Du bruit et des violons. C’est un peu comme cela que l’on pourrait résumer ces deux disques très portés sur l’idée de chaos. Le problème c’est qu’entre chaos à cacophonie il n’y a qu’un pas. Un pas que franchit allègrement Thee Silver Mount Zion Orchestra sur Fuck off Get Free we Pour Light upon Everything. SubRosa a préféré déplacer ses intentions eschatologiques vers quelque chose de plus monolithique, plus écrasant, avec More Constant Than The Gods. C’est moins dingo mais on préfère.

Efrim Menuck, cerveau émergeant de la masse orchestrale des deux projets, Godspeed You ! Black Emperor et Thee Silver Mount Zion Orchestra, aime l’emphase, ça ne surprendra personne (cf. les noms de scène précités). SubRosa aussi (leur titre d’album est aussi révélateur), mais de leur côté et sur ce disque en particulier on apprécie que ce soit moins ostentatoire. La musique de SubRosa est moins surchargée, reposant avant tout sur des riffs ventrus et lancinants. Ceci posé, le lyrisme côtoie dans les deux cas quelque chose de beaucoup plus animal. Chez Thee Silver Mount Zion Orchestra ce sont les rythmes survoltés, les saturations assourdissantes. Quant au chant, c’est celui d’un prédicateur survolté, épuisant. Tout cela converge vers un maelstrom instrumental où, malheureusement, la surenchère semble maîtresse. SubRosa, pourtant issu d’un mouvement où le bruit est atavique (le doom metal), oppose ici une forme de sérénité : géant aux pas de velours, ce groupe prouve depuis des années, et sur More Constant Than The Gods surtout, qu’un genre n’est noble qu’a priori : un groupe de métalleux n’est forcément bourrin, et du rock indépendant, même accompagné d’un orchestre symphonique,

Il faut également évoquer ces cordes, si belles dans l’ensemble de l’œuvre de Godpseed, si crispantes sur Fuck off Get Free we Pour Light upon Everything. Un crachin de violon permanent parasite les compositions déjà alambiquées de la fanfare post-rock. L’instrument y est invariablement utilisé à contre-emploi, dans un registre bruitiste, et on a la sensation qu’il n’est qu’une couche instrumentale de plus au-dessus d’un capharnaüm généralisé. Il ne faut pas se méprendre, il y a de choses très belles dans Fuck off Get Free we Pour Light upon Everything. Le souci c’est qu’elles sont rares, disséminées dans un magma confus, interprété par un orchestre bordélique qui se rêve tragique. On peut penser que cette confusion est volontaire, qu’elle symbolise un état du monde (Efrim est ouvertement politisé). Il n’empêche que tout cela est épuisant. SubRosa prouve au contraire que bruit et beauté ne sont pas antinomiques, que le violon, même utilisé dans un registre traditionnel (comprendre mélodique, tout simplement), ne perd pas sa dimension épique et sa capacité à bouleverser. L’instrument et ses fréquences ont aussi le mérite de balancer parfaitement des guitares très chargées en basses, fidèles au style qu’elles représentent.

Ces deux disques aux racines musicales très différentes, et qui se rejoignent dans leurs desseins apocalyptiques, trahissent leurs images respectives. Quand Efrim Menuck, homme engagé et torturé, dont les aspirations mélodiques simples et efficaces peuvent être émotionnellement ravageuses, se fourvoie ici dans un projet élitiste et hermétique (Thee Silver Mount Zion), la supposée balourdise du genre pratiqué par SubRosa surprend chez eux par sa grande finesse et sa capacité à émouvoir. Non, l’habit ne fait pas le moine.

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le 3 janv. 2019

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il y a 3 jours

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François Corda

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