Paradize
5.9
Paradize

Album de Indochine (2002)

En 2002, M. Mercier, un des maîtres de l’école Jean Jaurès d'Ambérieu-en-Bugey, où le garçon est en CM1, fait chanter J’ai Demandé À La Lune aux élèves. La mère offre l’album au garçon. C’est son premier disque ; il n’est pas vraiment de son âge mais deviendra au fil des années un objet de culte et de désir, l’objet de tous les fantasmes, de tous les questionnements métaphysiques et d’interprétations – dans tous les sens du terme – affinées mille fois, une lente élaboration du sens, dérangeant d’abord puis fascinant, asphyxiant libérateur et sublime, vertigineux.


Sur la pochette, il y a une femme enceinte, très belle, aux longs cheveux roux. Torse nue, très blanche, sur un fond nébuleux rose et noir rayonnant comme un incendie, cadrée des pommettes au bas de la braguette ouverte en grand, sa poitrine est cachée par une croix asymétrique tracée au marqueur noir, le bras droit – de celui qui est sur la croix –, situé à gauche, plus court, ramassé en un poing, que le bras gauche situé à droite tendu vers l’infini, sous laquelle est floqué, coupé après la quatrième lettre par l’axe vertical décalé légèrement vers la gauche, le nom en majuscules « INDOCHINE ». Elle porte un jean ouvert sur une culotte blanche à coutures roses où est écrit « PARADIZE » et dans laquelle, de sa main droite, trois doigts sont glissés, le majeur, bagué, restant à l’extérieur, comme le pouce. Son bassin est très légèrement penché vers sa droite et sa tête inclinée de presque rien vers sa gauche. Le corps est baigné de lumière, que, parfaitement blanc, il renvoie en vous éblouissant. On ne voit pas d’os, on ne voit pas de plis sauf à l’aisselle gauche. Il y a pourtant quelques ombres à gauche du nez, et sur le flanc gauche et le bas du ventre. Les cheveux semblent un grand feu de joie à gauche et ne sont qu’incandescent à droite. Au dos du livret, la même photo, sans la croix, et à la place des seins, rien.


Le livret est sombre sauf les pages 4 et 5, les textes sont écrits en blanc ou bleu ou mauve sur fond noir sauf les trois premiers en bleu sur fond blanc. On y voit Nicola Sirkis, plusieurs fois, Melissa auf der Maur, quelques polaroïds du groupe et la fille de la pochette avec de sublimes yeux bleux et des lèvres mauves.


Il y a d’abord un synthétiseur, réminiscence des années 80, puis des guitares sales et lourdes, une production dense, pesante, et la voix d’un homme de quarante-deux ans, tout à la fois adulte, enfant et adolescent. Il y a aussi, Melissa, que le garçon découvrira un peu plus tard, avec Hole, avec les Pumpkins, en solo, il y a des textes de Manset, Furnon et Murat, et puis Ann Scott, que le garçon découvrira plus tard, sur laquelle il fera un mémoire, et puis Camille Laurens. Il y a une porte d’entrée, il y les racines du monde du garçon.


Il y a là, l’amitié, le désir d’ailleurs, la mort lumineuse, comme la lumière au bout du tunnel, il y trois chanson blanches, de force brute, pour crier la douleur, le désir, le deuil, le manque, la violence, le fascisme et la résistance (Paradize, Electrastar, Punker). Il y a l’amour, l’enfance, la parenté, l’espoir, ce que l’on fait de ses enfants, comment on les déforme, en espérant sincèrement que l’on fait bien, ou qu’ils s’en remettront, en prétendant sincèrement qu’ils seront toujours libres (Mao Boy). Il y le dépit amoureux, la mélancolie, et la douceur de la tristesse, la douleur d’être perdu, d’avoir perdu son but et sa raison d’être, il y a la quête de sens dans l’absurde (J’ai demandé à la Lune). Il y a la résistance et le désir encore, une proclamation libertaire et la quête d’unité, de complétude, le combat entre le bien et le mal sur le sable des plages de Dunkerque. Il y a Dieu qui parle et Big Brother, la soumission, l’oppression, la société du spectacle, le désespoir que peuvent causer les hommes en écrasant leurs frères et un espoir que ça serve aussi (Like A Monster). Il y a l’amour et la recherche de soi dans l’autre, il y a la négociation de l’identité par la sexualité (Le Grand Secret). Il y a l’émotion d’un homme, d’un père, peut-être de Dieu, qui voudrait échanger sa place avec une prostituée qui travaille sous la pluie, héroïque et sublime (La Nuit Des Fées). Il y a des garçons et des filles qui s’attachent et se font mal pour se sentir vivant, il y l’amour physique et sans autre issue que la mort (Marilyn). Il y a le sexe mystique et la souffrance et le sacrifice, l’avilissement du Christ, le désir qui étouffe, qui brûle, l’orgasme, le ravissement et l’extase d’un saint (Le Manoir). Il y a la révolte adolescente contre tous les mensonges que l’on finit par découvrir, contre le monde entier que l’on découvre hostile, il y a la pulsion de mort et la crise existentielle (Popstitute). Il y a le rapport au divin, le néant derrière la prière et le sentiment d’abandon, l’autodestruction et la jouissance, la solitude (Dark). Il y a le corps froid de l’être aimée et la prière encore, tout ce qui peut permettre d’accepter l’absence, tout ce qui nous convaincre de trouver un sens à ce qui n’en a pas, le besoin de dire adieu aux absents (Comateen 1). Il y a les rêves qu’il faut tuer pour survivre, la vie qui manque de saveur et l’errance, la vie terne, la vie d’après les deuils (Un Singe En Hiver).


Le garçon ne s’est jamais particulièrement intéressé à la musique, il achètera au fil des années la discographie complète du groupe et n’écoutera pas que ça pendant cinq ans avant d’élargir, à partir d’Indo, de lancer ses filets, vers les Smashing Pumpkins, Hole, Nirvana, Placebo, Les Wampas, Mickey 3D, Xavier Dolan, Salinger, Duras, Ann Scott, Despentes, Motörhead, Bérurier Noir, ACWL, Dolly, Daisybox, Luke, Noir Désir, AqME, Asyl, Lescop, Toybloïd, Miss Kittin, Griefjoy, Marilyn Manson, Nine Inch Nails, Trisomie 21, Tricky, The Cure, Depeche Mode, Bowie, Patti Smith … Et tous les autres.

Créée

le 11 févr. 2020

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Paul-Bismuth

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