2 ans plus tôt, Gueko sortait son plus bel opus, Bad Comboy : l'inventivité permanente de punchlines folles qui fusaient sans s'arrêter, la direction musicale homogène avec ces instrus formidables qui donnaient une couleur savoureuse à l'album, celle de la luminosité crépusculaire de sa pochette, les feats qui passaient tous bien (même Orelsan et Soprano) et Seth qui posait avec aisance, au paroxysme de son charisme, concluant par une longue et belle tirade chantée sous autotune.
Il était magnifique.


Cruelle déception donc de voir que l'album où Gueko se devait de faire honneur à son surnom de Professeur Punchline soit aussi moyen. La première chose qui fait tiquer une fois l'album fini, en dehors du constat du manque de punchlines solides et de la présence d'instrus trap fatiguées, c'est la diminution du second degré chez Seth, qui délaisse un peu la déconnade bon enfant, la bonne humeur et les convictions personnelles (niquer les pédos et les fachos, son éternelle revendication, et aussi l’exigence d'avoir une meuf qui se rase les poils de la chatte, chose qui revient dans trois morceaux d'affilé) pour se montrer plus agressif, plus clasheur envers le milieu du rap français, chose inutile et pénible mais bien pratique pour remplir des couplets. Ce n'est pas pour autant que l'esprit gamin du gars disparaît, ça reste un album fidèle à sa personnalité, et une partie importante de son rap que j'ai toujours beaucoup aimé, à savoir son amour fou des femmes et sa nécessité inavouée d'être une brute macho pour les satisfaire, reste bien présente.


Le problème avec Seth, c'est que ça reste un beauf plus ou moins lambda avec des goûts populaires (l'album est parsemé de références à des séries (rappelez vous que les séries sont le média de la médiocrité, du divertissement bien ficelé qui n'a malgré les apparences rien à dire) comme Game of Thrones ou The Walking Dead), ce qui explique son envie de toujours s'inscrire dans la tendance (sans calcul, juste par envie parce qu'il aime ça je pense), et donc de faire ici de la trap lambda avec les rappeurs buzzés de l'année 2014/2015, comme Gradur (médiocre comme d'habitude) et Niska (bon mais en dessous de son potentiel) par ex. D'ailleurs du coup ce qui est drôle c'est que cette inscription dans l'instant a d'office donné un petit côté daté à l'album en conviant Joke à poser un couplet, sans doute à l'époque de la sortie d'Ateyaba, le faisant donc sortir du néant pour la date de sortie du projet. Très étonnant aussi, c'est cette parenthèse ultra ringarde qui se fait avec l'enchaînement de Seth Gueko Bar et La meuf du moment, les pires morceaux de l'album, datés et de mauvais goût. Seth Gueko Bar qui nous fait d'ailleurs regretter l'absence d'un gros son sur la Thaïlande, comme Patong City Gang ou Farang Seth, à l'ambiance folle.


Bref Gueko enchaîne les morceaux sans saveur, épaulé par des feats fatigués (ya quand même Alkpote qui rappe comme un robot, c'est sympa), et au détour de cette direction artistique attristante faite de flows et d'intonations bizarres ("colorée, colorée, colorée, colorée"), nous fait entendre des choses plus cools : Val d'oseille, son lourd où Guex rappelle qu'au delà de jeux de mot déments, son art de la punchline passe aussi par l’évocation d'images fortes (déboucher des chiottes avec un ceintre); Les Démons de Jésus, pas fou, mais qui nous fait retrouver avec plaisir notre bonhomme sous des airs plus sincères, dévoilant enfin explicitement ses vues sur la religion, sujet qu'il a jamais trop aimé aborder; Titi Parisien, sacrée ambiance, douce, emprunte d'une nostalgie mélancolique, surprenante, jolies punchlines ("l'amitié c'est beau comme une prison qui brûle"), et l'outro, Paracetamol, instru rétrofuturiste, géniale utilisation du vocodeur au refrain avec Gueko qui rappe comme un petit gris sur un son de soucoupe volante qui s'envole. Là on tenait un truc.


En fait, si Bad Cowboy ressemblait à sa pochette, Professeur Punchline y ressemble ici aussi : moderne, gris et froid. À écouter quand même parce que ça reste Gueko et que ya de bonnes punchlines mais j'ai vraiment bien rigolé en faisant "ah le batard" et en mettant mon bras devant la bouche que deux fois.


Sur ce, je vous laisse méditer : la terre est ronde mais ya des tapins dans les 4 coins.

PrincesseSaphir
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le 9 nov. 2015

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