Jamais Robert Wyatt n'avait atteint un tel sommet, jamais il ne l'a ré-atteint. Cet album aquatique composé en partie à Venise et dans les eaux troubles d'un accident est un plongeon dans une mer inconnue amenant ce bateau ivre sur un continent lunaire. Touché par Poséidon pour survivre à toutes les tempêtes humaines, Robert cueille au fond de ses océans les coquillages d'un Paradis trouvé dans l'amour, la douleur et la mort. Rien ne ressemble à ses bas-fonds sinon un trip de mescaline dans les bras d'une femme, par un puceau découvrant l'envol de la peau. Car c'est bien de cela qu'il s'agit ici d'envol, de découverte et de “dépucelage” sensoriel. Jamais une telle musique avait été imaginée, osée, cueillie avant ce disque. Jamais retrouvé , comme un coffre aux trésors qui aurait révélé son butin et aurait été perdu à nouveau , emporté par les fonds-marins. On écoute Sea Song complètement hypnotisé, noyé par cette finale déchirante où la lettre A est chantée jusqu'à l'épuisement de la douleur. On y retrouve la blancheur des coquillages , la chaleur du coton et le doux marbre précieux taillé par la fureur de ladite douleur. Un cri dans la nuit des fonds marins. Si la pochette reflète une blancheur naïve , ne vous y trompez pas cet album sort des ténèbres abyssaux, des trous noirs et des brouillards de Londres. Si la tasse de thé anglaise n'est pas votre truc , dites vous ici que c'est un thé à l'opium loin des théières volantes de son ancien comparse Daevid Allen et beaucoup plus proche de la chambre des tortures “Hammilliennes.” Une chambre des tortures qui serait lumineuse comme le chant des sirènes. Il ya de l'envoutement de Circé dans cette odyssée et on pourrait facilement errer dix ans sur cet album avant de vouloir le quitter.
J'ai un frère qui fit l'amour pour la première fois sur cette finale dantesque. Pendant deux heures un ami dans la pièce à côté remettait inlassablement les 3 dernières minutes de Sea Song, le chant n'en finissait plus d'élancer les corps vers des galaxies infinies. Oui Sea song est l'orgasme musical de la carrière de Robert et le reste de l'album est le flottement infini lumineux et fou d'une constellation, prêtée un instant par quelque Dieu souffrant. Cette musique divine s'est fait chair et mystère, Robert Wyatt passait par là...