Deux des trois meilleurs albums du mois disposent d’une spécificité musicale assez troublante pour les oreilles des moins aguerris, et ce, dès les trente premières secondes. Un bruit d’essoufflement, assez paradoxal puisque ces instrumentales mènent la danse d’un album long de trente sept minutes pour l’un et trente huit pour l’autre. Les lecteurs les plus à la page de ce début de printemps savent qu’il est ici question de UGLY de l’Anglo-Saxon SlowThai et de l’impétueux PRAISE A LORD WHO CHEWS BUT WHICH DOES NOT CONSUME ; (OR SIMPLY, HOT BETWEEN WORLDS) provenant des mains du mystérieux Yves Tumor.

Si l’album d’outre manche débute avec une gimmick sonore semblable à celle de Hot Between Worlds, tant le registre que l’optique des deux projets prennent des directions drastiquement opposées. Yum  l’introduction du nouveau bébé du rappeur de Northampton arbore des tonalités du Hip-Hop dit industriel d’où ont émergés les reconnus Deathgrips ou même Kanye lors de son détour par la musique expérimentale avec Yeezus. Sentimentalement le message de Yum  est drapé d’un voile noir pétrole formé d’un tissu empli d’excès, de drogue, de sexe et d’impulsivité. En somme une introduction réussie, car le LP n’ira pas en s’arrangeant et il est vivement recommandé d’être prêt à être secoué tant, l’album est chargé en violence et tristesse.

Tandis que l’album auquel je m’intéresse aujourd’hui, celui du fantomatique Tumor n’est pas néanmoins plus léger mais outrageusement plus grandiose et spectaculaire. D’une part, les arrangements d’instruments à cordes éléphantesques rappellent cette fois-ci le Ye de My Beautiful Dark Twisted Fantasy. De l’autre les arpèges frénétiques des guitares de Godspeed You! Black Emperor. Ce n’est pas un hasard, car l’architecte musical présent tout au long du projet auprès d’Yves n’est autre que Noah Goldstein, compositeur majeur du très récemment acclamé Motomami  de Rosalia en passant par FKA Twigs sur Magdalene ou proche de Kanye lors de la conception de The Life of Pablo ou de l’irréel Kids See Ghosts.

C’est un LP qui s’offre le luxe d’emprunter les tonalités de certains des plus grands albums de punk rock tout en y incorporant une dimension divine et transcendante. À commencer par les accords de guitare électrique saturés rappelant l’emblématique groupe Nirvana sur la troisième piste Meteora Blues, accompagné en plus d’un mixage époustouflant où la/les voix ne semble ni prendre le pas sur la composition ni l’inverse. Tout cela avec un séquençage intelligent qui nous tire lentement vers une outro composée uniquement de chants religieux ininterrompus. Choral qui est aussi le cœur du son Parody, car il en est en fait la base fondatrice. Pour aboutir à un refrain effréné avec des penchants punk rock psychédélique qui reviennent au galop grâce à notamment des reefs nous rappelant le dernier quart de l’incontournable Let It Happen de Tame Impala. La track suivante (ma favorite) puise encore plus en l’aspect spirituel du projet en s’ouvrant sur des grésillements d’électricité rappelant le destin tragique de Don Juan après les affronts qu’il commit envers Dieu. C’est saturé, c’est dantesque, les rythmiques de la batterie sont inarrêtables et les voix spectrales qui l’accompagnent tel un chant de supporter ne s’éteignent que lorsque l’éclair de Zeus s’abat sur la musique. Laissant ainsi place au sample du discours candide et poétiquement simple d’un enfant « I love the color blue/Because it’s in the sky/And That’s where god is ». Tirade instantanément suivie d’une ascension musicale vers les cieux. 

L’album met un point d’honneur sur ses compositions et les met en valeur grâce à une gestion du rythme maitrisée. Les accords de guitares ne sont jamais de trop ni manquants, des violons chirurgicaux ou des productions à la limite de l’avant-gardisme (Putrified by Fire). Un mixage et un mastering méticuleux empêchent tout possible dépassement de la fine frontière du Punk rock à la shoegaze de MyBloody Valentine ou Parannoul pour les néophytes. C’est un album musicalement éclectique qui vient même flirter avec la synth pop de Kate Bush lors de Lovely Sewer .

Quant aux différents textes qui composent l’album, ils allient religion et amour de manière perpétuelle. En personnifiant parfois même l’amour comme une divinité régissant tous les liens qui composent ce bas monde. Une divinité intangible mais pourtant omniprésente « I’ll always pray to an empty sky ». Déité aussi miséricordieuse qu’injuste « Everyone you loved loved someone else », l’album fluctue entre euphorie intense et morosité profonde « You behaved like a monster » « Your beauty blooms in the early day/It makes me feel some type of way ». Le message est limpide et touchant grâce à un minimalisme des paroles intelligent et loin de l’abrutissement. Enfin quand bien même le format s’enraye (comme sur Operator ou Echolalia) la production elle, reste toujours aussi puissante.

Il m’est encore difficile de croire qu’il est possible d’apporter une telle dimension grandiose et spectaculaire à ma vie d’auditeur passionné qui arpente les bouches de métro moroses et les salles de classe aux cours tentaculaires et insipides. Sentiment qui paraissait s’éroder avec le ruissellement du temps et les différents nouveaux standards de consommation de la musique. Un conformisme des genres, des sonorités et des formats qui ne laissaient plus de place (sur le devant de la scène du moins) à un projet aussi théâtral et envoûtant que Hot between worlds. Et pourtant encore estomaqué de la performance j’appuie à nouveau sur play, je contemple, je m’extasie et je profite comme à la première écoute. 

Rayane_
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le 31 mars 2023

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