n’avais jamais vu, tout était silencieux, c’était assez mystérieux, surréaliste. L’esprit de Moitessier n’était jamais loin. Il y a quelque chose de très graphique à Big Sur, cette ligne entre terre et mer. Il y a un continent entier derrière, l’océan Pacifique devant, et tu te tiens précisément entre les deux.” Précisément aussi où se tient Metals, long en bouche, d’une grande majesté et très ambivalent. Car le son d’apparence lissée cache des échardes venimeuses, les lumières des obscurités abyssales. Naturel, organique, folk, garanti 100 % bio, c’est un disque de pleine nature : une bande de copains jouant avec plaisir autour du feu, loin des canons FM, qui se racontent des histoires et refont un monde avec de la glaise, des branchages, un peu de sueur, beaucoup d’idées et autant de coeur. Mais Metals est aussi un disque continental et moderne, discrètement scientifique, très américain : cousin assagi du Age of Adz de Sufjan Stevens, presque frère du The Greatest de Cat Power, pas loin de Bon Iver, Bonnie Prince Billy ou Low, il lie dans un dialogue permanent le classique et le moderne, le jazz et la pop, la (fr)agilité élastique de la voix de Feist et des arrangements cordés ou cuivrés, amples ou ténus, logiques ou plus tarés. “J’ai toujours aimé la nuit, il y a des tas de choses dedans qui parlent, qui chantent ou qui racontent”, a écrit l’idéaliste hippie Moitessier. Crépusculaire et phosphorescent à la fois, Metals, décrit par son auteur comme une “oeuvre d’égoïsme”, est aussi cela : un album de nuit, qui s’écoute entre la peur du noir et la joie de la lune. A celui qui sait les entendre, il conte une infinité d’histoires. (inrocks)

Dieu que cette fille doit être énervante pour la concurrence ! Depuis qu’on la découvrit avec le phénoménal Mushaboom et l’inusable Let It Die, respectivement son premier single et deuxième album parus en 2004, la Canadienne Leslie Feist n’a pas commis le moindre faux pas, sa participation à Broken Social Scene et ses duos avec, excusez du peu, Dani, Hypnolove, Teki Latex, Jane Birkin, Rubies, Wilco, Kings Of Convenience ou encore Grizzly Bear. Avec le magistral The Reminder (2007), c’est à nos oreilles ébaubies que la jolie brune confia ses plus belles chansons, acclamées dans le monde entier. Toujours entourée de ses acolytes Chilly Gonzales, Mocky et Renaud Letang, auxquels s’ajoute l’Islandais Valgeir Sigurðsson (producteur pour Björk, Múm ou Bonnie 'Prince' Billy), Feist se rappelle aujourd’hui à notre bon souvenir avec Metals, quelques mois à peine après l’instructif documentaire Look At What The Light Did Now (2010). Sans chercher à feindre un quelconque détachement, c’est instinctivement que l’on s’approprie, dès la première écoute, ces douze titres intimistes, interprétées avec une voix plus profonde et ouatée que jamais. Plus qu’aux cerveaux, Feist a un véritable don pour s’adresser à nos sens. Fruit de sa première véritable pause depuis ses débuts, cet album, composé en trois mois dans son garage, allie à l’intimité des textes des arrangements d’une inventivité insensée. Passant des percussions endiablées de The Bad In Each Other à la douceur grave de Graveyard, de la délicatesse acoustique de Caught A Long Wind – un des sommets de Metals – aux classiques pop instantanés que sont How Come You Never Go There et A Commotion, là tout n’est que beauté, luxe, calme et volupté. À l’instar de L’invitation Au Voyage de Baudelaire – Metals a vu le jour à Big Sur, sur la côte californienne –, la chanteuse témoigne d’un supplément d’âme qui fait toute la différence… Manifestement inspirés par la beauté du cadre, Chilly Gonzales, Mocky, Dean Stone aux percussions et Brian LeBarton aux claviers sont parvenus à retranscrire l’émotion de pièces délicates telles que Get It Wrong, Get It Right ou The Circle Married The Line en y ajoutant une force de groupe saisissante. Avec Bittersweet Melodies et surtout Undiscovered First et Comfort Me, attrape-cœurs parfait, elle installe une proximité peu commune. Combien d’artistes se damneraient pour interpréter des chansons de la trempe de Cicadas And Gulls ? Feist, elle, en aligne douze en moins de temps qu’il n’en faut à PJ Harvey pour trouver l’instrument qui régira son prochain effort. Assurément, ces métaux-là sont des plus précieux. (magic)
Comment la nouvelle pythie post-folk indie allait-elle négocier le délicat virage post The Reminder, l'album qui l'a consacrée en 2007. Et, surtout, quelle forme allait-elle lui donner? Comment avait-elle digéré sa propulsion sur la scène grand public, via sa chanson 1.2.3.4. vampirisée par Apple pour illustrer une de ses pubs? Quelle couleur aurait le cuir de la Canadienne de 35 ans, à qui l'ombre allait si bien, après tant d'exposition dans la lumière? Dès les premières mesures de ce Metals de sortie, on a les réponses.Nul virage pop-folk FM, pas davantage de production bodybuildée: le quatrième album de Feist est ample, fin, aiguisé, précis. A l'image de son auteure qui a eu l'intelligence ou l'intuition – ou les deux – de savoir prendre le recul nécessaire pour coller au plus près de son ADN. Car ce Metals de sortie est un modèle de folk «moderne», lent comme il faut, (très bien) chanté, idéalement instrumenté (ni trop, ni trop peu) et sobrement arrangé par les fidèles Gonzales et Mocky (le Canadien electro cheap, pas notre Jean-Pierre national). L'histoire dit que, pour arriver à ce résultat emballant d'intimité, l'ex-punkette de Toronto, happée par la notoriété, a choisi d'aller écouter le silence dans une grange californienne, à Big Sur, au bord du Pacifique. Là même où John Steinbeck et Joan Baez ont, en leur temps, recherché eux aussi l'inspiration. «J'avais tellement eu de volume sonore autour de moi pendant quelques années que je n'avais plus vraiment envie d'écouter de la musique, raconte Leslie Feist avec douceur. Dans la période d'inactivité qui a suivi, j'ai fait l'éponge. Je me suis efforcée d'absorber autant d'énergie que j'en avais donné pendant sept ans. J'étais à l'arrêt, j'essayais d'apprendre à être tranquille et à me rappeler que le silence n'a rien d'agressif.» Et cela a fonctionné. «J'ai beaucoup apprécié le son des arbres, le son de la rue, le son des chiens qui aboient.»Après cette période de retraite quasi-monastique, la Canadienne s'est enfermée dans son garage l'automne dernier pour accoucher ces douze titres à l'écriture qu'elle qualifie de «lutte» qui l'a laissé «à terre, vidée de toute [sa] combativité». Un «cycle tout autant de dévastation que de guérison». Cela s'entend. Le résultat est apaisé, dense en diable, voire solennel, à l'extrême épure. Presque trop sage et sérieux. C'est même le seul reproche qu'on pourrait lui faire. Mais toute chose a le défaut de ses qualités. Ou l'inverse si l'on est gaucher. (libération)
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le 27 févr. 2022

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