Dans l’histoire de la musique, beaucoup d’artistes au succès immense ont sombré dans la dépression. Une pression de la notoriété qui dépasse souvent des personnalités déjà fragiles et qui ne sont pas préparées à ce statut de « superstar ». Si dans le rock, ce phénomène est quelque chose de connu, le cas d’Eminem était une première dans le hip-hop (peut-être aussi parce que c’était la première vraie superstar du hip-hop). Près de 5 ans après son dernier album Encore, composé par un artiste au bout du rouleau mentalement, mais aussi musicalement tant cet album manquait terriblement d'inspiration, comment alors allait-il aborder la sortie d'un nouvel album, mais aussi qu'avait-il a nous dire ?
La qualité de Marshall Mathers a toujours été de savoir utiliser les mots justes pour illustrer ses idées. Dès l’intro Dr. West, dans lequel l’artiste discute avec son médecin à propos de sa sortie de cure de désintoxication (qui pourrait aussi sonner comme un retour à la musique), Em’ se dit nerveux, anxieux de revenir à la réalité. Une discussion dans laquelle le médecin l’incite étranegement à la rechute, avant de se rendre compte qu’il s’agit en fait de Slim Shady, son double maléfique, puis de se réveiller puisque cette rencontre n’était qu’un rêve. Une superbe illustration qui démontre non seulement qu’Eminem est parfaitement lucide à propos des problèmes qu’il a subi ces dernières années, mais qu’il semble prêt à en parler sérieusement (comme dans Deja Vu), ou à les traiter avec la folie qu’on lui connait, à l’image de 3 A.M., qui parle d’un patient échappé d’une cure de désintoxication, prêt à tuer quiconque se trouvera sur son chemin.
La première grande réussite de cet album est l’écriture. Le retour des titres complètement dingues dont Eminem nous gratifiait lors de ses deux premiers albums, et qui étaient devenus bien moins fous sur les deux suivants. Et quel meilleur représentant que le titre Insane, où le petit Marshall explique avoir été abusé par son beau-père, dans un savant mélange de détails gênants « After I fuck you in the butt, get some head, bust a nut, get some rest » (je vous laisse le soin de trouver la traduction), de jeu de mot bien vu « I was born with a dick in my brain, yeah fucked in the head » (je suis né avec une b*te dans le cerveau , complètement baisé de la tête), ou de folie délirante « fucker tried to bite my face off, I just got fuckin chased off with a chainsaw » (ce petit con a tenté de me mordre le visage, et m’a couru après avec une tronçonneuse). Un titre qui rappelle fortement « Brain Damage » sur son premier album The Slim Shady LP, flirtant avec une ligne séparant la réalité et la fiction qui sème le doute.
De My Mom, où Em’ affirme prendre de la drogue à cause de sa mère, parce qu’il est finalement comme elle, à Same Song And Dance décrivant le tableau de chasse de ses abus sexuels sur des popstars (ou sur des femmes inconnues dans Stay Wide Awake), en passant évidemment par la moquerie de stars comme l’artiste en a déjà fait auparavant (Bagpipes from Baghdad, We Made You ou Medecine Ball), l’artiste est clairement au niveau de ses deux premiers albums dans la diversité des thèmes et la qualité de l’écriture.
La seconde grande réussite est le travail de production. Exit Eminem le beatmaker, avec des sons pour la plupart moyens voire plats, ici la place est entièrement laissée à Dr Dre (sauf sur Beautiful). Le producteur le plus célèbre du hip hop américain est très inspiré sur cet album, jouant de multiples sonorités et ambiances, il est le parfait complètement du rappeur de Detroit.
Alors, pourquoi Relapse est si injustement sous-estimé par les critiques et les fans ? Dans sa globalité pourtant, les productions et l’écriture sont au-dessus du niveau affiché sur Encore ou même The Eminem Show. Le seul gros reproche que l’on pourrait faire à cet album, c’est le manque de titre fédérateur et porteur du projet (Encore avait Like Toy Soldiers ou Mockingbird, The Eminem Show avait Sing For The Moment, Cleanin’ Out My Closet ou dans une moindre mesure White America).
Dans sa conception, Relapse ressemble davantage aux deux premiers albums, qu’aux deux derniers ; des productions solides et homogènes, des thèmes divers et une écriture riche. C’est un très bon album, qui souffre comme indiqué plus tôt de ne pas avoir eu un single portant ce projet.