Hoes ain't scared no mo

Avant, effrayer les hoes, c’était ton truc. Il faut dire qu’écouter Danny Brown, Jpegmafia ou autre « weird shit » était source d’ostracisme immédiat de la part de hoes effrayées, quel que soit leur genre d’ailleurs. Avoir été associé publiquement à ce type de musique qui perturbe la mollesse onctueuse des interactions sociales t’a certainement valu une pluie de regards réprobateurs de hoes à gobelets rouges ou une relégation au coin de la pièce où tu ne pouvais que regarder danser tous ces gens qui ne savaient probablement même pas que Atrocity Exhibition est un des meilleurs albums de la précédente décennie.

Pire, même l’écoute secrète était source d’un stigmate physique que reniflait la hoe. Comme le regard malsain que tu soupçonnais les gens de voir dans tes yeux dans le métro lorsque tu écoutais Baby I’m Bleeding dans la discrétion du casque orange volumineux que tu portais sur la tête.

Et même lorsque tu approchais une hoe malgré ton statut social inférieur et sans qu’elle ne renifle rien d’effrayant, sa réaction lorsqu’elle le découvrait fatalement était d’une agressivité et d’une violence extrêmes, comme ce soir dans cette boite de nuit où passait de la musique que tu jugeais générique, sans saveur et indigne des mille possibilités créatives qu’offre l’EDM authentique, et où tu as crié dans l’oreille de la go à ta gauche :
« - NON MOI CE QUE J’ECOUTE PLUS EN CE MOMENT, C’EST UN RAPPEUR QUI S’APPELLE JPEGMAFIA, C’EST UN PEU GENRE UNDERGROUND, EXPERIMENTAL, JE PENSE PAS QUE TU CONNAIS … MAIS IL RENOUVELLE TOTALEMENT LE HIP-HOP. C’EST TRES BRUITISTE, PUNK, HARDCORE, MAIS PARFOIS AUSSI TRES MELODIEUX CE QUI POURRAIT PLUS TE PLAIRE …
- Hein ? »
Bref, c’était violent.

Mais tout cela est désormais fini.

Depuis le 24 mars 2023, c’est fini. Peggy et Danny ont sonné le glas de cette ère de stigmatisation depuis qu’ils ont sorti un album qui donne au rap chelou une majesté absolument chadesque. Le My Beautiful Dark Twisted Fantasy du rap d’internet vient de voir le jour, et il vaut d’abord par le travail de composition d’orfèvre du vétéran de l’US Air Force, une forêt épaisse et harmonieuse de samples étranges et de drums inouïs maitrisés à la perfection, qui fait désormais de lui un des meilleurs beatmakers en activité. Notre duo improbable mais tellement évident se charge de mettre la folie au micro pour achever cette fête en feu de joie qui donne ses lettres de noblesse artistique aux conneries les plus pathétiques d’Internet.

Et depuis ce jour donc, ta nouvelle vie de seigneur a commencé. Tu marches désormais avec la décontraction du parfait motherfucker que tu es devenu. Tu parcours ainsi quelque galerie marchande ou parc zoologique avec cette nouvelle attitude alpha qui va jusqu’à oser dorénavant demander du sucre pour ton café dans ta terrasse habituelle, au grand dam du serveur qui ne peut plus qu’acquiescer. Tu daignes parfois jeter quelques coups d’œil par-dessus tes lunettes de soleil à quelques-unes des hoes qui t’ont remarqué. Tu t’avances éventuellement vers elle de toute ta magnificence, puis vous marchez côte-à-côté vers la voiture tels Donald Trump et Kim Jong-Un, c’est-à-dire avec charisme et sensualité. Vous sautez dans ta décapotable, puis tu ouvres ta boite à gants pour t’assurer que tout ce dont tu as besoin y est : un flingue, du lubrifiant et une Bible. Avec les hoes, c’est maintenant fusionnel, et la débauche la plus sauvage et débridée à laquelle tu t’adonnes avec elles coïncide miraculeusement avec vos idéaux égalitaires respectifs les plus stricts. Après avoir mis Scaring the hoes à fond puis jeté une poignée de dollars à ce brave clochard au feu rouge qui mendie habituellement en euros, tu démarres la voiture en allumant un cigare dont la fumée épaisse est rapidement dissipée par le coup d’accélérateur que tu donnes en prenant la grande avenue, vers des aventures sans nul doute extraordinaires.