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« En janvier 1966, une infection du foie m'a encore mis sur la touche jusqu'en mars. Puis je suis parti en tournée dans l'Ouest avec un groupe. Encore une fois, Ron Carter n'a pas pu venir, j'ai pris Richard Davis. J'ai beaucoup joué dans les universités, et j'ai trouvé ça moins éprouvant que les clubs. J'étais vraiment fatigué des clubs – de jouer toujours dans les mêmes endroits, de voir toujours les mêmes gens, de boire tout ce que je buvais. Mon infection du foie m'a fait arrêter plein de choses, mais pas tout. Pas encore du moins. On a joué au Festival de Jazz de Newport, puis j'ai fait « Miles Smiles » en novembre. On nous y entend passer à la vitesse supérieure, prendre nos aises. »


(Miles, l'autobiographie – Miles Davis & Quincy Troupe – p.417-418)


Miles sourit.
Il y a de quoi.


Avec cette nouvelle formation (1), les barrières semblent affranchies, le jazz se colore de nouveau de directions inédites. Du Free, Davis retient la liberté et choisit d'en faire l'étendard de compositions mélodiques où planent encore quelques architectures modales vite abandonnées au profit de concepts. La cohésion entre les membres est telle que lors des sessions d'enregistrement de cette période, le trompettiste demande à ses musiciens d'oublier un peu les structures harmoniques au profit d'un jeu se répondant sans cesse de l'un à l'autre d'autant plus que tous se bousculent alors au portillon pour livrer des compositions à « Monsieur Davis » ! (2)


Et s'il ne dirige pas encore ses musiciens « à la baguette » (3) sur ce freebop riche et innovant, c'est qu'il n'a pas besoin de le faire vu que la machinerie s'engage d'elle-même dans des territoires à défricher tout naturellement. Autour de Davis (« l'inspiration, la sagesse et le liant de cet orchestre ») s'articule Tony Williams à la batterie (« Tony en était le feu, l'étincelle créatrice »), Wayne Shorter au saxophone (« l'homme des idées, celui qui conceptualisait une très grande partie de nos idées musicales »), Ron Carter à la contrebasse et Herbie Hancock au piano (« Ron et Herbie étaient nos points d'ancrage ») (4).


Et avec ces jeunes surdoués de la musique, Miles Davis se met en danger, hors de sa zone de confort.


« Avec ce groupe, j'apprenais quelque chose chaque soir. D'abord parce que Tony Williams était un batteur progressiste. Il écoutait un disque, le retenait en entier, solos compris, tout. C'est le seul type de mon groupe qui m'ait un jour dit : « Bon Dieu, Miles, pourquoi tu travailles pas davantage ? » Il faut dire qu'en essayant de tenir la dragée haute à ce jeunot, je ratais des notes. Il m'a poussé à retravailler mon instrument, puisque je m'étais arrêté de le faire sans même m'en rendre compte. Mais je peux vous dire une chose : quand il s'agissait de jouer de la batterie, il n'y avait qu'un seul Tony Williams. Il n'y a jamais eu quelqu'un comme lui avant ou depuis. Il assurait comme un fou. » (5)


Bref Miles sourit.
Il y a de quoi.


La musique est bonne. Très bonne.
En live on se demande s'il sourit autant : il faut écouter le début de Milestones au Plugged Nickel de 1965 pour comprendre que ça va bien trop vite et que Davis est obligé de jouer faux sur les premières notes, ça surprend incroyablement. Mais là en studio, « Miles smiles ». Le trompettiste ne signe qu'une composition ici (la belle « Circles »), laissant toute latitude à Wayne Shorter (qui assure la moitié des compositions du disque !) qui délivre par là-même un classique du répertoire Davisien (et du sien et du jazz par la suite), avec la magistrale « Footprints ».


La contrebasse qui joue quelques notes qui se répètent.... Puis d'un coup le piano et le rythme de la batterie qui s'engagent, Shorter qui fait son arrivée par la suite tout en douceur au saxophone, comme sur un tapis volant. Aérien, je vous dit. Enfin Davis qui joue son solo. Le maître choisit de jouer moins avec le temps, rendant ses interventions de plus en plus remarquées (remarquables). Sa quête du silence comme musique à part entière a débuté au moment de Kind of Blue mais n'a pas atteint encore le point de non-retour du jazz « ambiant » crépusculaire de He loved him madly sur Get up with it. Mais ça le travaille probablement inconsciemment.


Bref, Miles sourit.
Et oui, il y a de quoi franchement.


======


(1) Voir aussi ma chronique de l'album précédant celui-ci, « E.S.P ».


(2) P.407 de l'autobiographie de Miles Davis par Quincy Troupe. Format poche aux éditions La Table Ronde.


*(3) Se rappeler le sous-titre « Directions in music by Miles Davis » qui s'affiche plus tard sur certaines pochettes de In a silent way et Bitches Brew. ( https://www.discogs.com/Miles-Davis-In-A-Silent-Way/master/8408 )*


(4) Citations tirées de l'autobiographie, page 403.


(5) Autobiographie de Miles Davis par Quincy Troupe, p. 405.

Nio_Lynes
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le 9 oct. 2018

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Nio_Lynes

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