No Sport
6.9
No Sport

Album de Rodolphe Burger (2008)

À la fin de Toute Une Vie (Milan Athletic Club, 2005), l’indispensable Fred Poulet décrivait sans le savoir la meilleure façon de découvrir le nouvel album de son ami Rodolphe Burger : “En voiture, avec une fille, mettre le son à fond”. En effet, comment apprécier autrement qu'au volume maximum ce chant profond au phrasé digne du grand Serge (Avance, Lover Dose) et ces guitares électriques sinueuses (Rattlesnake) parmi les plus belles compositions de l’ex-leader de Kat Onoma (Avance, le single Elle Est Pas Belle Ma Chérie ?, Ensemble) ? Dès la chanson d’ouverture sensuelle et suggestive (Avance), No Sport se révèle, au fil des chansons et des écoutes, un excellent cru, plus feutré peut-être que l'inusable Meteor Show (1998) mais, surtout, bien plus accessible que ses collaborations expérimentales avec Olivier Cadiot, Erik Marchand, Yves Dormoy, Alain Bashung & Chloé Mons. Au rendez-vous musical proposé par cet ancien professeur de philosophie, se retrouvent, outre les fidèles Doctor .L, Olivier Cadiot, Pierre Alferi et Fred Poulet, Rachid Taha – pour un indispensable Arabécédaire – et James Blood Ulmer – pour Marie, un blues de très haute tenue. Mais LE moment fort du disque se joue sur Ensemble, soit le genre de mise au point définitive sur des idées et des engagements que l'on rêverait, pour le coup, d'entendre dans toutes les écoles de France : “Non je ne ferais pas ami-ami avec toi/Je ne suis pas ton complice, tu fais erreur/On n'a pas bourré les prisons ensemble/On n'a pas rempli des avions ensemble...” Aventurier à l'indépendance magnifique, Rodolphe Burger signe là une œuvre d'une densité inouïe, poétique et pleine d'émotion. Que demander de plus ? « Au monde qui dit : gère / J'oppose une voix légère qui dit : j'erre. » A lui seul, ce début de texte résumerait bien l'album entier - même si la voix, le propos et les ambiances n'ont franchement rien de très léger ! Tout, en revanche, est dans l'errance, revendiquée, élevée au rang d'acte de résistance : errance des sens, des gestes et des idées. Face à une société cadrée, pour ne pas dire encadrée, Rodolphe Burger dessine un univers flottant où les mots les plus simples se montrent énigmatiques, où le chant devient une parole dite, marmonnée, hypnotique. Implosion tranquille des formats ; exigence des textes signés de lui-même ou des écrivains Olivier Cadiot et Pierre Alferi ; climats pesants d'un disque sombre qui, loin de l'énergie brute du rock ou de la pop, semble avant tout cérébral. Pas très récréatif. L'ex-chanteur du groupe Kat Onoma, qui fut aussi prof de philo, donne même ici une petite leçon d'arabe en compagnie de Rachid Taha... C'est volontairement didactique, et étonnamment réussi : l'apparent formalisme y libère l'imaginaire. Ce qui ferait sûrement un bon sujet de philo. (Télérama)


"Un album solo, c’est un endroit un peu spécial où l’on se recentre sur le fondamental. Contrairement à un disque de groupe, on y retrouve une ligne de force, où tout se resserre de manière minimaliste mais dans la sophistication : un espace où l’on se donne des libertés par rapport à ses propres habitudes.” Voilà comment Rodolphe Burger a envisagé son deuxième voyage en solitaire. Comme un défi, une traversée vers les horizons inconnus, une épreuve solipsique en transcendance absolue. Pour autant, solitaire ne veut pas dire misanthrope, et Rodolphe Burger a su trouver les porteurs d’eau qui pouvaient l’alimenter en munitions pour son périple : Doctor L, son alter ego de la première tentative solo, Meteor Show ; Pierre Alferi, le mousquetaire de Kat Onoma ; Olivier Cadiot, l’alchimiste prosodique ; et Fred Poulet, le coq en jambes et en pieds. Avec son équipée, Rodolphe a taillé la route vers les terres inconnues du rock en français, à peine défrichées, qui permettraient d’inventer une planète musicale entière. Et voilà une étrange machine à explorer qui s’enclenche, où chacun est à contre-emploi. Doctor L, l’artificier des machines “meteorshowdiennes”, est privé de son abécédaire électronique et se retrouve à jouer des sons organiques, Alféri caquette son latin et Poulet apprend le romantisme. Au milieu, Burger jubile, explore le territoire entre le parlé et le chanté tout en exultations retenues. Le salopard. Il a posé le blues comme principe ultime du voyage et l’explore dans un protocole rarement usité. Là où la majorité des soudards du genre crient, copient ou compliquent en virtuoses, Burger, lui, intensifie, densifie et compresse. Plutôt que de s’attaquer au blues de façon harmonique, il le contourne en le malaxant de façon modale, dans de petites conversations en phrases courtes, dans des partitions de pianos qui renvoient dans les claviers de Satie le langage de Blind Lemon Jefferson pour figurer de nouvelles romances maudites. Ici, le sang n’appartient plus aux membranes des six-cordes : les guitares n’occupent plus que la portion congrue du spectre, leur ampleur est passée du côté de l’ivoire (Vicky) ou a été envoyée en exil dans les entrailles d’un orgue Hammond (Avec toi). On a rarement entendu une pareille œuvre, aussi pensée avec le ventre, aussi dilatée, déchirant le plan, transposant John Lee Hooker dans le désert des accords d’une guitare mandingue pour un mambo ralenti jusqu’à la transe, et offrant autant de perspectives de profondeur musicales à la langue française. (Inrocks)
Un disque avec une actrice, une implication politique, des essais expérimentaux à base de langues ou de musiques méconnues, Rodolphe Burger, depuis quelques années déjà, semble incontournable, furetant à gauche et à droite (à gauche surtout) dans les trous de souris que la musique, entre autres, a le bon goût de ménager. Et pourtant, ce "No Sport" n'est, à proprement parler, que le troisième album solo de l'ancien leader de Kat Onoma, après les huit titres de "Cheval Mouvement" (1993) et "Meteor Show" (1998). Un album, moins électronique que son prédécesseur, mais mêlant toutes sortes d'influences : le rock comme ciment de base, mais aussi le blues et le jazz, les musiques orientales et, tout de même, l'électronique. Le tout mené par une voix qui parle plus qu'elle ne chante des textes écrits par ou avec ses proches (les écrivains Pierre Alféri et Olivier Cadiot, Fred Poulet). Et des textes qui déstabilisent assez souvent, qui naviguent de la blague potache ("Lover Dose" ou "J'erre" qui décline les jeux de mots "entre les cons, j'erre", ...) au surréalisme le plus gracieux ("Un Nid ?"). Alors on a souvent du mal à comprendre : parfois ça agace (mais de quoi parle "Je tourne" avec son slogan Toyota qui tombe comme un cheveu sur la soupe ? De bagnole ?), parfois (souvent) on se laisse embarquer. Et puis on soupçonne Rodolphe Burger de ne pas tout à fait détester agacer quelquefois...Ceci étant dit, on peut aussi recenser les qualités d'un album qui n'en manque pas : le premier single "Elle est pas belle, ma chérie ?" avec ses chœurs féminins un peu faciles est à double détente : la chanson d'amour en vient à parler d'armes à feux... Ensuite, c'est un "Rattlesnake" inquiétant qui réussit, à force d'oscillations, à nous hypnotiser. "Vicky" la Viking, sous ses faux airs de pop-song jazzy, a, elle aussi, pas mal de charme. Sur "Arabécédaire", Burger donne une leçon d'arabe en compagnie de Rachid Taha : intéressant de contourner les clichés en changeant de point de vue, en opposant l'érudition aux idées toutes faites. Sur "Ensemble", l'attaque est frontale : sur fond de riffs électriques, Burger détourne le slogan de campagne de l'ancien candidat de l'UMP et conteste vigoureusement ses méthodes démagogiques ("on n'a pas plumé les pigeons, ensemble"). "Marie" donne lieu à un beau blues bilingue en compagnie de James Blood Ulmer, et "Blue Skies", reprise aérienne d'un classique d'Hollywood de 1926, est tout aussi sympathique. Après "Avec toi", dont la candeur fait mouche, l'album s'achève sur "Un Nid ?", petit OVNI au format pop, qui charme avec ses percussions très marquées et ses paroles surprenantes.Surprenant, voire déstabilisant, Rodolphe Burger, poursuit donc son chemin tortueux et, malgré les ronces qui nous égratignent parfois, on n'a guère envie de lui lâcher la main : pas de sport, peut-être, mais quelle envie d'explorer !(Popnews)
L'air de rien Rodolphe Burger est devenu un personnage, sans faire énormément de bruit, éminemment respecté et dont le parcours musical est d'une exemplarité à faire rougir de honte ceux qui ont encore l'audace de se prendre pour des artistes de premier ordre. Burger, lui, ne perd pas son temps à prétendre quoi que ce soit. Ses disques parlent pour lui. De son expérience au sein de Kat Onoma, ses collaborations avec Erik Marchand, Olivier Cadiot ou Yves Dormoy, il fait partie de ceux qui n'ont jamais cessé de se mettre en danger, d'être une véritable conscience pour n'importe quel musicien qui tenterait de poser des textes réfléchis qui se seraient débarrassés de toute frivolité. Conscience morale, conscience politique, conscience humaine ou artistique, Rodolphe Burger a toujours semblé être à la pointe de tout cela sans qu'il l'ait vraiment souhaité. Naturellement entouré d'Olivier Cadiot, Pierre Alferi (avec qui il avait fait le morceau étendard Egal Zero), l'inévitable Doctor L, Fred Poulet et James Blood Ulmer, l'Alsacien est fidèle au rendez-vous. No Sport est un disque inspiré, riche, prenant et aux messages nombreux. Avec son non-chant si particulier il s'est toujours débrouillé pour fusionner avec sa musique, faire des morceaux qui, sur le ton de la parole donnée, vous explosent littéralement au visage quand vous comprenez toute leur portée. Ici tout est important. Les parties musicales sont aussi fouillées que les textes et on comprend que les unes n'iraient forcément pas sans les autres. Au-delà des messages que Burger souhaite véhiculer au sein de No Sport, c'est bien une forme d'unité dans la variété sonore qui ressort ici. Vous pourrez prendre le problème dans tous les sens. Quel que soit le titre, quelle que soit la direction sonore prise, il n'y a aucun déséquilibre et encore moins de faiblesse. Si on sait Rodolphe Burger politisé (et de toute façon il assume clairement ses choix), No Sport se fait aussi le relais de ses opinions. Un titre comme Ensemble résonne comme un refus catégorique à la France sarkozyste. Au moins on ne lui reprochera pas de faire partie de la gauche caviar. Le show-biz il ne sait même pas ce que c'est et qui peut honnêtement attaquer son intégrité ? Alors, voilà, No Sport est ce disque intègre, éclairé et qui redonne un peu d'espoir comparé à la résignation ambiante. Rodolphe Burger, lui, ne baissera jamais la garde. Comment, dans ces conditions, être à l'opposé ? Par son calme, son ton posé, No Sport est salvateur et se révèle bien plus utile que d'un simple point de vue artistique. (liablility)
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le 13 mars 2022

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