Retour à Twin Peaks

1 – Vingt-cinq ans après, retour à Twin Peaks. Lentement, tu dépasses en marchant le panneau te souhaitant la bienvenue dans cet endroit mythique. La lumière décline peu à peu ; tout est baigné dans une atmosphère surréelle, étrange et glauque. Tu sens que passé ce point, tout est possible : rêvé et vécu, il n’y a plus de différence. Ton pas est lent mais assuré et régulier. Tu traverses la ville ; les ombres bougent sur le sol. Tu crois entendre l’écho distant d’une musique que tu as connue il y a longtemps, mais les ruines autour de toi te font douter de tes perceptions. Les rues sont désertes.

2 – Bientôt le soleil lance son dernier rayon à travers les arbres. Le temps est comme suspendu alors que toute la ville t’apparaît sous une lumière éthérée, et tout autour de toi les ombres, bleues, s’allongent en donnant l’impression de tomber. L’écho que tu entendais apparaît plus clair par moments, porté par un vent froid, et tu as l’impression d’entendre une voix chanter en passant devant les maisons abandonnées. Tu cherches quelque chose. Quoi ? Tu l’ignores. Mais tu continues à marcher dans cette atmosphère bleutée, t’enfonçant peu à peu dans la nuit, des larmes dont tu n’as pas conscience coulant sur tes joues froides. Tu murmures son nom.

3 – Au loin, une silhouette se dessine dans le brouillard. Serait-ce-t-elle ? Tu accélères le pas, sans résultat : tu as l’impression de ne jamais réussir à réduire la distance entre elle et toi. Tu sais que cette silhouette t’entraîne quelque part mais tu ne le réalises pas : tu ne penses qu’à elle. Les arbres craquent dans la nuit.

4 – Soudain, tu es proche de la silhouette, mais à l’instant où tu la touches elle disparaît. Tu regardes autour de toi et ne vois que des arbres, mais tu sens que cet endroit est particulier. Peu à peu, ta vision se brouille et les troncs des arbres se confondent les uns avec les autres. Il se passe quelque chose, tu le sens. Au loin, une chouette. Et tu perds peu à peu le contrôle de ton propre corps, et tout tourne autour de toi.

5 – Le vent souffle dans tes oreilles. Comme étranger à ton propre corps, tu réalises que les muscles de ton visage sont tirés en un sourire à mesure que tes perceptions te reviennent. Soudain ça y est, tu sais ce que tu fais ici, tu sais ce que tu cherches. Tu sais que tu la cherche. Le sourire grandit.

6 – Des souvenirs que tu sais ne pas t’appartenir t’ont attiré dans un bâtiment abandonné. Tu te retrouves dans une salle à l’atmosphère oppressante avec une scène dans un coin et où il règne une vieille odeur de tabac. Ton cœur bat plus vite et tu es parcouru de frissons, et une douce folie coule dans tes veines pendant que tu ne peux t’empêcher de danser frénétiquement au milieu de la salle vide.

7 – Soudain, tu y es : tu reconnais tout, les arbres, les pierres, l’odeur caractéristique. Tu sais qu’elle sera là. Les arbres, ombres au milieu de la nuit, sont éclairés d’une lumière blanche. Et soudain tu la vois, et elle te voit. Au-dessus d’elle les arbres agitent leurs branches. Tu te diriges vers elle alors qu’elle te lance un dernier regard.

8 – Dans ce regard le temps s’arrête. Tu retrouves dans ses yeux la naïveté que tu avais toujours désirée, et tu sais que tu l’aimes. Mais cet instant prend fin ; le temps reprend peu à peu son cours et tu la suis, ta folie t’ouvrant la voie à travers ce voile de velours rouge qui l’a happée.

9 – Tu es dérouté : tous tes sens sont différents, tu peux entendre des bruits de pas dans le silence qui règne mais chaque son est comme déformé, dénaturé. Le temps lui-même semble s’écouler différemment, à moins que cet endroit soit simplement hors du temps. Pourtant, tout cela t’est étrangement familier. Tu connais cet endroit, et il t’horrifie autant qu’il te rassure. Tu reprends ton objectif et commence à la poursuivre dans ce dédale, apercevant du coin de l’œil une personne que tu devines ne pas être d’ici danser frénétiquement. Tu cours, le bruit de tes pas résonnant dans tes oreilles au ralenti. Finalement tu la touches. Elle se retourne.

10 – Vous vous fixez, et l’amour que tu éprouves pour elle te submerge. Tu sais que tu ne l’as jamais vraiment connue, tu le sais tout en sachant que tu l’as vue grandir. Comment as-tu pu l’oublier ? Tu sais qu’elle ne t’aime pas en retour ; pourtant vous dansez, lentement. L’amour te submerge, et tu as l’impression que plus rien n’existe autour de toi. Tu veux la protéger, et pourtant… Vos bouches se rapprochent l’une de l’autre.

11 – Tu es revenu sous les arbres. Tu as fait ce que tu avais à faire, dirigé par ta soif de destruction. Tu sais que tu ne la reverras plus, et cela te remplit d’une joie malsaine. Sur tes lèvres, un goût de maïs. Tu marches dans la forêt.

12 – Des souvenirs se heurtent et leur écho résonne dans ta tête. Tu reconnais la voix qui parle même si elle te paraît déformée : c’est elle ! Les images et les sons fusent et tout est brouillé, mais tu sens une profonde joie grandir peu à peu en toi. Mais enfin la voix disparaît, l’assaut des souvenirs s’arrête. Tu es heureux, pour la première fois depuis des années. Tu te rappelles la dernière fois que tu avais été si heureux, et tu ne peux t’empêcher de chantonner une chanson apprise il y a longtemps. Ton excitation grandit.

Épilogue – Tu te réveilles et tu ouvres les yeux : ta vision est nette, les sons qui te parviennent de l’extérieur ne sont pas déformés. Tu réalises que ce que tu viens de vivre n’était qu’un cauchemar – à moins que ça n’ait été un rêve – mais ça n’a pas d’importance. Tu as besoin de te brosser les dents. Dans la salle de bain, tu lèves la tête ; en face de toi, Bob te fixe. Tu sens que quelque-chose se prépare et ça t’emplit de joie, tu sens que tout cela était prévu. Tu souris, et en face de toi Bob sourit aussi.