J'aime bien les causes perdues. Regarde, ça fait trente ans que je défends Jean-Michel Jarre. C'est dire le ringard dénué de goût que je suis.
Rien d'étonnant à ce que j'aie envie de dire du bien de Jean-Jacques Goldman, du coup. Je ne suis plus à ça près. Ringard pour ringard, autant s'enfoncer jusqu'au bout. De toute façon, ceux qui me crachent dessus m'ont coulé depuis longtemps.
Et franchement, j'en ai rien à foutre.


Goldman, donc. JJG, pour les intimes.
Quel malentendu, et quelle honte nationale, quand on y pense. Vingt ans de carrière solo, et à peu près autant de triomphe. En dépit des efforts incessants des critiques, qui ont tout fait pour l'éreinter durant tout ce temps. Parfois à raison, faut admettre. Mais pas tout le temps.


Pensez : un mec sans génie, sans la moindre once de talent. Pas musicien pour un sou. Producteur de soupe à la chaîne façon Liebig (et encore, sans les croûtons à l'ail), machine à fric dont l'âme a la forme d'un dollar. Un hypocrite, qui fait semblant d'être simple et gentil pour mieux nous piquer notre pognon et se rouler dedans dans son salon plaqué or.
Son seul fait d'armes, à Jean-Jacques ? Avoir compris ce que voulait le public, et le lui servir sur un plateau d'argent, un peu émaillé pour ne pas faire trop nouveau riche.


Attendez, attendez, attendez...
Vous êtes en train d'essayer de me faire croire qu'un type radicalement nul aurait trouvé la recette du succès - cherchée par tant de talents éblouissants depuis que la musique existe, pour beaucoup en vain - et aurait réussi à l'appliquer sans mollir du genou pendant vingt ans ? Le gars, soit il pratique la prestidigitation et l'hypnose au plus haut degré de compétence, soit il a quelque chose d'autre. Quelque chose de plus pur, de plus direct, quelque chose d'intuitif.
Il y a un moment, faut arrêter de déconner, non ?


Oui, Goldman a su capter un truc, c'est évident. Il a perçu une attente d'un certain public, et l'a remarquablement servi. D'où le triomphe longue durée, la cote d'amour éternelle, etc.
Mais pour ça, mes p'tits potes, le génie n'est peut-être pas indispensable ; mais le travail, l'acharnement, l'écoute et l'attention aux autres, oui. Et sans doute, quelques parcelles de talent, quand même.
Parce que si tu réponds si bien aux aspirations d'un auditoire, c'est que tu parles la même langue que lui. Et ça, ce n'est pas donné à tout le monde. Regardez en politique.


(Ne me faites pas dire qu'il faudrait que Jean-Jacques se présente aux prochaines présidentielles, hein. Jamais de la vie. Chacun à sa place. Il est très bien là où il est, et il a bien mérité d'y être.)


Alors, si on en vient - enfin - à l'album concerné par cette chronique, qu'est-ce qu'on y trouve ? Hé bien, un peu de tout, façon JJG. Du tube incontournable et durable : "Compte pas sur moi", "Je marche seul", "La vie par procuration", "Je te donne", "Pas toi", "Elle attend"...
Sur onze chansons, je viens d'en citer six qui figurent inlassablement sur les compilations du monsieur. Ce n'est pas forcément synonyme de qualité, mais c'est la preuve que ces titres ont marqué à la fois son public, et le parcours artistique de Goldman.


Si je détaille un peu, en y mettant mon grain de sel, je garde en inévitables "Compte pas sur moi", dont l'énergie pop rock balance un bon gros coup d'entrée, s'ouvre par plus d'une minute d'instru (pour un mec censé ne savoir faire que du trois minutes calibré radio...) et s'achève par un solo qui dépote, et "Je marche seul", dont le texte sombre et déterminé est parfaitement éclairé en contrepoint par son écriture rythmée et son énergie.
"Je te donne", en duo bien sûr avec Michael Jones - début d'une longue et fructueuse amitié collaborative -, est imparable, mais j'avoue que l'été de mes huit ans a été un poil trop envahi par sa rengaine, et que cette chanson me fatigue un peu aujourd'hui.


Je garde en revanche une affection profonde pour une chanson qui sert souvent aux détracteurs de Goldman pour lui taper dessus : "La vie par procuration". La version album est un peu mollassonne, je lui préfère la version punchy et plus rock du live "En public" (1986), avec ses gros riffs de guitare en soutien.
Mais que ce texte est bien vu ! Ah oui, faire rimer "balcon" avec pigeon", ça n'est pas glamour... Comment mieux faire passer l'ennui, la désertion de la vie, qu'en recourant au vocabulaire le plus trivial ? Chaque phrase clame la solitude, la normalité désespérante, l'oubli d'une existence abandonnée.


Je suis moins fan de "Pas toi", même si c'est un joli texte. Tout comme "Elle attend", portée par son arpège de guitare obsédant.
Derrière, il y a encore "Confidentiel", touchante bien qu'un peu naïve. "Famille", qui flirte avec le cucul mais libère sur la fin une énergie que je trouve sincère.
Je n'ai jamais accroché vraiment à "Parler d'ma vie", en dépit de son solo de trompette de Chet Baker (vieillissant et finissant, certes, mais quand même).
"Bienvenue sur mon boulevard" emprunte un peu trop aux recettes de "La vie par procuration" (on y retrouve des suites d'accord similaires), en plus rythmé et moins pertinent, avec une accélération finale pas très heureuse. Pas mal, mais on comprend pourquoi celle-ci n'a pas spécialement traversé les années. Tout comme "Délires schizo-maniaco-psychotiques", plombé par des synthés Bontempi qui pouëttent à tire-larigot.


Bon, et s'il faut achever cette chronique sur une énième preuve que Goldman s'est toujours foutu du monde à tous points de vue, parlons de la pochette. Vous l'avez, la ressemblance avec celle de Born to Run, de Springsteen (paru dix ans plus tôt) ? L'artiste, sa guitare dans le dos (Bruce la portait devant lui, en étendard), appuyé sur l'épaule d'un corps caché par la limite de la photo (Bruce s'adossait, lui, à son roc personnel, le saxophoniste Clarence Clemons)... Le gars, il se prend pour le Boss, tout simplement ! Si c'est pas cracher à la gueule des gens, une audace pareille !


Clairement, et sérieusement, Goldman n'a pas le même talent de Springsteen. Comparer les deux n'aurait aucun sens. Ils ne font pas la même musique, n'ont pas la même portée, la même puissance, la même aura.
Mais justement, j'aime bien ce clin d’œil à travers la pochette. J'y trouve trace de cet humour discret dont JJG a toujours su faire preuve, de différentes manières, en interviews, sur scène, ou même dans le livret de la compilation Singulier 81-89, au sein duquel il réserve le cahier central à une recension d'articles incendiaires à son encontre...


Une belle preuve d'ironie, voire d'auto-dérision. Comme si Goldman percevait très bien lui-même les limites de son art, et en faisait une force. Une connaissance de soi que l'on retrouve dans ces paroles, giflées dès la première chanson, "Compte pas sur moi" :



Y en a des biens plus gros, des biens plus "respectables"
Moins ringards et rétros, des biens plus présentables
Qui visiblement parlent à la postérité
Loin de mon éphémère et ma futilité
Des grands, des créateurs, avec une majuscule
Loin de tout quotidien, sans le moindre calcul
Les rockers engagés sont nos derniers des justes
Ils nous sauvent peut-être pendant qu'on s'amuse



C'est le genre de chose qui peut, aussi, expliquer la longévité.

ElliottSyndrome
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le 20 août 2020

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ElliottSyndrome

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